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Pharmaciens des villes et des champs
Les uns se sont installés au milieu de verts pâturages. Les autres préfèrent l’effervescence des centres-villes. Entre les deux, un fossé. Clientèle, segments porteurs, politique de prix, facilité d’installation… L’exercice en milieu rural ou citadin recèle des différences capitales. Témoignages.
Fuir le stress de peur qu’il ne vous rattrape pourrait être la devise de bien des pharmaciens installés à la campagne. Selon notre sondage Direct Medica, ces derniers sont en effet 74 % à penser que l’exercice y est moins stressant. Pour ceux qui s’installent en centre-ville, c’est l’argument économique qui prime : une majorité plaide pour un meilleur potentiel de clientèle (61 %) et une facilité de recrutement de l’équipe officinale (67 %).
Mais, au-delà de leurs aspirations personnelles, les pharmaciens qui ont choisi le milieu rural ou la ville ont des perceptions différentes de leur métier. A la campagne, c’est la proximité forte avec la clientèle qui a d’abord séduit bon nombre de titulaires (68 %). Là où le pharmacien est un vrai lien social qui n’hésite pas à livrer des médicaments à une patiente ou soigner des petits bobos. En revanche, ce sont davantage des raisons personnelles et familiales qui ont poussé les officinaux à s’installer dans Lyon, Bordeaux ou Paris (71 %). En particulier, les inquiétudes des pharmaciens quant à la poursuite des études des enfants sont déterminantes.
Remarquons en tout état de cause que les grands indicateurs économiques sont relativement proches aussi bien pour l’une que pour l’autre pharmacie. Chiffre d’affaires, marge et part de marché varient très peu dans les deux cas. La preuve que l’une n’a rien à envier à l’autre
Le match en cinq points
1 A la campagne, prime aux premières installations ; en ville, logique patrimoniale
Où fait-il bon s’installer ? D’après la dernière enquête de l’Association de pharmacie rurale (APR), plus de 76 % des transactions en zone rurale sont des premières installations. On est loin de l’idée reçue selon laquelle les jeunes fuient la campagne. « Une première installation en zone rurale fait partie d’une stratégie de carrière, explique Romuald Plantady, du cabinet de transactions DGM Conseil. Durant les premières années, un pharmacien peut acquérir une officine à moindre coût et capitaliser pour, ensuite, réinvestir dans une affaire plus importante, située en centre-ville. » Pour preuve, DGM Conseil, qui officie dans l’Auvergne et le Limousin, réalise 90 % de ses transactions en milieu rural pour une première installation, tandis qu’en centre-ville 70 % des pharmaciens rempilent pour la deuxième voire la troisième fois. Ce qui attire les jeunes vers les pharmacies de l’Ariège ou de la Creuse, c’est d’abord les prix, souvent plus abordables. « Une pharmacie située au centre de Clermont-Ferrand se vend de 90 à 110 % de son chiffre d’affaires. A cinquante kilomètres de là, le même profil d’officine affiche un prix de vente à 60 %», précise Romain Plantady. «J’ai acheté cette petite pharmacie de 40 mètres carrés à 80 % de son chiffre d’affaires. J’aurais dû débourser davantage si elle avait été située dans une grande ville », confirme Rachid Bahloul. Ce jeune pharmacien a quitté le soleil d’Aix-en-Provence pour Montel-de-Gelat, un village de 520 habitants situé dans le Puy-de-Dôme.
Alors, l’officine à la campagne, une bonne affaire ? Pas forcément, car la tendance semble s’inverser. « A la campagne, dans les villages qui ne sont pas menacés de désertification, la valeur des officines augmente », note Yves Trouillet, président de l’APR. Si bien qu’il semble se dessiner une campagne à deux vitesses. La première est celle des bourgs dynamiques, disposant de cabinets médicaux et dont la cote ne cesse de monter. Ainsi, à Vernou-sur-Brenne, dans la campagne tourangelle, Nicolas Hay a acheté sa pharmacie 92 % de son chiffre d’affaires. Une population de personnes âgées fortement consommatrice de médicaments, plusieurs médecins dans le village, une maison de retraite à quelques mètres et la proximité de Tours, située à trente kilomètres, ont valorisé cette pharmacie de village.
