L’île sans personnel

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Publié le 19 juin 2004
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Micromarché de 138 officines, la Corse peine à recruter les adjoints. En saison, l’attrait du soleil et les salaires attirent davantage de candidats.

La Corse possède le réseau officinal le plus dense de France. Résultat : les officines sont petites et les CA inférieurs à la moyenne nationale.

Tourisme, insularité, prédominance du secteur tertiaire, population vieillissante à revenus peu élevés, coûts de production élevés, telle pourrait être schématisée une économie (en voie d’amélioration) où tout n’est pas idéal, à l’exception des paysages.

Du côté de l’officine, la situation est paradoxale. Malgré un petit marché intérieur multiplié par 6 en période estivale, la Corse possède le réseau de pharmacies le plus dense de France. Conséquence, les officines sont de petites dimensions et les CA inférieurs à la moyenne nationale.

Le facteur insularité.

Si la Haute-Corse est économiquement plus dynamique, les difficultés à recruter préparateurs et adjoints se moquent du découpage administratif. Les frontières passent entre le littoral et l’intérieur où les salariés rechignent à aller, entre les stations touristiques et les communes qui ont moins besoin de personnel temporaire en haute saison. L’insularité a deux incidences : les adjoints constituent une denrée plus rare que les préparateurs dont le nombre a augmenté ces dernières années ; les salaires, supérieurs à la grille, sont complétés par des avantages en nature comme le logement. Enfin, le contexte politique n’incite pas les adjoints formés ailleurs à franchir la Méditerranée.

Pour les préparateurs, la Corse bénéficie d’une embellie depuis trois ou quatre ans grâce à une montée en puissance des contrats d’apprentissage qui, selon Philippe Désiré (CFA de Corse-du-Sud), compense les départs. C’est le cas depuis que le CFA de Haute-Corse forme des BP. Cette adéquation entre l’offre et la demande pourrait faire baisser la pression sur les salaires. Ce point de vue est partagé par Jean-Pierre Léonetti, président du syndicat de Haute-Corse : « L’an dernier, on a compté 45 BP. C’est suffisant pour 138 officines, d’autant que le niveau de qualification a augmenté parce que les pharmaciens se sont impliqués dans les jurys d’examen. »

« Il n’en reste pas moins vrai qu’en dehors de Bastia et Ajaccio, trouver du personnel est mission impossible et qu’on ne parle même plus de la grille », commente Jean Rolland (Ajaccio). Madeleine Sali (Calvi) estime raisonnable de payer deux échelons au-dessus de la grille, « pour garder nos apprentis et rémunérer correctement des gens qui ont un bac + 2 ».

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Titulaire à Corte, Chantal Prancrazi-Battesti estime « bien s’en tirer » puisque, malgré la situation de la ville universitaire, elle a recruté une préparatrice continentale pour la période de décembre à septembre. Pour un salaire net de 1 500 euros, un logement et le transport.

« A cause de la pénurie d’adjoints, il ne faut ne pas être pressé pour en trouver, compter sur le facteur chance, le bouche-à-oreille et ORPEC, le répartiteur », confirme François Gazano, président du syndicat des pharmaciens de Corse-du-Sud. Explication de Jean-Gabriel Colonna-de-Lecas (Furiani) : « La Corse souffre d’un numerus clausus insuffisant et les coefficients atteignent 500/600 pour un débutant, auxquels il faut ajouter le logement. »

Pour Jean-Pierre Léonetti : « L’insularité limite le bassin d’emplois. Elle est un obstacle pour un jeune adjoint qui laisse sa famille, ne trouve pas d’emploi pour son conjoint et possède une qualité de vie moindre que sur le continent. Quant aux pharmacies de l’intérieur, qui font 95 % en vignetés et peu de marge, elles ne peuvent offrir les salaires demandés et travaillent sans adjoint, parfois en deçà du quota. La solution pourrait passer par l’association, qui n’est pas la panacée parce qu’elle divise les revenus par deux. »

Annualisation, CDI et famille.

Autre solution, miser sur les enfants de pharmaciens dont une quinzaine sont étudiants à la fac et qui, peut-être, choisiront de rester au pays. En attendant, les titulaires s’adaptent. Chantal Pancrazi a la même adjointe depuis 17 ans mais il n’est pas facile de régler le problème des congés. « Gérer la pénurie, c’est travailler davantage, ne jamais s’absenter plus de quinze jours par an, proscrire les congés d’été et ne jamais recourir au mi-temps. » Idem pour Jean Rolland et François Franceschini (Saint-Florent), délégué départemental de l’APR, qui sont restés plusieurs mois sans adjoint et ont travaillé « deux fois plus que d’habitude ».

Quant à Madeleine Sali (Calvi), elle a choisi de fonctionner avec trois préparatrices, dont une saisonnière « dont le salaire est inférieur à celui d’un adjoint ».

Bruno Mondoloni, directeur d’ORPEC Ajaccio (Alliance Santé), est formel : « La pénurie est plus difficile à gérer l’hiver que l’été où le soleil suscite des demandes. » Cette opinion est confirmée par Lionel Duriez, responsable de Pharm’Appel Nice : « De juin à septembre, nous enregistrons une forte demande que nous peinons à honorer (31 demandes satisfaites sur la saison 2003 pour 48 offres) à cause d’un manque d’anticipation. »

A la Pharmacie des Quatre Chemins (Porto-Vecchio), la plus grande de l’île (4 associés, 12 BP, 3 salariés), Jean-Luc Codaccioni réalise en deux mois d’été l’équivalent de trois mois et demi de CA.

Pour répondre à cet afflux de clientèle multipliant par six la population résidente, il a recours à plusieurs solutions. Premièrement, l’annualisation du temps de travail avec une plus grande amplitude d’ouverture l’été (associée à une 6e semaine de vacances) et l’interdiction de prendre des congés estivaux. Ensuite, le recours à quatre préparateurs saisonniers réguliers en CDI, embauchés dès le 1er mai. « Cela nous oblige à travailler en sureffectif pendant deux semaines, mais, en revanche, ce système permet de préparer la pharmacie et de donner des congés à nos permanents. »

Selon Jean-Luc Codaccioni, la rémunération des saisonniers est « conforme au volume de travail, plus un logement ». Enfin, il reconnaît recourir parfois à deux diplômes supplémentaires, ceux des épouses des titulaires ! Idem pour Jean-Michel Terrazoni (Propriano) dont l’épouse, préparatrice, « travaille à temps complet de juin à septembre ».

Quelques chiffres

– En 2003, l’ANPE a recensé 36 offres d’emploi de préparateurs (21 en Corse-du-Sud, 15 en Haute-Corse) dont 24 en CDD (remplacement de congés maternité ou maladie) et 12 en CDI. Parallèlement, 28 préparateurs (dont 27 femmes) étaient inscrits comme demandeurs d’emploi : 18 en Corse-du-Sud et 10 en Haute-Corse.

– Pour les adjoints, l’ANPE a enregistré 10 offres (dont 8 en Corse-du-Sud), moitié en CDD, moitié en CDI, et 10 demandeurs d’emploi résidant à parts égales dans les deux départements.