Bouffées de chaleur sur le THS

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Publié le 13 décembre 2003
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En supprimant l’indication du THS dans la prévention de l’ostéoporose en première intention, l’Afssaps a attisé le débat autour du traitement de la ménopause. Retour sur le feuilleton THS et son cortège d’ambiguïtés.

Prescrit larga manu depuis plus de 20 ans en France, le traitement hormonal substitutif (THS) de la ménopause était présenté comme quasi providentiel aux 10 millions de femmes françaises « sur le retour d’âge »… jusqu’à la publication de deux scientifiques, l’une, américaine, en juillet 2002 (Women’s Health Initiative ou WHI), et l’autre, anglaise (Million Women Study ou MWS), l’été dernier. Le THS, jusqu’ici paré de toutes les vertus (prévention du risque cardiovasculaire, de l’ostéoporose, suppression des bouffées de chaleur, de la sécheresse vaginale…), voit alors sa réputation largement entachée.

1,24 fois plus de risque de développer une tumeur pour WHI.

Bien que menées avec une population et des principes actifs différents, les deux études en arrivent aux mêmes conclusions : le THS augmente le risque de cancer du sein et ne protège pas des accidents cardiovasculaires. Panique. Selon une enquête réalisée par l’Association française pour l’étude de la ménopause (AFEM), 19 % des patientes ont arrêté leur traitement après la médiatisation de l’étude WHI. Actuellement, elles sont 30 à 50 % entre 48 et 64 ans (soit 1,5 à 2,7 millions de Françaises) à recevoir un traitement hormonal.

Alors, que dire aux femmes à propos du THS ? Nul ne peut délivrer des conseils avisés sans considérer précisément la méthodologie et les résultats de chaque étude. Rappelons donc que l’étude WHI est un véritable essai thérapeutique randomisé en double aveugle, le premier du genre à évaluer l’efficacité d’une thérapie hormonale substitutive versus placebo, et ce auprès de plus de 16 000 femmes. Côté résultats, 246 cancers du sein ont été dénombrés dans le groupe THS contre 187 dans le groupe placebo. Soit un surrisque de développer une tumeur équivalent à 1,24. Des analyses complémentaires ont permis de préciser que les tumeurs découvertes sous THS sont plus importantes et plus graves (envahissement ganglionnaire, métastases) que sous placebo. Hypothèse avancée par les experts : le THS trouble la lecture des mammographies en augmentant la densité des seins.

Marc Espié, cancérologue à l’hôpital Saint-Louis (Paris), se veut cependant rassurant : « Le risque de cancer augmente puis diminue après dix années de traitement, preuve que le traitement hormonal a un effet promoteur sur les cancers préexistants mais qu’il ne crée par le risque. » Sur ce point, le THS ne jouerait donc qu’un rôle d’accélérateur. Concernant l’augmentation des accidents coronaires et vasculaires cérébraux, le cardiologue Jacques Caron le reconnaît : « Nous nous sommes trompés pendant des années car nous ne nous basions que sur des études d’observation incluant une catégorie de femmes particulièrement attentives à leur hygiène de vie. » L’Afssaps note par ailleurs que le THS n’a pas montré de bénéfice sur les fonctions cognitives et qu’il accroîtrait même le risque de démence.

Des biais méthodologiques chez MWS.

De son côté, l’étude britannique concerne plus d’un million de femmes âgées de 50 à 64 ans et révèle, pour la première fois, une augmentation de la mortalité par cancer du sein, avec une probabilité de décès 1,22 fois plus élevée chez les patientes sous hormonothérapie substitutive. L’AFEM, qui a toujours défendu le THS, réfute cette étude en lui reprochant de nombreux biais méthodologiques, notamment à propos des critères d’inclusion uniquement déclaratifs des femmes. Réaction de Dominique Costagliola, épidémiologiste à l’INSERM : « Effectivement, cette étude n’est pas parfaite, mais on ne peut pas inclure un million de personnes aussi facilement que mille. Cependant, elle paraît raisonnablement solide pour pouvoir considérer ses conclusions. De plus, il faut préciser que les données déclaratives de près de 12 000 femmes ont été comparées à leur dossier médical et qu’elles coïncident à plus de 90 %. »

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Au-delà de la polémique, que retenir ? Les optimistes ont le raisonnement suivant : une femme de 50 ans suivie régulièrement pendant dix ans a 97,5 % de chance de ne pas développer de cancer du sein ; sous traitement hormonal, ses chances sont évaluées à 96,7 %. Le risque est faible et disparaît à l’arrêt de l’hormonothérapie substitutive, mais il existe et il pèse lourd dans les évaluations de l’Afssaps et de l’Agence européenne du médicament. Et pour cause, dans les études WHI et MWS, le THS a généré six cas supplémentaires de cancer du sein sur 1 000 femmes traitées. Soit près de 12 000 cancers imputables au THS si l’on considère la totalité des Françaises sous hormonothérapie. Extrapolé à l’ensemble des femmes ménopausées, se profile le chiffre de 60 000 cas si toutes suivaient un THS !

Enfin une étude française en vue.

Fini donc le temps de la prescription systématique du THS. L’Afssaps vient de statuer : il n’est recommandé qu’aux femmes souffrant de troubles du climatère altérant la qualité de vie. Seulement voilà. Si le THS soulage efficacement les bouffées de chaleur, aucune étude pour le moment n’a véritablement évalué ses répercussions sur la qualité de vie. La prescription à dose minimale fait cependant l’objet d’un consensus avec une réévaluation régulière chaque année accompagnée d’une suspension temporaire du traitement de façon à contrôler la persistance ou non du syndrome climatérique.

Désormais, ces médicaments n’auront plus l’indication dans la prévention du risque fracturaire mais seront proposés en seconde intention, même s’ils ont fait leurs preuves. Preuves qui, selon Charles Caulin, président du groupe de travail « Traitement hormonal substitutif de la ménopause » à l’Afssaps, ne font cependant pas le poids face au spectre du cancer du sein.

L’AFEM s’insurge contre cette décision. « Les autres traitements ayant l’AMM pour la prévention de l’ostéoporose sont plus onéreux et ne sont pas remboursés dans cette indication », souligne à juste titre le Pr Henri Rozenbaum, président de l’AFEM.

Reste que la méfiance s’est installée dans l’esprit des femmes, même si les gynécologues français mettent en avant le suivi régulier des patientes sous THS et revendiquent des traitements adaptés au cas par cas.

Cette spécificité diminue-t-elle les risques ? Réponse dans quelques mois avec la parution tant attendue d’une étude de cohorte française effectuée sur 100 000 femmes. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre au risque zéro – qui n’existe pas en matière de médicament. Bien sûr, il ne faut pas diaboliser le THS. Mais une question se pose : peut-on accepter le risque de développer plus rapidement un cancer du sein, aussi minime soit-il, pour soigner un trouble passager physiologique et non pas une réelle maladie ? A chaque femme de choisir en connaissance de cause.

A retenir

l’administration d’un THS n’est pas recommandé chez les femmes en bonne santé qui ne présentent pas de syndrome climatérique ni de facteur de risque d’ostéoporose, selon l’Afssaps.

En revanche, il peut être instauré chez une femme souffrant de troubles du climatère, mais à doses minimales efficaces, pour une durée la plus courte possible et avec une réévaluation régulière (suspension temporaire du traitement).