De même, Corinne Venzac s’est installée dans la seule officine du village de Lézat-sur-Lèze, à quarante kilomètres de Toulouse, au coeur de l’Ariège. Une concurrence quasi inexistante s’ajoute à l’arrivée de jeunes couples citadins épris de nature. « J’ai acheté cette officine à 100 % du chiffre d’affaires, alors qu’en centre-ville la valeur de certaines officines, qui subissent la concurrence du discount, commence à baisser », note la pharmacienne qui a fait ses premières armes dans des officines du centre de Toulouse. En revanche, dans les villages particulièrement reculés, les médecins s’en vont et le nombre d’habitants baisse de jour en jour. « Ces officines sont très fragiles car la présence d’un cabinet médical est essentielle pour assurer la viabilité économique des pharmacies rurales », analyse Yves Trouillet. Alors, forcément, la valorisation s’en ressent. « Dans certaines zones où il n’y a pas de médecins, les pharmacies se vendent à moins de 30 % de leur chiffre d’affaires et trouvent difficilement preneur », s’inquiète Romain Plantady, de DGM Conseil.
Mais quand les pharmaciens choisissent de s’installer en centre-ville, l’emplacement de l’officine est déterminant. « C’est davantage une logique d’investissement patrimonial », explique Karim Arnoux, cotitulaire de la Pharmacie de la Rotonde à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Le calcul de ce trentenaire, qui a acheté une pharmacie située dans le très commerçant cours Mirabeau, est bien différent de ses confrères ruraux. « Mon objectif était de faire partie des pharmacies les mieux armées pour faire face au libre accès et à une probable ouverture du capital », assure Karim Arnoux.
Le choix de s’installer à la ville ou à la campagne peut évidemment être aussi guidé par des motivations plus personnelles. « Quand les enfants grandissent, la poursuite des études est difficile dans les zones reculées. C’est aussi ce qui incite les pharmaciens à quitter la campagne pour la ville après avoir passé leurs premières années d’exercice en milieu rural », note Yves Trouillet. C’est par exemple ce qui a motivé Chantal Defaux, à s’installer au coeur de la principale rue piétonne de Lyon. « Au départ, j’étais attirée par la campagne en raison de la qualité de vie et de la proximité avec les clients », explique-t-elle. Ses préoccupations de mère de famille ont vite pris le dessus. « J’ai choisi de m’installer à Lyon pour que mes deux enfants puissent faire leur scolarité normalement, sans obstacle géographique. »
2 Economie : la campagne n’a rien à envier à la ville
Pour faire fructifier son affaire, vaut-il mieux être pharmacien des villes ou des champs ? Etonnamment, la plupart des gros indicateurs d’activité se ressemblent. Quand un officinal citadin réalise un chiffre d’affaires moyen de 1,45 MEuro(s), son confrère à la campagne engrange des recettes légèrement supérieures, d’environ 1,55 MEuro(s) (voir tableau ci-contre). La part de marché des pharmaciens des champs (14,4 %) est, elle, légèrement inférieure à celle des officines de centre-ville : 16,8 % (celles des banlieues font 22 % du marché, celles de zones rurbaines 19,1 %, de zones ouvrières 21,7 %, et de centres commerciaux 6 %).
Quant aux marges, elles avoisinent les 27 % dans les deux cas. Qu’est-ce qui explique une telle similitude ? D’un côté, les pharmaciens installés en centre-ville bénéficient d’une demande importante de produits non réglementés, comme la cosmétique et la parapharmacie, qui permettent d’étoffer leur marge. A l’inverse, une officine rurale réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires avec les ordonnances. D’un autre côté, les charges fixes d’une pharmacie de ville sont souvent plus importantes. « En ville, la rentabilité est plus difficile car, en plus d’un bail commercial élevé, la large amplitude horaire oblige le titulaire à renforcer son équipe », explique Patrick Zeitoun, président de l’Union des pharmacies de la région parisienne. A titre d’exemple, Nicolas Hay, à Vernou-sur-Brenne, a réduit ses horaires de douze heures par semaine depuis qu’il a quitté le centre-ville d’une commune voisine. « Pour faire face à la concurrence des pharmacies voisines et drainer une clientèle suffisante, je restais ouvert 51 heures par semaine », indique Nicolas Hay.
