Cession d’officine : le juge peut-il intervenir sur le prix ?

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Cession d’officine : le juge peut-il intervenir sur le prix ?

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Publié le 30 septembre 2025
Par Anne-Charlotte Navarro
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Dans un contrat de vente, la détermination du prix est une question centrale. Pour autant, le juge intervient a minima sur cette question, laissant les parties libres en la matière. C’est ce qu’a appris un pharmacien dans le cadre de la cession de sa pharmacie.

Les faits  

Le 7 septembre 2015, la société en non collectif (SNC) pharmacie G conclut avec la société d’exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl) pharmacie B une promesse de cession de fonds de commerce. Ce contrat prévoit que le prix de cession sera fixé à 80 % du chiffre d’affaires (CA) annuel de référence. Les parties précisent que ce dernier correspondra au CA des « 12 derniers mois d’exploitation antérieurs à l’antépénultième mois précédant la cession, dont devront être retranchés divers éléments : les ventes de marchandises faites “hors comptoir”, la location de matériel médical, les ventes de marchandises associées à l’activité de location de matériel médical, les prestations de production faites avec les laboratoires pharmaceutiques, les indemnités d’astreinte et la somme forfaitaire de 20 000 € correspondant au “taux de substitution minimal” normalement attendu ». En cas de litige, les parties prévoient le recours à un tiers évaluateur, désigné conjointement ou, à défaut d’accord, par le président du tribunal de commerce de Niort (Deux-Sèvres).

Le 31 mars 2016, l’acte définitif de cession est signé. À cette date, la pharmacie G n’a pas encore arrêté ses comptes de l’année 2015, de sorte que le prix définitif ne peut pas être fixé. La pharmacie B paie alors un montant provisoire. Après communication des données comptables, un désaccord naît entre les parties concernant cette somme. Conformément au contrat, un expert est nommé, mais le différend persiste.

La pharmacie G assigne alors la pharmacie B en justice pour obtenir la fixation définitive du prix, qu’elle juge trop bas, et le paiement du solde restant dû.

Le débat

Le Code civil dispose que le prix de vente d’un bien ou d’un service doit être, lors de la conclusion du contrat, déterminé ou déterminable. Dans les contrats commerciaux, la jurisprudence considère que le juge ne doit intervenir qu’avec parcimonie sur ce point pour réparer un prix non sérieux ou, dans certaines ventes, une lésion.

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Dans ce contrat, les deux officines avaient précisé strictement les éléments à retrancher du chiffre d’affaires pris en compte pour le calcul du prix et les modalités de désignation d’un expert. Toutefois, pour l’une des officines, les évaluations financières finalement réalisées ne reflètaient pas la réalité.

Le 12 décembre 2023, la cour d’appel de Poitiers (Vienne) estime, comme le tribunal de première instance, que la vente s’élève à 1 035 820 €. Les magistrats retiennent que l’expert désigné d’un commun accord par les parties a fixé le chiffre d’affaires annuel à 1 471 682 €, ainsi que le montant des éléments à retrancher, de sorte que le prix final qu’il a obtenu peut être retenu.

La pharmacie G forme un pourvoi en cassation, estimant que le juge a dépassé ses fonctions en fixant lui-même le prix fondé sur les dires de l’expert.

La décision

Le 4 juin 2025, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel. Pour la haute juridiction, les magistrats de la cour d’appel ont bel et bien dépassé leur pouvoir : ils n’auraient pas dû calculer eux-mêmes le montant des éléments à retrancher du chiffre d’affaires annuel, sur lequel les parties étaient en désaccord, quand bien même ils n’ont fait que retenir les sommes admises par l’expertise. Ainsi, la Cour de cassation rappelle strictement le principe selon lequel le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties et/ou laissé à l’estimation d’un tiers, qui ne peut pas être le juge. Conformément au contrat, l’affaire est transmise au tribunal de Niort (Deux-Sèvres) pour que ce montant soit établi par un expert.

Source : Cass. com, 4 juin 2025, n° 24-11.580.

À retenir

  • Dans un contrat, les parties sont les seules compétentes pour déterminer le prix ou les éléments servant à l’établir.
  • À défaut d’accord, le juge ne peut intervenir que pour désigner un expert qui évaluera la valeur de l’objet du contrat ou des éléments précisés.