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De l’éros pour zéro euro
Une pharmacie milanaise ouverte 24 h/24 a décidé d’offrir des préservatifs aux jeunes tout au long de la nuit. Grâce à un partenariat avec une grande marque et des tracts distribués alentour, Anna Camporini a trouvé le moyen d’informer sur les dangers des MST, en constante augmentation en Italie, alors que l’Eglise réprouve encore ce type de protection.
Peccato… non proteggersi ! » « Quel péché… de ne pas se protéger ! » C’est le slogan d’une campagne lancée en juin par la Farmacia Sempione, ouverte 24 h/24 dans le centre de Milan. Coincée entre deux bars branchés, cette tranquille pharmacie de quartier en journée se retrouve la nuit au coeur d’une zone festive. C’est en écoutant les confidences des adolescents et étudiants au comptoir que Anna Camporini, 40 ans, la directrice, a eu l’idée de mettre à leur disposition des préservatifs gratuits. « La nuit, on en entend de toutes les couleurs. Il y a tellement de jeunes filles qui nous demandent la pilule du lendemain, alors qu’en Italie nous ne pouvons pas la délivrer sans ordonnance. Et puis, beaucoup de jeunes nous disent qu’ils ne mettent pas de préservatifs. Le sida, les MST, ils n’y pensent même pas ! Ils sont nés dans les années 90, ils n’ont pas vu tous les spots télé diffusés à l’époque sur le VIH. Ils ne sont pas du tout informés. »
Alarmée par ces témoignages nocturnes, Anna Camporini a décidé de réagir au mois de juin dernier. Il a suffi d’un simple coup de fil au représentant de la marque Durex pour monter ce projet. « Ils ont tout de suite été emballés. Une semaine après, j’ai reçu gratuitement plus de 1 000 préservatifs à distribuer. Et quand j’ai eu ma première rupture de stock, ils m’en ont envoyé d’autres. »
Des tracts d’information qui font office de bons de réduction
Ces préservatifs sont placés la nuit sur le comptoir en libre-service, ainsi que sur un petit corner à l’entrée de l’officine. Pour faire connaître l’opération, Anna Camporini a également investi 250 euros dans la réalisation de tracts, qu’elle a déposés dans les bars voisins. Certains prospectus, estampillés « Peccato… non proteggersi ! », indiquent simplement que des préservatifs sont offerts la nuit dans la Farmacia Sempione. D’autres font office de bons de réduction. Car, pour attirer les plus récalcitrants, l’officine propose aussi aux jeunes une offre commerciale : un rabais de 10 % sur tout achat effectué entre 21 h et 1 h du matin. Un moyen de profiter du porte-monnaie de cette nouvelle clientèle ? « Non, assure Anna Camporini. Il s’agit plutôt d’un prétexte pour informer les jeunes. » Ainsi, au dos de chacun de ces coupons de réduction, l’adolescent peut lire le message suivant : « Rappelle-toi que les MST sont en augmentation chez les jeunes. Rappelle-toi que le préservatif est la seule barrière contre ce type de maladies. Rappelle-toi que les MST ne sont pas seulement le sida mais aussi l’infection à Chlamydia trachomatis, les Papillomavirus humains (HPV), la gonococcie, la syphilis, les candidoses. »
Preuve que ces « rappels » ont toute leur utilité : selon une étude de la Société italienne des gynécologues et obstétriciens, une jeune fille sur trois en Italie n’utilise aucune précaution lors de son premier rapport et 50 % continuent à ne pas se protéger par la suite. Si le nombre d’IVG diminue (- 4,1 % en 2008 par rapport à 2007), les MST sont en augmentation. Outre le sida – à Milan, il y aurait en moyenne deux contaminations par jour -, le ministère de la Santé s’inquiète de la recrudescence de l’HPV, qui toucherait 75 % des Italiennes sexuellement actives. Autres données significatives : ici, l’usage de contraception hormonale est le plus bas d’Europe et concerne moins de 20 % des femmes, tandis que la pilule abortive RU-486, après des années de polémique, vient à peine d’être autorisée… seulement dans les hôpitaux.