A Aix-en-Provence, Karim Arnoux a choisi « une pharmacie de taille conséquente, où une partie du développement avait été menée ». Son objectif ? « Avec une gestion menée au mieux, je veux donner à l’officine toutes les armes nécessaires pour résister aux différentes agressions d’un environnement qui se durcit. » En revanche, en s’installant dans le Puy-de-Dôme, Rachid Bahloul a parié, lui, sur un vrai potentiel de développement. « Trois ans après l’acquisition, j’ai pu transférer ma pharmacie dans un ancien hôtel, situé dans le village, et multiplier par cinq mon espace de vente », raconte-t-il. Un projet qu’il n’aurait pas pu mener à bien au coeur d’une ville au vu de la densité des commerces. Du coup, l’heureux pharmacien a pu considérablement augmenter son chiffre d’affaires, passé de 900 000 à 1,2 million d’euros en moins de quatre ans.
3La bataille des prix contre une concurrence inexistante
L’environnement concurrentiel divise pharmacies des villes et pharmacies des champs. « Souvent, il n’y a qu’une officine dans un village. Cette absence de concurrence est l’un des principaux avantages de l’exercice rural », note Yves Trouillet. C’est justement ce qui a séduit Claude Graindorge quand il s’est installé en 1970 à La Ferrière-sur-Risle, un village d’à peine 200 âmes de l’Eure. «Je ne voulais pas m’installer dans un village où coexistaient deux pharmacies par crainte d’une trop forte concurrence. Ici, je suis la seule officine, la plus proche est située à neuf kilomètres de là. » Avec une clientèle acquise, pas de concurrence frontale, l’exercice du métier semble plutôt privilégié. « J’exerce mon métier tranquillement, sans stress », raconte le pharmacien.
Cette quasi-absence de concurrence a une incidence sur la politique de prix. « En zone rurale, le prix ne joue pas sur le comportement d’achat des patients », arguë Jean D., le pharmacien d’un village auvergnat qui a tenu à garder l’anonymat. Les officines rurales se contentent donc souvent d’afficher des prix raisonnables, dans la moyenne du marché. Sans pression. Pour autant, cette absence de concurrence ne permet pas aux pharmacies des champs d’étoffer leur marge davantage qu’en ville. « A la campagne, nous réalisons 90 % de notre chiffre d’affaires avec les ordonnances, confirme Nicolas Hay à Vernou-sur-Brenne. Nous ne pouvons pas être compétitifs sur les produits non réglementés car leur volume est trop faible. »
En revanche, dans les grandes villes, la mentalité et l’ambiance changent. A la Pharmacie de la Rotonde, à Aix-en-Provence, Karim Arnoux se bat sur les prix. « En ville, nous sommes obligés d’avoir une politique de prix juste. Même si je refuse de pratiquer du discount, je m’efforce d’avoir des prix très attractifs. C’est indispensable pour faire du volume et pour remplir mon objectif de taux de rotation de deux mois au maximum par référence », explique le pharmacien.
Si la guerre des prix est souvent incontournable en centre-ville, il est possible d’y échapper. A Lyon, Chantal Defaux refuse « d’être une marchande de tapis ». Pour autant, la proximité de parapharmacies à bas prix a un impact direct sur ses affaires. « Pour être compétitive, j’ai rejoint un groupement pour bénéficier de conditions d’achat plus avantageuses et proposer des prix compétitifs à ma clientèle », raconte-t-elle. Une stratégie gagnante puisque cette pharmacie lyonnaise augmente régulièrement son chiffre d’affaires annuel de 7 %. Ce n’est pas tout. Les pharmaciens qui ont choisi de s’installer en ville savent qu’ils ne doivent pas compter sur leurs acquis mais se remettre en cause en permanence. Véronique Merly, titulaire de la Pharmacie des Halles, située au coeur d’un quartier touristique de la capitale, s’efforce de rendre ses vitrines toujours plus attractives, de jouer sur les lumières, de créer des animations qui attireront le regard. « Je réalise des travaux de rénovation régulièrement », précise-t-elle. Histoire de garder sa pharmacie au goût du jour.
