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Se chercher en silence
Avant de devenir préparatrice à 35 ans, Valérie Méline a fait un bout de chemin dans le monde du silence en « signant * » pour les sourds. Presque un hasard.
«Quand on porte un prénom comme le mien, on a besoin de se faire remarquer. Dans ma classe de CE1, nous étions sept Valérie, alors depuis toute petite, c’est une obsession pour moi, je cultive la différence en prenant des voies inattendues… »
En effet, il n’y avait aucune raison pour que Valérie Méline s’intéresse à la langue des signes. À 14 ans, elle découvre en feuilletant le Quid, l’alphabet que l’Abbé de l’Épée inventa pour les sourds en 1760.
Idée fixe. Toute son enfance, elle a le nez dans les livres, dans les dictionnaires – une passion du père. Une cérébrale, déjà, aînée de la famille, qui ne s’en laisse pas compter. « À l’adolescence, bien que choyée par mes parents, entourée par les amis, je me sentais seule. J’étais celle qui se débrouillait et qui donnait l’impression de ne pas avoir besoin des autres. » Valérie trouve dans la langue des signes, une cause dans laquelle investir l’enthousiasme de sa jeunesse. « Pendant des siècles, les sourds ont été ignorés, voire considérés comme des handicapés mentaux, explique-t-elle. Des millions de français ont un déficit auditif et, pourtant, la langue des signes n’a été reconnue qu’en 1993. » À l’époque, Emmanuelle Laborit une actrice sourde, sort « Le cri de la mouette ». « Dans ce livre, elle reprochait aux entendants de ne pas faire d’effort pour communiquer avec les sourds », se souvient Valérie qui lui écrit. « Je voulais lui témoigner mon indignation car, en l’occurrence, j’étais intéressée par la langue des signes, mais je n’avais pas trouvé d’école pour l’apprendre… Sans compter que lorsque, dans certaines régions, les formations existaient, elles étaient hors de prix. » Quand Valérie a une idée fixe, elle n’en démord pas… Au lycée, elle se renseigne pour devenir institutrice auprès des sourds. Le conseiller d’orientation lui recommande, afin de passer ensuite le concours de professeur des écoles, de faire une licence universitaire, qu’importe le domaine. « Avec mon côté « défense de la veuve et de l’orphelin », j’ai choisi le droit, grave erreur de ma part… Je n’étais pas suffisamment bûcheuse pour cela et mon esprit n’était plus tout à fait aux études. »
Car, depuis l’âge de ses 16 ans, Bruno son amour de vacances de onze ans son aîné, lui fait tourner la tête et, dès son bac littéraire en poche, Valérie quitte Lille et son cocon familial pour le rejoindre à Lyon. « Mes parents ne se sont pas opposés à mon départ, persuadés que je n’aurais pas tenu compte de leur avis. Personne ne pariait sur nous, aujourd’hui, Bruno est mon mari et père de nos deux enfants ! » Après l’échec de la jeune fille en droit, le couple s’installe à Marseille. Bruno est commercial, Valérie trouve un contrat emploi solidarité auprès d’enfants handicapés et suit des cours du soir en langue des signes. À la fin de son contrat de deux ans, elle entreprend une formation à temps complet, pendant un an et demi au Verseau (son signe astral !), un centre d’enseignement de la langue des sourds et de programmation culturelle pour les malentendants. Puis elle est embauchée par Le Verseau qui ouvre un bureau d’aide sociale. dit-elle tout en confiant : « une psychothérapeute m’a glissé un jour : vous n’avez pas un problème de communication, vous ? » Valérie n’a pas fini de gamberger… « Je ne crois pas au hasard, dit-elle. Le hasard, c’est l’apparence que prend Dieu pour passer incognito… Mais, à vrai dire, je n’ai pas percé ma propre énigme. Ai-je choisi la langue des signes comme une thérapie ou au contraire pour cacher mes blessures ? Car, dans ma vie d’entendante, si je suis très sociable, je ne me confie guère et si je parais forte, en fait c’est une carapace… »
