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CES AUXILIAIRES DE L’OMBRE DE LA RECHERCHE CLINIQUE
Ils sont les premiers sujets humains à tester des traitements, dans le cadre de protocoles parfois très contraignants. Si leurs profils sont variés, leurs motivations restent avant tout économiques. Leur rôle dans le champ de la recherche clinique et les enjeux éthiques qu’il soulève n’en sont pas moins essentiels. Enquête sur l’univers méconnu des volontaires sains.
On les appelle les « volontaires sains », un terme moins lourdement connoté que celui de « cobaye humain ». De fait, c’est de leur plein gré et sous haute surveillance que des hommes et des femmes bien portants testent les médicaments très en amont de leur développement, à grande échelle. Une étape obligatoire pour l’obtention d’une AMM. La démarche n’en continue pas moins à nourrir nombre de fantasmes et de craintes: selon un sondage IFOP-Lilly de 2010, si 90 % des Français reconnaissent l’intérêt des essais cliniques, seulement 46 % se disent prêts à y participer. Et ceux qui sautent le pas le font rarement pour des motifs philanthropes. Pourtant, dans un contexte de scandales sanitaires à répétition et d’efforts croissants de maîtrise des dépenses de santé, les exigences des pouvoirs publics en matière de contrôles avant et après l’autorisation de mise sur le marché des produits pharmaceutiques se sont renforcées ces dernières années. Cette tendance s’est accompagnée d’une délocalisation massive des essais dans des pays au cadre administratif jugé plus performant, au grand dam des acteurs institutionnels de la recherche clinique française qui tentent aujourd’hui de l’endiguer (voir encadré ci-dessous). Les enjeux ne sont pas minces, comme le rappelle Claire Sibenaler, directrice études cliniques au LEEM (Les Entreprises du médicament) : « Il y va de la préservation de l’ensemble de la chaîne de la recherche clinique en France, qui est la clé de notre compétitivité sur la scène internationale dans le domaine biomédical. Ces essais jouent en outre un rôle très formateur pour nos équipes de soins qui apprennent à connaître les nouvelles molécules en passe d’arriver sur le marché ».
Applicables également aux actes et dispositifs médicaux, les essais cliniques, dits aussi « thérapeutiques » ou « interventionnels », constituent l’une des dernières étapes du développement d’un médicament, soit un cycle d’une douzaine d’années, bien qu’ils interviennent en moyenne sept ans avant la mise sur le marché. Ils permettent de déterminer les populations pour lesquelles la nouvelle molécule est la plus efficace ainsi que les conditions optimales de son bon usage mais peuvent aussi porter sur un traitement existant dans le but de l’améliorer ou de le comparer avec un autre traitement. Leur mise en œuvre implique différents acteurs : le promoteur ( industriel ou institutionnel), le centre d’investigation, privé ou intégré à un CHU, le médecin investigateur, les techniciens d’essais cliniques, et bien sûr les patients eux-mêmes, malades ou sains. La phase I, qui fait intervenir un groupe d’une vingtaine à plusieurs dizaines de volontaires sains, succède directement aux tests réalisés en laboratoire et vise à évaluer sur un petit groupe de personnes la pharmacocinétique et la toxicité de la molécule en observant les éventuels effets indésirables liés à l’augmentation des doses. La phase II consiste ensuite à mesurer son efficacité sur un groupe de patients atteints de la pathologie à traiter, quand la phase III répète l’expérience sur un nombre bien plus important afin d’apporter la preuve de l’efficacité thérapeutique du produit.
Outre l’absence de pathologie, voire de certains antécédents médicaux, la participation aux essais thérapeutiques de phase I peut être conditionnée par un certain nombre de critères d’inclusion ou d’exclusion comme l’âge, le sexe, le mode de vie… Au risque de ne pas suffisamment prendre en compte d’éventuelles spécificités en matière de réponse thérapeutique, les femmes restent sous-représentées, notamment parce que le fait d’être enceinte ou sous contraception est le plus souvent un critère d’exclusion.