Mais les choses changent. La surenchère de prix toujours plus bas tend, progressivement, à envahir les villages. De jeunes couples avec enfants, poussés hors des villes par la flambée de l’immobilier, se réfugient à la campagne. C’est notamment le cas dans les zones situées à moins de soixante kilomètres d’une grande ville, comme Toulouse, Lyon ou Nantes. Corinne Venzac peut en témoigner. Cette pharmacienne des villes installée à Lézat-sur-Lèze a vu débarquer une nouvelle population dans ce petit village situé dans la seconde couronne de Toulouse. « Des familles, qui travaillent à Toulouse, sont venues vivre dans les villages alentour », observe l’officinale.
Principale conséquence ? Une nouvelle politique de prix afin d’éviter que ces nouveaux habitants aillent se fournir dans les pharmacies discount de la ville ou les parapharmacies des centres commerciaux. « Pour les nouveautés ou les produits de parapharmacie à forte notoriété, nous faisons un effort supplémentaire sur les prix en nous alignant sur le prix moyen constaté en centre commercial », explique Corinne Venzac, qui n’hésite pas à demander chaque mois des relevés de prix des officines à un organisme de statistiques. Il est probable que la nouvelle génération de pharmaciens ruraux aura, comme le montre l’exemple de cette pharmacienne, le nez plus collé dans les chiffres. A l’inverse de Jean D., sexagénaire, qui avoue sans sourciller « connaître depuis peu le montant de son chiffre d’affaires ». La fin d’une époque…
4De la parapharmacie en ville, du MAD à la campagne
Que référencer selon que l’on exerce à la campagne ou en centre-ville ? Le schéma classique consistant à opposer le développement de la parapharmacie en ville et le médicament à la campagne a encore la vie dure. Question de typologie de clientèle. Les officinaux sont en effet forcés de s’adapter à la demande. Ainsi, il n’est pas vraiment étonnant de constater qu’à la Pharmacie des Halles, à Paris, Véronique Merly réalise 48 % de son chiffre d’affaires avec les produits de parapharmacie et d’OTC. « Je prends toutes les marques de cosmétiques afin d’offrir le plus grand choix possible », indique-t-elle. Ce large référencement en shampoings, crèmes pour le corps ou hygiène buccodentaire est une condition sine qua non en ville pour rester compétitif.
En revanche, à Montel-de-Gelat, dans le Puy-de-Dôme, l’activité de Rachid Bahloul est liée aux ordonnances dans 90 % des cas. Cette répartition n’est pas forcément un bon point pour les officines des champs. « La possibilité d’augmenter la marge est plus réduite. Il faut alors compenser en gérant notre stock a minima », explique Rachid Bahloul. Il faut dire, au-delà de la demande de la clientèle, qu’il est plus facile de référencer la dernière crème bio tendance à Paris plutôt qu’en Lozère. « Les pharmacies citadines sont contactées par tous les laboratoires au moins une fois par an, même si elles ne sont pas clientes. Pour les laboratoires, le lancement d’une marque doit d’abord se faire en ville », ajoute Patrick Zeitoun, président de l’URPP.
