Lieu d’échanges sur les enjeux stratégiques de la vaccination, les Assises européennes du vaccin, qui se sont tenues le 20 novembre à l’Institut Pasteur à Paris, accueillent chaque année les acteurs du secteur. Serge Montero, directeur général de Sanofi Pasteur France y était. Une occasion toute trouvée pour faire le point avec lui sur la vaccination en France et en Europe.
Depuis le 1er janvier 2018, l’obligation vaccinale pour les enfants a été portée à 11 vaccins. Près d’un an après, quel premier bilan dressez-vous ?
Serge Montero : L’obligation vaccinale est un message fort du gouvernement. Et il est simple : nous avons confiance dans la vaccination et elle est utile. Elle sauve deux à trois millions de vies par an. Que ce soit l’autorité publique qui l’exprime est important. Et nous en voyons déjà les effets. Les dernières données du gouvernement ou de Vaccinoscopie montrent que la vaccination contre le méningocoque a augmenté de 6,6 % à 12 mois et que la couverture vaccinale contre l’hépatite B atteint désormais 97 % avec les vaccins hexavalents, ce qui représente un bond de 8 points. L’obligation vaccinale a donc clairement des effets et, un point important, elle redonne confiance. Les résultats de l’Observatoire sociétal du médicament du Leem [NdlR : étude menée par Ipsos pour le Leem] révèlent un regain de confiance dans la population générale, certes modeste de deux ou trois points, mais ce regain s’envole à 18 points chez les jeunes parents.
La vaccination contre la grippe connaît-elle aussi un regain de confiance ?
En France, l’an passé, la grippe a entraîné 13 000 décès, soit quatre fois plus que les accidents de la route. Le public croit trop souvent que la grippe est une maladie anodine alors qu’elle peut être extrêmement grave, notamment pour les personnes les plus fragiles. Pour la campagne contre la grippe 2018-2019, je suis optimiste. L’obligation vaccinale a un effet « halo » pour tous les autres vaccins, y compris celui contre la grippe.
La vaccination antigrippale par les pharmaciens participe-t-elle à cet effet positif ?
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La France a un parcours vaccinal plus complexe que beaucoup d’autres pays. Le fait que les infirmières, les sages-femmes et les pharmaciens puissent vacciner, contribue à simplifier le parcours et facilite l’accès à la vaccination. C’est donc positif et cela devrait permettre là encore d’augmenter la couverture vaccinale.
Le prix du vaccin a pourtant doublé, passant de 6,20 € à 11,13 €. La députée Agnès Firmin Le Bodo a souligné lors des Assises européennes du vaccin, que les patients ne comprenaient pas cette augmentation et que les pharmaciens se sentaient « un peu seuls » face à cela. Pourquoi une telle hausse ?
Déjà, le vaccin contre la grippe de cette année comprend une quatrième souche, contre trois précédemment. Ajouter une nouvelle souche équivaut à développer un nouveau vaccin. Cela a un coût qui peut atteindre 800 millions d’euros. Ensuite, le prix du vaccin n’avait jamais été augmenté depuis 1999, alors que la production biologique d’un vaccin est différente de la production chimique des médicaments et répond à des nécessités réglementaires toujours croissantes.
La Commission européenne a pour objectif d’éradiquer la rougeole d’ici à 2020. Avec 45 000 cas déclarés en Europe, cela tient de la gageure…
Cette éradication est possible, et il ne faut rien lâcher. Plus on vaccine, plus on prévient la maladie. Une personne atteinte de la rougeole contamine 18 individus en moyenne, alors qu’un patient qui a la grippe contamine deux autres personnes. Le taux de couverture vaccinale doit par conséquent dépasser 95 % pour arrêter la circulation du virus et, à terme, éradiquer la maladie. Tant que nous resterons en dessous de 95 %, cela ne sera pas suffisant. Dès que la maladie n’est plus visible, les gens oublient que c’est grâce à la vaccination. C’est la malédiction intrinsèque de la vaccination !
Est-il possible d’harmoniser les calendriers vaccinaux en Europe ?