En France, un cadre juridique particulièrement protecteur
Au total, combien de bien portants « prêtent » chaque année leur corps à la science ? Impossible de le savoir précisément. Il existe bel et bien un registre qui recense l’ensemble des volontaires sains. Mais « il s’agit de données confidentielles, auxquelles nous n’avons pas accès », explique Jean-Pierre Duffet, adjoint au directeur du Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS), l’organisme chargé de faciliter l’organisation et la réalisation des essais cliniques industriels en France. « C’est un vrai problème, qui fait partie de nos sujets de réflexion avec le LEEM », admet-il. Le fait que certains essais courent sur plusieurs années, ou impliquent plusieurs pays, rend le décompte d’autant plus délicat. « A partir des données de l’ANSM, on aboutit en 2012 à un chiffre de 875 essais déclarés et autorisés en France, sans prise en compte des études multicentriques », poursuit-il. « La phase I n’en représente qu’une part très minoritaire », précise Claire Sibenaler.
La notion de volontariat est à la base même de l’édifice juridico-administratif qui encadre le recrutement et les modalités de réalisation des essais thérapeutiques, toutes phases confondues. Claire Sibenaler rappelle le rôle « pionnier et leader » de la France en la matière. « La loi Huriet-Sérusclat de 1988 sur la protection des personnes dans la recherche biomédicale, révisée en 1994, a servi de modèle à l’Europe pour sa directive en 2001 et la nouvelle réglementation à venir en passe de la remplacer », indique-t-elle. En filigrane, l’exigence éthique de l’article 1121-2 du Code de la Santé publique, qui fait primer l’intérêt de la personne sur ceux de la science et de la société. Elle s’appuie en premier lieu sur le « consentement éclairé » des personnes participant aux essais, lui-même fondé sur la connaissance des buts et conditions de réalisation de l’étude et de ses contraintes et risques prévisibles, mais aussi de leurs propres droits, dont celui de se retirer à tout moment de l’essai, d’être tenu informé de son état de santé pendant et à l’issue de l’essai ainsi que des résultats globaux de la recherche…
Tout projet de recherche biomédicale doit par ailleurs recueillir l’approbation de l’ANSM, d’une part, et d’un Comité de protection des personnes (CPP), d’autre part. Les membres de cette instance composée à part égale de professionnels de santé et de membres de la société civile, tous bénévoles, scrutent le dossier à la loupe sous l’angle de la sécurité et de la protection des participants à travers des éléments comme la pertinence de la recherche elle-même, le dispositif d’information des personnes, la qualification de l’investigateur, les méthodes de communication en vue du recrutement, le montant de l’indemnisation…
« Les avis défavorables sont rares – 8 % de l’ensemble sur plus de 2 000 demandes par an, tous types d’essais confondus, car nous menons un travail d’échanges important avec le promoteur pour améliorer les dossiers », précise Elisabeth Frija, présidente de la Conférence nationale des CPP. Au-delà du strict respect des textes, Claire Sibenaler souligne que « le coût élevé d’une étude clinique et la recherche d’efficacité incitent le promoteur à privilégier des centres structurés, au personnel formé, disposant d’un plateau technique de qualité. Il peut même exiger un rappel des bonnes pratiques auprès du médecin investigateur ».
Une fois le projet adoubé, tout candidat à un essai clinique en tant que volontaire sain bénéficie en outre d’un examen de santé complet avant d’être inclus, et se voit verser une indemnité pour sa participation. Un point qui cristallise les idées fausses : « il ne s’agit pas d’une rémunération mais bien d’un dédommagement, lui-même destiné à compenser les contraintes subies au cours de l’essai, et non pas les risques encourus pour lesquels une assurance spécifique est obligatoire », insiste Elisabeth Frija. A titre d’exemple, les volontaires recrutés pour une campagne d’essai vaccinal contre le VIH mené actuellement par les laboratoires Theravectys toucheront de 880 à 960 euros au total pour une dizaine de visites à l’hôpital (la moitié d’une durée d’1 h environ, l’autre moitié d’une durée de 3 à 4 h). Via l’inscription systématique au registre des volontaires sains, la loi Bertrand veille en outre à ce que ces derniers ne puissent « professionnaliser » leur démarche en fixant un plafond de 4 500 € annuels et un délai de trois mois à respecter entre deux essais.
