Des regroupements réussis

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Publié le 27 mars 2010
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Sous la pression de l’économie, des pharmaciens se regroupent. Ceux qui ont franchi le Rubicon ne le regrettent pas. Ils ont gagné en efficacité et en qualité d’exercice professionnel. Témoignages.

Au Havre, des efforts partagés

En plein centre-ville du Havre (Seine-Maritime), deux pharmaciens installés à 100 mètres l’un de l’autre, Jean-Paul Robin et Martine Clerc, se sont regroupés dans un troisième local plus attractif et plus spacieux. Concrétisé en mai 2005, ce projet a connu une longue et difficile gestation de deux ans (à l’origine, ils devaient même se regrouper à trois). « Il a fallu se battre, lutter contre l’adversité. Cela a eu le mérite de lisser les problèmes de l’association », confie Martine Clerc. « Se soutenir mutuellement dans les moments difficiles, rien de tel pour sceller une union ! », reconnaît aussi Jean-Paul Robin. Pour trouver l’âme soeur, ce pharmacien n’a pas cherché à se regrouper avec le confrère voisin qu’il connaissait le mieux. « L’association, c’est comme un mariage, il ne faut pas trop se fréquenter avant, car trop se connaître n’est pas toujours un avantage », note-t-il avec humour.

Le regroupement est plus facile à orchestrer quand il tend vers une répartition égalitaire des titres de la nouvelle société. Les deux pharmacies havraises n’étaient pourtant pas de taille similaire : celle de Jean-Paul Robin était exploitée en SELARL et réalisait avant fusion un chiffre d’affaires de 1,3 million d’euros, tandis que Martine Clerc exerçait en nom propre dans une pharmacie de 700 000 euros. Après valorisation des fonds à 85 % du CA TTC, chaque associé a apporté à la SELARL un actif épuré des dettes et pris une participation de 50 % dans le capital de la société, ce qui a conduit Martine Clerc à verser à Jean-Paul Robin une soulte égale à la différence d’apport. « L’emprunt contracté par la société n’a servi qu’à financer le local et les travaux, les échéances de remboursement sont donc beaucoup plus supportables que dans l’achat classique d’un fonds », souligne Jean-Paul Robin.

Tous deux savaient qu’ils ne pourraient pas gagner d’entrée sur tous les tableaux. Sur le plan commercial, le regroupement a fait perdre immédiatement 5 % de clientèle à la nouvelle pharmacie par rapport à la somme des deux clientèles avant fusion. Mais un local de 400 m2 a permis au tandem de mieux exposer les gammes, d’offrir une qualité de service supérieure et de développer de nouveaux secteurs. « Nous avons récupéré les jeunes mamans du quartier », indique Martine Clerc. A ce jour, Jean-Paul Robin estime le gain de clientèle à 20 %. La rentabilité, elle, est au-dessus de la moyenne. Avec un chiffre d’affaires consolidé de 2,5 millions d’euros, la pharmacie est largement au-dessus du seuil d’« unité économiquement viable ».

« Les fortes personnalités doivent apprendre à mettre en sourdine certains traits de caractère », conseille-t-il. Ce qui ne veut pas dire tirer un trait sur ses aspirations personnelles. « Pour qu’une association tienne, il faut travailler à la fois pour la communauté et pour soi-même. Il est important de se ménager des créneaux pour favoriser l’épanouissement personnel. Chaque associé doit faire preuve à la fois d’altruisme et d’égoïsme bien dirigé. Par exemple, je me suis fait plaisir en développant des actions de dépistage dans l’officine, je m’apprête maintenant à suivre un stage de pharmacie vétérinaire, les retombées profiteront aussi à la communauté. »

A Biarritz, l’effet de taille a porté ses fruits

En 2006, Jean-Philippe Brochot et Laurent Charrin, cotitulaires à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), ont regroupé leurs deux officines dans une troisième pharmacie mieux située, qu’ils ont rachetée ensemble.

Quatre ans plus tard, pas de regrets. « Nous avons dépassé le montant de nos deux anciens chiffres d’affaires », indique Jean-Philippe Brochot. Par ailleurs, la nouvelle structure parvient à dégager plus de marge.

