Management : pharmacie sous pression !

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Management : pharmacie sous pression !

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Publié le 22 mars 2022
Par Yves Rivoal
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Système D, digital, recrutement, management, groupement… Les titulaires ont activé tous les leviers possibles pour aider leurs équipes à résister à la vague Omicron qui a submergé les officines ces trois derniers mois. 

« Au plus fort de la campagne de dépistage en janvier dernier, nous avons réalisé jusqu’à 500 tests antigéniques par jour, contre une cinquantaine avant les fêtes, avec un flux de clients qui poussaient les portes de l’officine multiplié par 2, voire 2,5 certains jours ». A la tête de la pharmacie de la Creule à Hazebrouck (Nord), Domitille de Bretagne n’a pas oublié le pic d’activités que son équipe officinale a dû affronter en ce début d’année. Un pic qui a obligé de nombreux titulaires à repenser leur mode de management et leur organisation pour assurer la continuité de l’activité.Titulaire de la Pharmacie de Corbiac à Saint-Médard-en-Jalles (Gironde), Xavier Mosnier-Thoumas a par exemple fait évoluer son mode de fonctionnement. « Si nous avons réussi à plutôt bien gérer l’afflux de patients pendant les fêtes, à partir du 3 janvier, je me suis retrouvé en équipe réduite et là, nous avons explosé. Je me suis donc posé pour voir comment je pouvais réorganiser mes journées. Cela m’a amené à prendre la décision d’arrêter les tests sans rendez-vous, sauf pour les patients ayant une prescription médicale. En faisant cela, j’ai repris la main sur mon organisation, ce qui nous permet du coup de mieux gérer les ordonnances ». Pour réaliser 4 300 tests antigéniques en janvier, tout en continuant à vacciner contre le Covid-19 et la grippe, Cathy Taillandier, titulaire de la pharmacie Bellefontaine à Marseille (Bouches-du-Rhône), a, elle, constitué un pool de préparateurs et de pharmaciens volontaires. « Ces deux activités étant fatigantes et stressantes, nous avons mis en place deux équipes qui tournaient à tour de rôle afin d’éviter toute lassitude et de conserver un service de qualité au comptoir », confie cette pharmacienne Lafayette qui a aussi décidé de déléguer entièrement à l’une de ses pharmaciennes adjointes la gestion de la vaccination.

Le digital à la rescousse

La quasi-totalité des pharmacies a aussi adopté des modules de prise de rendez-vous du marché ou de leur groupement pour automatiser la gestion des tests et de la vaccination. La pandémie s’est aussi traduite par une explosion du nombre d’appels téléphoniques au comptoir. « En janvier, nous recevions plusieurs centaines d’appels par jour qui mettaient à mal la bonne prise en charge des patients et épuisaient l’équipe, se souvient Domitille de Bretagne. Nous avons d’abord décidé de faire télétravailler un membre du personnel vers lequel nous transférions les appels sur son téléphone et qui s’occupait en parallèle de la saisie des tests. En cas de besoin, il transférait les appels au comptoir ». Lorsque son groupement (Giropharm) lui propose en début d’année de tester une solution de standard automatique, elle saute sur l’occasion. « Et je ne le regrette pas, assure la titulaire. Grâce à un système d’arborescence qui oriente les patients vers un répondeur leur donnant l’information dont ils ont besoin pour la vaccination ou les tests, ce standard filtre jusqu’à 80 % des appels. Du coup, lorsque l’on décroche, c’est pour répondre à de vraies questions pharmaceutiques, et l’équipe est beaucoup moins sous pression ».
 

Des chemins de traverse

Au plus fort de la crise, de nombreux titulaires ont cherché à recruter. Mais dans un contexte de pénurie de candidats chez les préparateurs et les pharmaciens adjoints, il leur a fallu parfois emprunter des chemins de traverse. Dans son officine à Marseille, Cathy Taillandier a, par exemple, eu recours à l’intérim. « Mon équipe étant fatiguée physiquement et psychologiquement, j’ai recruté trois préparateurs et un pharmacien adjoint depuis le mois de novembre dernier grâce à un partenariat de longue date avec une agence d’intérim ». En janvier, elle a également fait appel à trois aides-soignantes pour réaliser les tests antigéniques. Titulaire de la grande pharmacie de la Poste à Châtillon (Hauts-de-Seine), Marianne le Bruchec, n’a, elle, pas hésité à sortir du cadre habituel. « Comme je n’arrivais pas à trouver de pharmaciens ou de préparateurs, j’ai finalement recruté en CDI une femme d’une cinquantaine d’années venue me proposer ses services à la pharmacie, raconte cette pharmacienne Pharmodel. Ancienne visiteuse médicale, elle venait de terminer un master en communication des entreprises pour lequel elle avait rédigé un mémoire sur la prise en charge des seniors. Je me suit dit qu’elle pourrait répondre aux appels, gérer les factures fournisseurs, traiter les courriers qui s’accumulaient sur mon bureau… ». Trois mois après cette embauche, Marianne le Bruchec ne regrette pas son choix. « Comme elle décroche désormais le téléphone, seulement 10 % des appels arrivent au comptoir parce qu’ils nécessitent l’expertise d’un pharmacien. Et comme elle est aussi très dynamique et joyeuse, elle nous aide à canaliser les clients qui ont tendance à s’énerver dans la queue ».