Une communication à repenser contre l’autocensure
L’image des essais cliniques reste sulfureuse, les critiques portant à la fois sur leur utilité même, sur l’opacité de leurs conditions de réalisation et de la communication de leurs résultats… Impossible de nier cependant les progrès législatifs réalisés depuis plusieurs décennies. Elisabeth Frija constate pour sa part que « les dossiers des projets d’études cliniques sont devenus plus clairs et plus précis ». Et les efforts se poursuivent en matière de formation des investigateurs. Fred, volontaire sain, pointe également de son côté une évolution positive des conditions d’accueil des cobayes : « les volontaires ont peu à peu pris la parole et ont réussi à obtenir d’importantes concessions en termes de confort ». Fred et Renan, qui a lui aussi multiplié les expériences de volontariat, évoquent toutefois des disparités de traitement entre les centres. « Chez SGS [qui a stoppé ses essais cliniques en France depuis], les volontaires étaient un peu traités comme du bétail, et le personnel subissait beaucoup de stress, notamment à cause d’horaires très contraignants… Chez Biotrial, en revanche, les techniciens et médecins étaient plutôt attentifs », indique Renan. Selon Fred, « dans les centres de taille modeste, les infirmières étaient davantage en mesure de prendre soin de nous, et l’ambiance était plus détendue, alors que dans les centres plus importants, il vaut mieux être vigilant tout au long du protocole pour s’assurer qu’aucune erreur ou aucun oubli ne survient ». Toutefois, « dans l’ensemble, les protocoles étant très stricts et les doses infimes, l’impression de risque était minime et je n’ai jamais eu aucun effet indésirable », affirme Renan. « Nous sommes très surveillés y compris après la fin du protocole, et nous pouvons obtenir à tout moment toutes les explications désirées. Une fois, une anomalie a été décelée chez un des participants à un essai clinique auquel je participais : le protocole a aussitôt été interrompu et nous avons perçu la totalité du dédommagement », témoigne Fred. L’un comme l’autre s’étaient toutefois posé des limites. « Je n’ai testé que des inflammatoires et des anticoagulants, et l’interaction de deux médicaments déjà commercialisés », raconte Fred, tandis que Renan a refusé « une étude qui imposait de prendre un médicament diminuant les capacités cognitives temporairement pour tester ensuite un produit utilisé dans le traitement de la maladie d´Alzheimer ». Restent des doléances de leur part en ce qui concerne le manque de retour sur les résultats des études auxquels ils ont participé, et… une indemnisation jugée, avec le recul, chiche, et n’ayant guère progressé au fil des années, au regard des contraintes en jeu comme « le fait d’être immobilisé sur une longue durée sans autorisation de sortie, avec des permissions de visite très limitées, de subir des prises de sang toutes les cinq minutes, de ne pas pouvoir faire de sport, ou encore de devoir suivre un régime alimentaire spécifique… », énumère Fred. Mais il ne nie pas des aspects positifs qui touchent aussi à la santé : « j’ai pu ainsi bénéficier de check-up réguliers, et je suis débarrassé de mes a priori par rapport à la médecine, tout en ayant acquis un certain nombre de connaissances dans ce domaine ». Ces arguments, nul doute que Jean-Pierre Duffet les souhaiterait repris par les médias davantage que le refrain du manque de transparence, lui qui invoque sans relâche « l’importance de garder la maîtrise de la recherche clinique sur les médicaments afin de mieux en connaître les limites pour mieux les utiliser ». La complexité des débats actuels autour de l’innovation thérapeutique n’est cependant pas faite pour dissiper le cercle vicieux de la défiance que se voue mutuellement partisans et contempteurs des essais thérapeutiques.
