Vente à soi-même : 7cas pour évaluer les risques

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Publié le 5 février 2005
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La « vente à soi-même » est une opération qui n’est pas sans risques, notamment fiscalement. « Le Moniteur » a demandé l’avis de six experts en leur soumettant sept cas d’école. Si les réponses sont dans l’ensemble consensuelles, on note pourtant quelques divergences.

Nos six experts, Alexandre Biette, avocat (Fidal) à Arras, Olivier Delétoille, expert-comptable (ArythmA), Denis Dioque, avocat (Fidal) à Neuilly-sur-Seine, Dominique Leroy, expert-comptable (Norméco), Gérard Martinez, avocat à Perpignan, et Michel Watrelos, expert-comptable (Conseils et Auditeurs associés), vous guident dans votre prise de décision.

– La situation se prête à l’action. – Les précautions sont de mise. – Attention danger !

La vente à soi-même parce que l’entreprise individuelle à l’IR est en difficulté financière

Nos trois experts-comptables donnent leur bénédiction à ce type de montage, à condition que l’entreprise reste à l’impôt sur le revenu (IR) et que la vente soit réalisée aux conditions du marché.

– Michel Watrelos : « En vendant à une EURL ou à une SELEURL, le pharmacien limite sa responsabilité au montant de son apport. »

– Gérard Martinez : « Selon un arrêt du Conseil d’Etat du 20 février 2003, la vente à soi-même n’est pas abusive si l’on peut démontrer son caractère économique. »

– En revanche, Dominique Leroy émet une réserve en cas de vente à une société à soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) car la conséquence est une baisse du résultat fiscal dans l’intérêt du titulaire. De plus, sur un plan économique, « la vente à soi-même n’est pas la solution de refinancement la moins onéreuse. »

– Denis Dioque : « Cette opération est motivée par des considérations économiques, et non par des considérations fiscales. Toutefois, il serait opportun pour le pharmacien de pouvoir apporter la preuve à l’administration fiscale que les banques ne souhaitent plus apporter leurs concours en dehors d’une opération de refinancement que permet justement ce type de passage en SEL. »

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La vente à une SEL par un pharmacien proche de la retraite et qui souhaite, une fois retraité, rester actionnaire de l’officine pendant dix ans (par exemple une officine familiale exploitée par un enfant pharmacien)

– Olivier Delétoille : « Il n’y a pas de risque, mais tous les associés doivent y trouver un intérêt économique à court, moyen et long terme. »

– Michel Watrelos : « La justification économique de cette opération est avérée puisqu’il y a création d’une véritable association. »

– Denis Dioque : « Ce projet professionnel, s’il est réel, interdit à l’administration fiscale de prétendre que l’opération n’a qu’un intérêt exclusivement fiscal. »

– Dominique Leroy : « Les deux opérations de vente à une SEL et d’association doivent être concomitantes ou se faire dans un délai raisonnable de six mois à un an pour qu’il n’y ait pas un risque de requalification par le fisc. L’enfant pharmacien montera en puissance en part dans le capital pour devenir majoritaire, puisque son parent sera forcément minoritaire en parts le jour de son départ à la retraite. »

– Gérard Martinez : « Un délai plus long peut être justifié si l’enfant est en train de terminer ses études de pharmacie. »

La vente à une SEL pour créer un réseau local avec une ou deux autres pharmacies et des pharmaciens associés extérieurs non exploitants

– Olivier Delétoille : « Cette opération stratégique est à étudier au cas par cas. »

– Dominique Leroy : « Il faut à nouveau faire concorder dans le temps les différentes opérations projetées. »

– Denis Dioque : « Le passage en SEL peut dans ce cas également être motivé par un projet professionnel, ce qui exclut l’application des dispositions de l’article 64 du Livre des procédures fiscales sanctionnant les abus de droit. Il conviendra de pouvoir démontrer la réalité de cette motivation. »

– Michel Watrelos y voit un risque s’il ressort que l’IS est utilisé comme un facteur d’évasion fiscale.