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Pourtant, tout n’a pas été rose au départ. « Les lenteurs administratives nous ont été préjudiciables sur le plan commercial, se souvient-il. Les banques se sont montrées frileuses et nous avons dû en changer et payer des pénalités de remboursement anticipé. La fusion des stocks a été pénalisante, il nous a fallu plus d’un an pour les épurer. »

Aujourd’hui, grâce à l’effet de taille, ces deux pharmaciens sont sortis de l’impasse économique et ont retrouvé de belles perspectives d’évolution. « Nous avons ouvert de nouveaux marchés et obtenons maintenant de meilleures remises commerciales, nous avons également gagné en qualité de vie. »

A Vervins, un avantage économique

Pour Hubert Goubet, l’intérêt d’un regroupement est d’abord économique. « Il permet de lutter contre la spirale infernale des charges et d’abaisser de façon importante les frais fixes en proportion du chiffre d’affaires. La pharmacie fonctionne, en effet, avec le même fond de stock pour un chiffre d’affaires supérieur », raconte ce pharmacien installé à Vervins (Aisne).

Cet intérêt économique est renforcé dans les communes rurales où ne cohabitent que deux officines. Ainsi, en fusionnant, elles ne souffrent pas de la concurrence et ne risquent pas de perdre une partie de leur clientèle au profit d’une autre pharmacie. C’est le cas de Vervins. Ainsi, avant la fusion, Hubert Goubet coexploitait une SNC en compagnie de deux autres associés. Avec l’un d’eux, il installe un jeune diplômé dans l’autre pharmacie de la commune et créé pour la circonstance une SELARL dans laquelle ils détiennent la même participation minoritaire dans le capital. En 2006, le regroupement intervient : la SELARL rachète la SNC. La nouvelle pharmacie unique de Vervins réunit les quatre associés et compte parmi les pharmacies les plus importantes du département de l’Aisne. « Le nouveau local a permis d’avoir un parc plus important en matériel médical. La pharmacie est en mesure de répondre immédiatement à toute demande de lit médicalisé », précise-t-il.

C’est sans conteste les aspects humains du regroupement qui sont les plus difficiles à maîtriser. « La cohabitation des équipes et la mise en route managériale ne sont pas forcément évidentes car chaque équipe a ses méthodes de travail, concède-t-il. De même, au niveau des quatre titulaires de la pharmacie regroupée, chacun doit trouver sa place. »

Aujourd’hui, deux des quatre associés s’apprêtent à revendre leurs parts. « Les associés investisseurs doivent prendre des participations identiques et, si possible, en même temps. Si l’un a un temps de retard sur les autres, des problèmes risquent de survenir au moment de la valorisation et du rachat des parts. » D’où l’importance de bien choisir ses associés et de définir un projet commun.

Qui a intérêt à se regrouper ?

Toutes les pharmacies ne sont pas forcément adaptées à un regroupement. Quel est le profil type de deux officines candidates à une fusion ?

-Des titulaires motivés qui souhaitent travailler en association

-Un projet de développement commun

-Un environnement économique favorable

-Des petites officines ou de taille similaire

-Des officines en difficulté

-Des pharmacies dont les services supposent de lourds sacrifices (obligations d’ouverture et de présence du pharmacien, niveau de stock minimum, etc.)

-Des structures dans lesquelles d’importants investissements sont nécessaires pour survivre

Les plus et les moins

-L’augmentation de la force commerciale

-L’amélioration des conditions d’achats

-L’abaissement des frais fixes en proportion du chiffre d’affaires

-La possibilité de créer des secteurs spécialisés

-L’amélioration de la qualité globale du service offert aux clients avec des agencements de qualité, un espace client, des ressources humaines plus importantes.

-Une qualité de vie supérieure pour les associés

-Le coût non négligeable de cette opération

-Le risque de perte d’une partie de la clientèle

-La gestion des « doublons » en matière de personnel, de stock, d’informatique, etc.

-Les incertitudes de la vie en association

-Le délai d’ouverture de l’officine en cas de nouvel emplacement

-La fusion des équipes, les difficultés de gestion du personnel

-La menace d’un transfert