Le harcèlement moral, ça n’arrive pas qu’aux autres

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Publié le 5 janvier 2008
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Une simple remarque envers un collaborateur peut vous conduire tout droit au tribunal. Deux pharmaciens, accusés de harcèlement moral par un salarié, l’ont appris à leurs dépens. Ces témoignages riches d’enseignement pourront vous éviter de tomber dans le piège.

Accusée de harcèlement homophobe

Michèle Prat-Rossi, titulaire de la Pharmacie de la Corniche à Sète, s’est retrouvée, avec son associée, accusée de harcèlement moral par une préparatrice. Au départ, elle aurait dû se méfier. « Lors de son embauche, son précédent employeur nous avait alertées en évoquant une personne fragile et instable. » Peu importe, la titulaire embauche la préparatrice : durant les six premiers mois, tout se passe bien. « Notre nouvelle recrue était très souriante et avenante avec la clientèle. Rien ne laissait présager la suite poursuit Michèle Prat-Rossi. Puis son comportement s’est dégradé, nous l’avons vue progressivement perdre pied et s’enliser dans ses problèmes personnels. Elle a alors enchaîné les arrêts maladie. »

Au cours de l’un d’eux, la préparatrice adresse un courrier recommandé dans lequel elle se dit victime de harcèlement homophobe. C’est la stupéfaction pour la pharmacienne titulaire. Qui ne prend pas cette lettre au sérieux. Erreur. Deux mois plus tard, elle est assignée devant les prud’hommes. Les juges condamnent les pharmaciennes à verser 12 000 euros de dommages et intérêts à la préparatrice. Elles n’hésitent pas à faire appel. A raison. La chambre sociale de la cour d’appel de Montpellier annule la condamnation. Celle-ci juge les différentes attestations fournies par la plaignante subjectives, mais aussi motivées par une volonté de nuire à ses employeurs.

Conséquences ? « L’accusation n’a pas créé de vrais dommages car nous avons bénéficié du soutien de l’équipe officinale et de notre clientèle. » Mais l’affaire a bien failli rejaillir sur la réputation de la pharmacie. « Les associations homosexuelles se sont emparées de l’affaire, laquelle a été relayée par la presse nationale. Au final, nous devenions connues pour de mauvaises raisons », déplore Michèle Prat-Rossi.

Accusé de harcèlement moral

Jusque-là, rien n’aurait laissé penser que Michel Brousseau pouvait être accusé de harcèlement moral. « Lorsque les faits se sont produits, j’étais chef de service depuis plus de dix ans dans le même hôpital », explique ce pharmacien hospitalier. Sauf qu’un jour, un préparateur, en fin de carrière, arrive dans son service. « Très susceptible, il n’acceptait aucune remarque d’ordre professionnel », confie le pharmacien. Pire. « Je me suis rendu compte qu’il consignait chaque mot, chaque fait et chaque geste, en y ajoutant sa propre interprétation. » De quoi constituer un dossier… et porter plainte. Michel Brousseau entre alors dans un engrenage juridique. « L’enquête, menée à charge par le juge d’instruction, était simplement destinée à me déstabiliser et à prouver ma culpabilité. Pour le procureur, j’étais un « petit chef tortionnaire ». » Sans compter que la presse locale n’a cessé de défendre le salarié. Résultat ? En première instance, Michel Brousseau est condamné à 6 mois de prison avec sursis, assortis d’une interdiction d’être présent dans la pharmacie ainsi que 15 000 euros d’amende et 15 000 euros de dommages et intérêts. Le pharmacien décide de faire appel. Pour sa défense, il s’appuie, cette fois, sur l’expertise psychiatrique du préparateur, révélant une personne d’une extrême sensibilité, au caractère vindicatif et à tendance paranoïaque. En même temps, la même expertise prouve que le pharmacien ne présente, lui, aucun excès d’autorité. Finalement, Michel Brousseau obtient en appel une relaxe totale, confirmée en cassation. Les peines ont donc été annulées. Néanmoins, le pharmacien n’en sort pas indemne. « Emotionnellement, c’est très difficile à supporter. Cette procédure a occupé ma vie pendant presque trois ans. Il faut tenir le choc », déplore Michel Brousseau.