Aujourd’hui, une cinquantaine de vaccins sont disponibles pour lutter contre 26 maladies. Pour la plupart d’entre elles, nous ne sommes pas aux taux de couverture vaccinale auxquels nous devrions être. La grippe en est un bon exemple. Lors des Assises européennes du vaccin, le commissaire européen a dit, et c’est important, que les politiques de santé européennes devaient être harmonieuses, car si l’un des Etats membres ne joue pas le jeu, les virus et les bactéries n’ont pas de frontières et continuent à circuler. Si l’on veut éradiquer des maladies ou descendre en dessous d’un certain seuil pour celles qui ne sont pas éradicables, il faut absolument un effort commun de tous les Etats membres : tout d’abord dans la couverture vaccinale, et ensuite dans des mesures comme celle qui tend vers des calendriers harmonisés. Les situations épidémiologiques en Europe ne sont pas si différentes que cela. Il s’agit donc plus d’une volonté politique. En Europe, nous avons 23 calendriers différents pour les deux premières années de la vie et il n’y a aucune raison à cela. Ce qui implique des boîtes et des notices différentes dans chacun des pays européens. Lorsqu’un pays connaît une pénurie de vaccins, nous ne pouvons pas envoyer des doses pour l’aider à y faire face. Il serait utile d’avoir un nom de marque identique partout en Europe et un QR Code qui permettrait à chaque patient européen d’accéder à une notice dans sa langue. Des solutions existent. Il faut faire appel encore plus fortement à cette volonté politique qui est naissante et qu’il faut encourager, notamment avec la European Joint Action on Vaccination (EU-JAV) au sein de laquelle, pour la première fois, 20 pays cherchent des solutions en commun.
Vous évoquez les pénuries de vaccins. Tous les pays en sont touchés. On reproche aux industriels de ne pas investir dans de nouvelles unités de production. Qu’en est-il ?
Nous continuons à investir massivement tous les ans, mais la construction d’une usine revient à plusieurs centaines de millions d’euros et dure sept à huit ans. Il faut avoir un dialogue précoce avec toutes les parties au niveau européen, mais aussi international afin d’anticiper la demande qui est mondiale. Par exemple, il y a eu pénurie de vaccins acellulaires contre la coqueluche car la demande mondiale a crû de 50 % ces trois dernières années et seulement deux industriels produisent ces vaccins. La prédictibilité est importante pour que nous puissions avoir la capacité de production. Concernant Sanofi Pasteur, nous avons récemment investi 170 millions d’euros sur notre site de Val-de-Reuil, dans l’Eure,pour augmenter la production du vaccin antigrippal et depuis plusieurs années 800 millions sur notre site à Marcy-l’Étoile, dans le Rhône. Je le répète : le dialogue précoce est essentiel y compris pour les vaccins qui vont arriver sur le marché demain.
Justement, quels sont les nouveaux vaccins ?
On parle de 200 projets de nouveaux vaccins. L’industrie du vaccin investit chaque année 2 milliards d’euros dans la R&D et 71 % de cet investissement sont réalisés en Europe. La recherche porte sur de nouveaux antigènes pour lutter contre le virus respiratoire syncytial (à l’origine principalement de la bronchiolite), Ebola, le staphylocoque doré, Zika ; de nouvelles combinaisons vaccinales afin d’éviter la multiplication des injections. Nous menons aussi des recherches sur de nouveaux adjuvants. Les adjuvants actuels ne fonctionnent pas avec de nouveaux antigènes, de nouvelles cibles et nous devons être capables de trouver de nouvelles « clés ». Nous cherchons également à améliorer des vaccins comme celui contre la grippe. Nous savons en effet que son efficacité diminue avec l’âge, car en vieillissant, notre système immunitaire décline. Il nous faut trouver des formulations différentes pour qu’il soit plus efficace pour ces patients. Se vacciner pour protéger les autres est important, surtout lorsque des personnes ne peuvent pas se faire vacciner en raison de leur état de santé. C’est une question d’altruisme et de responsabilité.