– Gérard Martinez : « La mesure de prudence consiste à interroger l’administration fiscale par l’intermédiaire de la procédure du rescrit. Le risque d’abus de droit dépend du montage, d’où la nécessité de confier le dossier à un spécialiste. »

La vente à soi-même pour dégager des liquidités destinées à des fins personnelles, pour acheter une résidence secondaire ou investir dans le LMP (loueur en meublé professionnel)

– Olivier Delétoille : « Pourquoi pas ! Dès lors qu’il existe un projet professionnel et personnel identifié qui nécessite des financements importants et le recours à des capitaux personnels. » L’expert-comptable cite aussi l’exemple du pharmacien qui a besoin de réorganiser son patrimoine afin de faire face à des besoins financiers élevés tels que les surcoûts liés aux études supérieures de ses enfants. « En pratique chaque situation est particulière. »

– Denis Dioque : « Le but semble être autre que fiscal. Mais, en réalité, il pourrait être soutenu par l’administration fiscale que l’utilité de ce passage en SEL était de privilégier un concours bancaire dont les intérêts auraient été déductibles par la SEL, alors que les intérêts d’emprunt relatifs à l’acquisition de la résidence secondaire, eux, ne l’auraient pas été. De plus, il conviendra de veiller à ce que l’opération ne se fasse pas dans des conditions financières détériorées pour la SEL. »

– Dominique Leroy : « Si cette opération permet de dégager des liquidités à des fins privés, en revanche elle est ruineuse sur le plan professionnel. Elle n’est pas à l’abri du risque de requalification si elle ne peut être motivée sur un plan économique. »

– Michel Watrelos : : « L’abus de droit ne se discute pas, en revanche il serait intéressant d’interroger l’administration fiscale quand l’argent dégagé sert de levier économique pour investir dans d’autres officines. »

La vente à soi-même parce que le pharmacien marié sous le régime de la communauté divorce

– Olivier Delétoille : « L’opération est légitime. Le pharmacien qui divorce doit faire face à des besoins financiers élevés, en particulier pour indemniser son conjoint. »

– Dominique Leroy : « Il doit verser une soulte à son ex-conjoint et, en cas d’emprunt, les intérêts et les frais de divorce sont déductibles de ses résultats. »

– Gérard Martinez : « Un vrai divorce (et non pas une séparation) est un cas qui permet d’écarter tout abus de droit car la justification patrimoniale est évidente. »

– Denis Dioque : « Dès lors que le passage en SEL présente un intérêt dans ce cas de figure, il y a donc un but autre que fiscal et donc pas d’abus de droit. Mais, dans la mesure ou l’épouse va percevoir la moitié du prix de vente de l’officine, on perçoit mal le bien-fondé de cette motivation. »

– Michel Watrelos : « Il y a une solution plus simple à mettre en oeuvre qui consiste à racheter les parts indivises de son conjoint. »

L’article L. 64 du Livre des procédures fiscales définit la procédure de répression des abus de droit.

Définition la vente à soi-même

Le pharmacien crée une structure d’accueil (une société) dont il conserve tout ou partie du capital. Celle-ci se porte acquéreur du fonds, des agencements et des matériels détenus jusqu’ici directement par lui dans le cadre de son entreprise individuelle. La société paye les droits d’enregistrement et les frais d’actes. Le financement est couvert par des apports en numéraire du pharmacien (résultant de la vente de l’officine) à la société et la souscription d’un emprunt par celle-ci. L’impôt sur la plus-value du fonds est payé au taux de 27 % au moment de la vente.

La vente à soi-même à une SEL dont le capital est destiné à être ouvert aux pharmaciens adjoints de l’officine

Pour tous nos experts, ce cas est inattaquable

Olivier Delétoille : « Pas de problème dès lors que la pharmacie est vendue au prix du marché et que le capital de la société est ouverte de manière significative aux associés. »

Dominique Leroy : « La structure juridique retenue peut être une autre forme sociétaire que la SEL. »

Pour Michel Watrelos, la SELARL est une option financièrement plus sécurisante que la SNC pour les associés.