Le point de vue juridique

Ces deux exemples illustrent la complexité des affaires de harcèlement moral, qui recouvre une notion juridique très précise. « Il ne faut pas confondre stress et harcèlement moral, explique Bertrand Pracca, psychologue du travail chez Capeo, spécialisé en gestion des ressources humaines. Le harcèlement moral désigne une véritable relation conflictuelle, qui peut se manifester par un isolement de la victime qui se retrouve mise à l’écart, une déconsidération du travail illustrée par des propos malveillants ou encore des tâches subalternes sans lien avec la qualification. Mais une souffrance liée au travail, comme par exemple des troubles anxiodépressifs, ne relève pas forcément de harcèlement moral. » Ainsi, selon l’article L. 122-49 du Code du travail, le harcèlement moral suppose des « agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou morale ou de compromettre son avenir professionnel ». Etienne Colin, avocat au barreau de Dijon, précise que « la répétition des actes est un élément essentiel. Il y a harcèlement moral lorsqu’un climat délétère s’installe dans la durée. Il faut prouver que la dégradation des conditions de travail est susceptible de causer un dommage ». Le juge forme alors sa conviction sur un faisceau de présomptions. « Pour cela, la victime doit présenter des éléments objectifs comme des témoignages ou des attestations permettant de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, le défendeur devra prouver que son attitude n’est pas constitutive de harcèlement », conclut Etienne Colin

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à savoir

La dénonciation calomnieuse punie plus sévèrement

Le harcèlement moral est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 222-33-2 du Code pénal). Mais sachez aussi qu’un salarié qui accuse à tort son employeur de harcèlement peut être condamné pour dénonciation calomnieuse, ce qui est puni d’une peine de cinq ans de prison et de 45 000 euros d’amende (article 226-10 du Code pénal).

à retenir

Les erreurs de management à éviter

Vous avez un caractère bien trempé, un brin autoritaire ? Pour ne pas être accusé de harcèlement moral par l’un de vos collaborateurs, voici quatre gestes à éviter absolument :

– Décharger son stress sur un collaborateur.

– Attaquer un collaborateur sur ce qu’il est. Evitez donc les critiques du style « Vous êtes incompétent », en préférant par exemple « Vous avez fait une erreur ».

– Insister sur ce qui ne va pas, en évitant des remarques comme « Vous êtes nul en conseil », mais en disant plutôt « Pour le conseil, j’attends de vous telle attitude ».

– Critiquer d’une manière générale sans s’appuyer sur un exemple précis. Ne dites pas « Vous ne faites que des erreurs », mais plutôt « Vous avez commis une erreur de caisse ».

Une salariée brisée

Laure* revient de loin. A 30 ans, cette jeune préparatrice a subi le harcèlement moral de son employeur. « J’allais au travail la peur au ventre, et, le soir, je m’effondrais en larmes, explique-t-elle. Il suffisait qu’il manque une référence dans un rayon pour que je provoque les foudres de mon titulaire. Les moindres détails prenaient une ampleur disproportionnée. Les paroles vexantes, les propos injurieux et même les gestes déplacés faisaient partie du quotidien. » Dans cette officine de 30 salariés, Laure n’était pas la seule à subir le comportement excessif de son employeur. Onze employés de la pharmacie ont alerté l’inspection du travail pour des faits de harcèlement moral et trois ont porté l’affaire devant les tribunaux. A la barre, le titulaire a nié en bloc les accusations et évoqué son souci de faire tourner au mieux son affaire. Mais les multiples témoignages, dont celui de l’inspectrice du travail, et les insultes rapportées, comme « salope » et « bande de glandeuses », ont convaincu le procureur de la culpabilité du pharmacien. Le titulaire a été condamné à une amende délictuelle de 8 000 euros et à des dommages et intérêts à verser aux trois plaignantes. Depuis, Laure a été réembauchée dans une nouvelle officine. « Quelque chose s’est brisé. Je n’ai plus le même enthousiasme à exercer mon métier. A 30 ans, j’envisage une reconversion professionnelle. »

* Le prénom de la préparatrice a été modifié.