Pour autant, la parapharmacie ne semble plus vraiment incontournable pour faire fructifier son chiffre d’affaires dans les officines citadines. La raison ? La concurrence, de plus en plus forte, incite les pharmaciens à se démarquer. C’est le cas de Chantal Defaux. Située dans l’une des deux rues piétonnes de Lyon, son officine souffre de la proximité de parapharmacies discount et de grandes surfaces. « Au vu de la concurrence du secteur, la parapharmacie ne peut plus être stratégique, affirme la pharmacienne, qui s’en est désinvestie. Je référence seulement des gammes de niche, plus discrètes, comme Natescence ou Les trois Chênes, qui ne sont pas distribuées dans la grande distribution ou en parapharmacie. »
De même, Patrick Meunier, titulaire à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), ne mise pas sur les cosmétiques pour se développer. Un choix très personnel, cette fois. « Je ne voulais pas faire de parapharmacie. Je considère que mon rôle de pharmacien n’est pas là, mais dans le conseil et la délivrance de médicaments. » Et, même situé en plein centre-ville, face à la gare RER, il a les moyens d’assumer ses convictions. « Je réalise 90 % de mon chiffre d’affaires avec des ordonnances. »
A la campagne, c’est aussi la chasse aux idées reçues. Jusqu’ici, en effet, une officine rurale pouvait souvent se contenter de réaliser un chiffre d’affaires sur ordonnances, ni plus ni moins. Or, dans ces zones rurales, il existe de véritables vecteurs de croissance. Des potentiels qu’il ne faut pas laisser passer. « A la campagne il existe des spécialisations comme les produits vétérinaires ou le maintien à domicile qu’il est difficile de développer en ville », soutient Patrick Zeitoun. Des domaines réservés que Nicolas Hay, à Vernou-sur-Brenne, a su prendre d’assaut. « C’est par des spécialisations que le pharmacien rural pourra faire la différence », assure-t-il. La différence, Nicolas Hay l’a trouvée avec le maintien à domicile, un segment pourtant hors monopole officinal : « Nous avons été voir la maison de retraite voisine pour lui proposer nos services de location et de vente de lits. Aujourd’hui, les médecins de l’établissement passent même par l’officine pour les équipements de leur clientèle de ville. »
Mais, même à la campagne, tout peut changer. Malgré une concurrence plus faible, rien n’est immuable. Avec sa nouvelle clientèle, plus jeune, l’Ariégeoise Corinne Venzac ajuste non seulement ses prix mais également son référencement. « J’ai choisi de développer une gamme pour bébés et de la cosmétique biologique comme Nuxe ».
5 L’effervescence de la ville contre l’ambiance bon enfant à la campagne
C’est dans le rapport à la clientèle que l’écart entre la pharmacie des villes et celle des champs est la plus criante. Quand il s’installe en zone rurale, le pharmacien recherche d’abord un lien particulier avec la clientèle. Fait d’une grande proximité. C’est par exemple ce qui a motivé Corinne Venzac. « Je cherchais une qualité de vie, avec des gens moins pressés. Il est plus facile d’installer un dialogue au comptoir », assure la pharmacienne, habituée à l’effervescence du centre-ville. Et pour cause. Dans l’officine du village, tout le monde se connaît. « Les clients nous font la bise, parfois nous apportent des boîtes de chocolats. Nous connaissons l’historique des pathologies des patients et de leurs familles, ce qui facilite l’observance et le suivi thérapeutique », assure-t-elle.
Mieux : en zone rurale, le pharmacien, c’est un peu le notable du village. On lui fait confiance, on n’hésite pas à pousser la porte de l’officine pour un oui ou pour un non. Pour lever une inquiétude ou pour discuter, tout simplement. Bon enfant et convivial. Claude Graindorge peut en témoigner. Ce pharmacien installé de La Ferrière-sur-Risle est le seul professionnel de santé de ce petit village de 253 habitants. Et le dernier lien social. « La clientèle est âgée. Beaucoup viennent me voir avant d’aller chez le médecin, situé à quelques kilomètres, pour me demander conseil. Parfois, je vais même faire les courses pour une vieille dame qui ne peut pas se déplacer. Ce ne sont pas que des clients », raconte ce pharmacien à qui il arrive même de remplir les feuilles d’impôts de certains patients.