À en devenir sourde. Il n’empêche… En signant, Valérie permet le dialogue des sourds avec les entendants en toutes circonstances : visite d’appartements, réunions de parents d’élèves… À chaque signe correspond un mot, une même configuration de la main pouvant avoir plusieurs sens selon son orientation, son placement, le mouvement du geste ou son éloignement du corps. Sa présence est telle que l’« on me confondait avec les sourds. » Cela la dérange. « Les sourds accordent beaucoup d’importance à ce qu’on les reconnaisse. » Au point que dans un tribunal, où elle signe face à la salle, pour une affaire de vol avec récidive, elle interrompt la séance pour dire au juge : « ce n’est pas à moi qu’il faut parler, je ne suis là que pour traduire. » Plus drôle est le souvenir d’une préparation à l’accouchement, dans une salle surchauffée, où elle traduisait tout ce qui disait la sage-femme à la future maman. « Je soufflais et j’étais aussi rouge qu’elles. »
Toujours la volonté de rendre service. Les personnes qu’elle accompagne sont parfois dures. « Ce handicap coupe du monde extérieur… Certains sourds se sentent persécutés, en deviennent agressifs et auraient voulu que je sois disponible 24 heures sur 24. » Valérie souhaite continuer dans cette voie, la recherche sur la langue des signes l’intéresse mais, de CDD en CDD, son emploi reste précaire. Après un clash avec une sourde, elle décide d’arrêter pour s’occuper de sa fille Ambre puis c’est la naissance de son fils Stan. À la fin de son congé parental, quand la famille s’installe à Montpellier, elle devient caissière dans un magasin de décoration où elle s’ennuie vite et démissionne. Une amie pharmacienne à Lyon lui parle du métier officinal. À 32 ans, elle cherche un contrat de professionnalisation mais les pharmaciens rechignent à prendre une apprentie de plus de 26 ans, qui va leur coûter cher. « Je désespérais quand François Georgin, mon titulaire actuel, m’a appelée, l’important pour lui était d’avoir une personne motivée. Je lui en serai toujours reconnaissante. La deuxième personne à qui je dois rendre hommage, c’est mon mari, il m’a toujours soutenue et, pendant deux ans de formation, s’est occupé de la maison et des enfants. » Son métier de préparatrice lui va comme un gant, avec toujours la volonté d’aider les autres. « Au comptoir, nous sommes continuellement en train de conseiller et de trouver de solutions, c’est très valorisant, raconte-t-elle. Par exemple, dernièrement, un monsieur âgé complètement paniqué devait organiser le retour de sa femme hospitalisée, je lui ai commandé un tabouret pour la salle de bains, mais surtout je l’ai rassuré. » Pour Valérie, la pratique des signes est aujourd’hui exceptionnelle. « Au comptoir, il m’est arrivé de signer une fois en trois ans. Le client demandait à ma collègue tant bien que mal son chemin. Ce fut un moment intense : tout le monde s’est arrêté de parler, pour regarder le spectacle. » Valérie a décidé aujourd’hui de s’exprimer pour elle-même… Pour casser la carapace, elle y mettra les mots. Elle a envie d’écrire. •
Portrait chinois
• Si vous étiez un végétal, lequel seriez-vous ? Une rose, car elle pique lorsqu’on la touche, car elle est mystérieuse : on ne sait pas ce qu’il y a au creux de ses pétales resserrés.
• Si vous étiez une forme galénique ? Une huile sèche. Sa texture est douce, elle ne tache pas, contrairement aux crèmes. Peut-être aussi pour son côté superficiel. Je donne juste ce que j’ai envie de donner…
• Si vous étiez un médicament ? Un lyoc qui agit vite contre l’égoïsme.
• Si vous étiez un matériel ou dispositif médical ? Un stérilet pour choisir le moment de la maternité.
• Si vous étiez un vaccin ? Un vaccin contre les préjugés et les à-priori.
• Si vous étiez une partie du corps ? Les yeux et les mains, parce qu’ils accueillent, reçoivent les autres. Ce sont les mains qui vont vers l’avant, vers l’avenir. Mais on peut aussi s’abriter derrière pour cacher le stress ou la timidité. À ne jamais faire devant un sourd.
Valérie Méline
Âge : 35 ans.
Formation : préparatrice en pharmacie.
Lieu d’exercice : pharmacie des Sources à SaintClément-de-Rivière (Hérault).
Ce qui la motive : trouver des solutions aux problèmes des gens.
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