En attendant, les premiers misent une reprise en main de la communication en dépassant « une forme d’autocensure là encore typiquement française, qui fait qu’au-delà même des contraintes réglementaires, de bonnes pratiques cliniques et d’éthique, on s’empêche d’utiliser les canaux grand public des nouvelles technologies de l’information », explique Jean-Pierre Duffet. Le CeNGEPS a montré l’exemple en lançant un site d’information grand public, notre-recherche-clinique.fr, relayé sur Facebook, Twitter ou encore Dailymotion. Les laboratoires ont également misé sur les réseaux sociaux pour recruter les testeurs de leur vaccin contre le VIH : « Nous souhaitons en effet toucher un public jeune qui sera un jour le public ciblé par un vaccin », explique le professeur Jean-Daniel Lelièvre, responsable du département de recherche clinique à l’Institut de Recherche Vaccinale.
Les pharmacies, en tant qu’acteurs de proximité de la santé, auraient toute légitimité pour se prêter au jeu, estime Jean-Pierre Duffet : « Pourquoi ne pas tirer parti des écrans d’information installés dans les officines pour y diffuser nos campagnes de recrutement et inciter les usagers – malades ou en bonne santé – à participer aux essais ? ».
La recherche clinique française sur la voie d’un nouveau souffle
L’attractivité de notre pays en matière de recherche clinique n’est plus ce qu’elle était. « La France a glissé du deuxième au quatrième rang pour les grands essais internationaux et du deuxième au cinquième pour la part de sa population incluse dans des essais », clame ainsi Denis Comet, président de l’AFCROS (Association française des entreprises de la recherche clinique). Comme le démontre l’enquête sur le sujet publié en 2012 par le LEEM, l’excellence reste de mise dans certaines aires thérapeutiques, comme les maladies rares ou les cancers. En revanche, l’Hexagone se fait effectivement distancer dans les champs des pathologies cardio-vasculaires ou du diabète. Sur la phase I, le mouvement de délocalisation s’est traduit par la fermeture de trois centres privés en 2011, tandis que l’adhésion des patients pour les essais de phase II pâtit de l’image dégradée des groupes pharmaceutiques au travers d’affaires du type de celle de Mediator. Des difficultés auxquelles se greffent des lourdeurs administratives dénoncées sans relâche par les acteurs privés des essais cliniques, en particulier les délais de contractualisation. Jean-Pierre Duffet tempère : « quand les industriels s’en donnent les moyens, ils peuvent réduire ces délais, par exemple en dédiant des équipes à la résolution des contrats comme chez Sanofi ». Le représentant du CeNGEPS se fait le porte-parole des investigateurs qui déplorent la tendance de ces mêmes laboratoires à généraliser l’externalisation de leur R&D clinique, au bénéfice des prestataires privés que sont les CRO (Contract Research organization) : « ce phénomène contribue à allonger les délais de contractualisation et donc à retarder l’inclusion des patients ».
La création du CeNGEPS a d’ores et déjà permis de remonter partiellement la pente en ce qui concerne le taux d’inclusion, qui a augmenté de 25 % entre 2009 et 2011, via notamment la mise en place de critères de performance pour les centres d’investigation. Le CeNGEPS finance également le recrutement de techniciens spécifiquement formés à l’aide à l’inclusion, et a engagé une harmonisation des procédures de mise en place des essais cliniques. Des efforts accentués cette année avec la mise en œuvre d’un contrat hospitalier unique voué à être généralisé progressivement. Le tout, alors que se profile l’adoption d’un nouveau règlement européen qui fixe les conditions d’une simplification administrative mais aussi d’une plus grande transparence des résultats des essais.
L’organisation de la recherche clinique française en chiffres :
40 comités de protection des personnes (CPP)
90 centres privés spécialisés dans les essais cliniques
7 directions interrégionales d’essais cliniques (GIRCI)
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