Une démarche osée dans un pays profondément catholique
Il faut dire qu’une partie du personnel de santé italien est encore très influencée par l’Eglise (7 gynécologues sur 10 se disent « objecteurs de conscience »), y compris les officinaux. Dernier exemple cet été : un pharmacien romain, président de l’Union des pharmaciens catholiques, a refusé de délivrer la pilule du lendemain à une femme de 34 ans munie d’une ordonnance. Il s’est justifié en déclarant que l’avortement était un « homicide ». Ce qui révolte Anna Camporini : « J’entends des collègues dire qu’ils sont objecteurs de conscience alors que, à l’inverse des médecins, ils n’ont pas ce droit. Je désapprouve cette attitude. Notre travail est d’être au service du client, lequel est libre de faire ce qu’il veut. Par ailleurs, je suis moi-même catholique, je sais ce qu’a dit le pape sur les préservatifs ou la contraception. Mais je ne suis pas d’accord avec lui. »
L’initiative de la pharmacienne a inévitablement suscité des réactions. Sur un blog, une poignée de jeunes catholiques a émis l’idée d’organiser un sit-in de protestation devant la Farmacia Sempione. Anna Camporini les attend toujours… Des voisins habitant au-dessus de l’officine ont eux réclamé de la « discrétion ». La pharmacienne a donc dû retirer de sa vitrine les prospectus. Mais Anna Camporini assure que l’opération a majoritairement séduit la clientèle, « même les grands-mères ! ». De grands quotidiens italiens, tels que le Corriere della Sera et La Repubblica, sont venus faire un reportage. « Après, des jeunes ont débarqué ici juste pour prendre des préservatifs, livre Federico, adjoint. Cette opération était nécessaire. Une boîte de préservatifs classiques coûte au moins 6 euros. C’est très cher ! »
Bientôt une opération contre la surconsommation d’alcool
« Beaucoup de jeunes venaient déjà chez nous avant cette opération parce que la nuit, ici, les pharmaciens ont une moyenne d’âge de 30 ans, précise toutefois Annalisa Giovanola, ajointe. Du coup, les jeunes sont plus à l’aise, ils n’ont pas peur de discuter avec nous. Maintenant que nous offrons des préservatifs, j’ai remarqué que les filles se servent d’un prétexte pour venir. Elles achètent une crème ou un dentifrice et prennent un préservatif. D’autres jeunes se servent en cachette… »
A terme, Anna Camporini compte limiter la distribution gratuite de préservatifs à quelques mois de l’année ou aux soirées du week-end. Elle espère maintenant lancer une autre opération, cette fois pour lutter contre la surconsommation d’alcool. « J’aimerais proposer aux jeunes de mesurer gratuitement leur taux d’alcoolémie, annonce la pharmacienne. Malheureusement, en Italie, le réflexe qui consiste à se dire que celui qui conduit ne boit pas n’existe pas encore. »
Envie d’essayer ?
Les avantages
– L’affirmation du rôle d’acteur de santé publique du pharmacien.
– La création d’un débat, avec tous les clients, que ce soit les jeunes, la nuit, si votre officine est ouverte 24 heures sur 24, ou leurs parents, en journée. La question du préservatif et de la recrudescence des maladies sexuellement transmissibles est ainsi plus facilement abordée dans l’officine.
– L’opération est peu coûteuse, grâce au soutien immédiat d’un fabricant partenaire, et peut concrètement aider les jeunes dans leur découverte de la sexualité.
Les difficultés
– La sexualité et l’usage du préservatif sont encore des sujets tabous.
– Ils peuvent l’être aussi au sein de la profession.
Les conseils de anna Sempione
– « N’hésitez pas à appeler un représentant d’une marque pour monter votre projet. »
– « Communiquez en allant dans les bars, en distribuant des tracts. Je regrette d’ailleurs de ne pas avoir eu le temps de distribuer les prospectus dans la rue, afin de dialoguer davantage avec les jeunes. »
– « Les reportages dans la presse ont permis à la pharmacie de se faire connaître, alors que mon associé et moi-même sommes propriétaires des lieux depuis un an à peine. »
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