Alexandre Biette : « La vente d’un fonds d’officine par un entrepreneur individuel à une société, personne morale, ne saurait relever de la procédure de répression des abus de droit dès lors que cette opération est menée avec précautions, dans un but non exclusivement fiscal et aux conditions du marché. Peu importe que la société qui achète soit une SEL ou non, que les résultats futurs soient soumis à l’IS ou à l’IR, et enfin que la société soit détenue par un ou plusieurs associés. Cette opération profite avant tout au fisc puisque l’impôt sur les plus-values sera honoré par le cédant et les droits d’enregistrement acquittés par la société. »

Denis Dioque : « Le passage en SEL est motivé par un projet professionnel destiné à permettre à des pharmaciens adjoints de devenir pharmaciens cotitulaires. Il faudra bien sûr être en mesure de justifier de la réalité de la motivation annoncée, notamment en cas de non-réalisation de l’opération. »

Gérard Martinez : « Je ne connais pas de ventes à soi-même de cette nature qui ont été remises en cause. »

A retenir

– avantages

– Le titulaire récupère une partie du produit de la vente dans son patrimoine privé.

– Le pharmacien ne change pas d’officine et d’équipe.

– La société déduit de son bénéfice imposable les intérêts de l’emprunt contracté pour l’acquisition du fonds.

– En optant à l’IS, le capital de l’emprunt est remboursé avec des résultats subissant une fiscalité d’entreprise.

– Il ne perd pas le contrôle puisqu’il dirige lui-même la société qui rachète la pharmacie.

– La SEL peut prendre des participations dans d’autres SEL.

– inconvénients

Ils sont essentiellement fiscaux :

– Puisqu’il vend, le pharmacien devra payer immédiatement l’impôt sur la plus-value constatée sur la vente du fonds (au taux de 27 %).

– Le patrimoine privé ainsi enrichi peut devenir imposable à l’ISF.

– La société qui achète devra s’acquitter des droits d’enregistrement, augmentés des frais d’actes.

La vente à soi-même alors que la pharmacie n’est pas en difficulté financière, mais que le titulaire veut payer moins d’impôts

Pour nos experts, ce cas est risqué… et à éviter

Olivier Delétoille : « Ce cas est rarissime. Sous prétexte de payer moins d’impôt, le pharmacien va en définitive s’appauvrir en acquittant immédiatement un lourd tribut fiscal. Cette opération patrimoniale n’est valable que si quatre conditions sont réunies : il faut une visibilité à long terme (au minimum 12 ans) sans ambitions de changement ; la rentabilité de l’officine doit se situer au-delà des normes professionnelles ; le niveau d’imposition sur les revenus actuels doit être élevé ; enfin et surtout, le passage en société, avec refinancement pour dégager des ressources, doit s’inscrire dans un projet professionnel ou personnel plus global. »

Dominique Leroy : « En réglant par anticipation la plus-value par rapport à la fin de son activité professionnelle, le pharmacien prend un risque en cas de baisse de la valeur du fonds et supporte, de fait, un taux réel financier supérieur (taux de 26,30 % équivalant à 39 % à dix ans et 47 % à quinze ans). »

Denis Dioque : « C’est l’exemple même de l’abus de droit : l’opération n’est faite dans but qu’exclusivement fiscal. »

Alexandre Biette : « Le doute concernant la notion d’abus de droit a été semé dans les esprits suite notamment à la diffusion en février 2004 d’une réponse donnée par un receveur divisionnaire à un contribuable, chirurgien-dentiste, au terme de laquelle l’administration se réservait la possibilité de recourir à la procédure de répression des abus de droit dans le cas où il apparaîtrait que l’opération a été conçue pour des raisons exclusivement fiscales… Et, plus récemment, suite aux commentaires qui font suite au dispositif exonératoire d’impôt sur les plus-values codifié à l’article 238 quaterdecies du CGI (cessions de branches complètes d’activités d’une valeur inférieure à 300 000 Euro(s)>). »

Dominique Leroy : « Il existe d’autres stratégies de défiscalisation à disposition du pharmacien. »

Michel Watrelos : « Un tel schéma ne vise que l’enrichissement personnel du titulaire qui récupère 73% de son capital professionnel. »