Le management en renfort

Certains titulaires ont aussi cherché à faire évoluer leur mode de management. « En ce moment, des pharmaciens me contactent pour remotiver leurs équipes, confirme Laurence Ledreney-Grosjean, la directrice de Paraphie, une société spécialisée dans le conseil en stratégie de développement officinal. Pour ce faire, j’emploie la méthode arc-en-ciel DISC. Elle permet aux salariés de mieux comprendre le mode de fonctionnement de chacun et de vider leur sac. Ce qui au final aide à relativiser les choses et à développer les complémentarités et l’entraide ». Dans son officine, Cathy Taillandier a, elle, continué d’organiser régulièrement des réunions avec l’ensemble de son équipe. « Quand vous avez la chance d’avoir des collaborateurs dévoués et impliqués, il est normal de s’intéresser à leur ressenti, souligne la titulaire. D’autant que ce feed-back permet souvent de faire émerger des idées nouvelles. L’une de nos préparatrices nous a par exemple incités à adopter la solution de Pharmasoft, qui nous permet de gagner un temps fou sur l’enregistrement des patients et la transmission des résultats des tests antigéniques au Si-DEP ». Domitille de Bretagne fait, elle, évoluer son organisation en fonction de l’état de fatigue des uns et des autres. « Lorsque je sens qu’un collaborateur est en difficulté, je m’arrange pour lui aménager ponctuellement un planning qui va permettre de se reposer trois jours consécutifs », confie cette pharmacienne.
 

Les groupements à la manoeuvre

Depuis le début de la pandémie, les groupements mettent aussi les petits plats dans les grands pour accompagner leurs adhérents sur ces questions de management et d’organisation. « Rien que sur le mois de janvier, nos adhérents ont réalisé deux millions de tests antigéniques…, dévoile Pascal Fontaine, le directeur commercial de Pharmacie Lafayette. Pour les aider à bien gérer la situation, nous les avons accompagnés dans la mise en place de bonnes pratiques, comme des files d’attente distinctes pour éviter les croisements de flux entre les patients venant pour une ordonnance et ceux qui venaient chercher le résultat de leurs tests antigéniques ». Chez Univers Pharmacie, les huit coachs terrain ont mis la main à la pâte lors de la visite mensuelle qu’ils effectuent chez tous les adhérents. « Ils ont déballé les cartons qui s’entassaient dans la réserve, rangé les produits en rayon, déployé la PLV sur les points de vente, géré les têtes de gondole… », souligne Daniel Buchinger le président du groupement. Les réseaux ont aussi beaucoup investi dans la formation et l’information de leurs adhérents. « Nous avons mis en place des modules de formation sur les tests antigéniques et la vaccination pour apprendre aux équipes, lors de classe virtuelle, à réaliser les gestes, note Sophie Rey, la directrice d’Alphega Pharmacie. Nous les aidons également à décrypter les évolutions réglementaires qui arrivent souvent la veille pour le lendemain en leur adressant une newsletter dès qu’un DGS Urgent important est publié ». Giropharm a de son côté mis en place une hotline accessible par mail ou par téléphone. Pharmodel Group est allé jusqu’à mettre en place un dispositif de coaching solidaire pour aider, en plus de son programme existant Mon Coach byD. « Les remontées de nos affiliés faisant état pour certains d’une situation préoccupante, avec des équipes en état de stress qui n’arrivaient plus à gérer l’agressivité des clients, des problématiques d’absentéisme ou de burn-out, confie Evelyne Bessières, la directrice des opérations retail et enseigne. Nous avons donc décidé de mettre en place un programme de coaching solidaire pour libérer la parole des titulaires, mais aussi les aider à régler les sujets d’urgence, à revoir leur organisation ou leur apprendre la posture à adopter auprès des clients difficiles… ». Au total, une quarantaine d’adhérents ont ainsi pu être coachés. Enfin, les groupements ont développé une batterie d’outils digitaux pour faire gagner du temps aux équipes officinales. Ainsi, chez Pharmacie Lafayette, une solution de planification des équipes est disponible sur l’intranet. Giropharm a déployé un outil qui permet d’optimiser la gestion des factures des laboratoires partenaires et de les transmettre en un clic à l’expert-comptable. Dans la même veine, les titulaires peuvent sous-traiter au service client du groupement les litiges avec les laboratoires.
 

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Les leçons à tirer

Alors que les équipes officinales retrouvent un peu de répit, Sophie Rey tire déjà les premières leçons de la crise : « Cette pandémie a montré que les officines ont su faire preuve d’agilité pour s’adapter aux incessantes évolutions réglementaires et assumer leurs nouvelles missions, tout en continuant d’accueillir leurs patients. Et cette agilité va aussi s’imposer aux groupements s’ils veulent continuer d’accompagner de manière réactive leurs adhérents ». Des groupements qui auront probablement vocation demain à soulager encore plus leurs affiliés sur toutes les tâches de back-office. « Lors de la dernière réunion de notre CAC 40, un club de réflexion qui réunit les 40 officines les plus fortement contributrices aux achats, confie Gilles Unglik, le directeur général opérationnel de Giropharm, une partie des titulaires nous ont indiqué qu’ils n’avaient plus envie de passer deux heures par jour à s’occuper de leurs achats. Et qu’ils seraient prêts à nous donner les clés de leurs approvisionnements pour pouvoir se recentrer sur leur métier de professionnels de santé ». Ainsi, les équipes officinales et les titulaires, dans leur large majorité, ont su faire front à la vague Omicron. Et c’est ce genre de réussite qui permet de reprendre confiance en soi et mieux se préparer aux prochaines tempêtes.