Pour les citadins, cette proximité avec la clientèle est trop forte. En s’installant à la Pharmacie des Halles, à Paris, Véronique Merly voulait, au contraire, « cloisonner la vie à l’officine et la sphère privée. A la campagne, le pharmacien est une figure trop connue pour qu’il puisse préserver son jardin secret », confie-t-elle. Plus anonyme, cette pharmacienne, dont la vaste officine de plus de cent mètres carrés est située dans un quartier très touristique, a le sentiment de ne pas s’engluer dans la routine. « A la campagne, où la quasi-totalité du chiffre d’affaires est liée à l’ordonnance, il n’y a pas de surprise. Ici, au contraire, je peux parler anglais avec des touristes, il y a une clientèle de bureau, une autre de quartier. Je vois des personnes très différentes. C’est plus excitant. » Cette effervescence d’une ville où tout bouge, où il n’y a pas de temps mort, est un stimulant particulièrement fort pour les pharmaciens des villes. Patrick Meunier, à Livry-Gargan, n’irait nulle part ailleurs. « J’apprécie l’anonymat du centre-ville car, quand je ferme la porte de ma pharmacie, ma vie professionnelle est derrière moi. »
Si l’activité en ville est moins routinière, est-elle pour autant plus stressante ? Pour Patrick Zeitoun, c’est l’un des principaux inconvénients des pharmacies purement citadines. « Le pharmacien doit gérer le stress des clients, qui s’impatientent vite en attendant leur tour. Il y a une pression supplémentaire, alors qu’en milieu rural le client attend sans sourciller. » Une affirmation que ne démentirait pas Karim Arnoux. Le titulaire d’Aix-en-Provence a fait du stress citadin une arme pour être plus compétitif. « Les clients, souvent mal garés et pressés, peuvent quitter une file d’attente s’ils attendent trop longtemps. Dans ma pharmacie, ils n’attendent guère plus de cinq minutes, au risque de les perdre. » Alors, dans cette grande officine de centre-ville, l’équipe officinale n’a pas vraiment de temps à passer pour discuter de la rougeole du petit dernier ou du résultat des dernières analyses de sang. « Il faut être très réactif. Nous allons droit au but. »
Dans cette course, où est le conseil ? « Quand certains clients ont besoin de plus de temps, moi et mon associé, qui ne sommes pas compris dans le planning du comptoir, venons en renfort servir au comptoir. Pour y parvenir, nous avons été obligés de renforcer nos équipes pour avoir des jokers afin de faire face aux gros pics d’activité », conclut Karim Arnoux, qui renvoie à une des principales contraintes économiques en centre-ville : des charges de personnel plus élevées.
Sondage directmedica
Sondage réalisé par téléphone du 21 au 23 avril 2008 sur un échantillon représentatif de 96 pharmacies en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.
Pourquoi vous êtes-vous installé en zone rurale ? (en %, plusieurs réponses possibles)
En 2008, quel bilan économique tirez-vous de l’activité de votre officine ?
Votre chiffre d’affaires est-il :
Quels sont les avantages à exercer en zone rurale ? (en %, plusieurs réponses possibles)
Quels sont les inconvénients à exercer en zone rurale auxquels vous êtes confronté ? (en %, plusieurs réponses possibles)
Pourquoi vous êtes-vous installé en centre-ville ?
(en %, plusieurs réponses possibles)
Le chiffre d’affaires est-il :
Quels sont les avantages à exercer en centre ville ?
(en %, plusieurs réponses possibles)
Quels sont les inconvénients à exercer en centre-ville ? (plusieurs réponses possibles)
Avis d’expert
« Dans un milieu citadin, le comportement des consommateurs peut être totalement différent d’une rue à l’autre, dans un même quartier. C’est pourquoi il est indispensable que le pharmacien connaisse son potentiel de clientèle selon l’âge, les revenus, les catégories socioprofessionnelles et la composition des familles de sa zone de chalandise. A la campagne, le pharmacien doit prendre conscience que sa clientèle risque de changer très vite. En effet, ces dernières années, les communes rurales, situées autour d’un pôle urbain, ont vu leur densité multipliée par sept. Ainsi, de nombreux villages connaissent un afflux d’une population citadine, essentiellement de jeunes couples avec enfants. Les pharmacies rurales vont donc avoir une nouvelle clientèle, avec des comportements de consommation différents. Elles devront faire évoluer leur offre en conséquence, par exemple en ce qui concerne la parapharmacie. Il est essentiel que les pharmacies, tout en capitalisant sur leur savoir-faire, prennent conscience des nouvelles mutations des campagnes. »
Christophe girardier
Président d’Asterop (société de géomarketing)
Trois questions à Karim Zinaï, médecin et dirigeant d’almedys santé (conseil en marketing santé)
« A la ville comme à la campagne, toujours faire une étude de marché ! »
Est-il important qu’un pharmacien ait une démarche marketing pour son point de vente ?
C’est essentiel. Trop de pharmaciens se sentent bridés par leurs restrictions statutaires. Pourtant, la concurrence entre les officines rend indispensable une réflexion marketing pour mettre en avant les produits qui correspondront davantage à leur clientèle. Pour cela, je conseille aux officinaux, qu’ils soient en ville ou à la campagne, de mener une étude de marché pour savoir à quelle clientèle ils s’adressent et quels services ou conseils lui offrir. C’est un préalable indispensable à l’exercice officinal.
Quelle stratégie marketing conseillez-vous d’appliquer aux pharmaciens installés en centre-ville ?
Ses choix marketing doivent être d’abord guidés par la capacité de certains produits à générer plus de marge, tout en optimisant les volumes. En centre-ville, la préoccupation de l’officinal est de gérer au mieux la concurrence frontale avec d’autres pharmacies et de capter des clients potentiels. Pour cela, je recommande aux pharmaciens de ville de mettre en avant des produits valorisant le conseil, notamment sur les gammes dermocosmétiques, bio et diététique, particulièrement demandées par la clientèle de centre-ville. Il est judicieux également de surveiller de près les campagnes publicitaires réalisées par les laboratoires et de les relayer afin de doper l’attractivité du point de vente à moindre frais promotionnels auprès d’une clientèle déjà sensibilisée.
Et la stratégie marketing à la campagne ?
Même si la concurrence est plus faible en milieu rural, un pharmacien installé à la campagne doit également réfléchir à une vraie stratégie marketing. Dans un environnement rural, il y a une plus grande facilité à établir le dialogue, les gens se connaissent, le bouche-à-oreille fonctionne mieux. Il est judicieux, dans ce contexte précis, de mettre l’accent sur les services à la personne, de proposer des programmes d’observance à ses patients ou encore une animation sur les produits diététiques. En outre, même à la campagne, les pharmaciens doivent négocier des conditions commerciales attractives, par exemple en se regroupant entre plusieurs pharmaciens des communes voisines, afin de bénéficier des conditions commerciales aussi attractives que des pharmaciens de ville, qui sont souvent rassemblés en groupement d’achats. Lorsque les volumes commandés sont importants pour obtenir de meilleurs prix auprès des fournisseurs, la mise en oeuvre d’une stratégie de marketing santé devient cruciale.
Portrait-robot de la pharmacie rurale
Comment se porte l’économie de l’officine rurale ?
– Le chiffre d’affaires a progressé de 1,38 % en 2006 (+ 4,87 % en 2005), mais – 3 % en 2007 !
– La marge commerciale, stable, se situe à 27,31 % du chiffre d’affaires
– Les charges financières augmentent légèrement, affichant un taux de 0,80 % du CA
Quels sont les secteurs porteurs ?
– Le médicament remboursable
– Le médicament conseil
– Le MAD et l’HAD
– L’orthopédie
Quels sont les secteurs en baisse?
– Les produits vétérinaires
– La parapharmacie
– L’homéopathie
Quel est l’environnement des pharmacies rurales ?
– En 2007, le nombre de médecins a baissé dans 30,17 % des cas
– Cela représente un risque à moyen terme pour 63,36 % des pharmacies rurales
Qui est le pharmacien rural ?
– Un homme à 53,02 %
– Un « primo-installé » (76,29 %)
(Source : enquête économique 2007 réalisée par APR et Fiducial)
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