La pénurie devient acrimonie

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Publié le 20 avril 2002
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La pénurie de personnel s’est installée avec un ratio de trois offres d’emploi pour une demande en moyenne en 2001 (pharmaciens et préparateurs confondus), un taux de chômage en dessous de 2,5 % et, surtout, un dialogue social qui semble en panne. C’est du moins le sentiment qui se dégage du débat organisé par Le Moniteur. Inquiétant, en pleine croissance de l’activité.

Cinq années pour trouver l’équilibre…

Mais les chiffres de l’Ordre et de la conférence des doyens sont clairs, il manque aujourd’hui 1 450 pharmaciens diplômés pour assurer ne serait-ce que les obligations réglementaires des titulaires d’officine. Côté préparateurs, « les quelque 2 000 diplômés qui sortent chaque année trouvent immédiatement du travail », indique Jean-Marie Fonteneau, préparateur et syndicaliste CGT. Problème, ils ne sont plus que 50 % à exercer encore à l’officine dix ans après ! Beaucoup partent en effet faire carrière à l’hôpital ou dans l’industrie. « La situation sera critique dès 2004, s’alarme Claude Japhet, président de l’UNPF. Il faut trouver dès aujourd’hui des solutions pour sortir de cette crise, sinon demain nous serons dans une panade noire. » Seulement voilà, les solutions ne sont pas légion. Sondés par Le Moniteur dans « L’Annuel 2001 », les titulaires en avançaient majoritairement trois : l’augmentation du nombre de diplômés et la revalorisation de la filière officine à l’université pour 40 %, mais surtout la revalorisation du métier pour près de un titulaire sur deux. Des pistes aujourd’hui à peine tracées.

« D’après nos calculs, explique Jean-François Robert, président de la conférence des doyens, même si le numerus clausus passe à 2 500 à la rentrée 2002, il faudrait 15 000 pharmaciens formés pour satisfaire les besoins d’ici 2008. » Situation alors rendue critique par les départs en retraite des enfants du baby boom, avec aussi un risque de chute de la valeur des fonds, faute de demande. Mais l’administration, confondant plus de pharmaciens et plus de pharmacies, bloque par crainte d’une augmentation des dépenses. « L’Ordre participe pleinement aux travaux sur une réévaluation du numerus clausus depuis l’an dernier », précise Jean-Louis Craignou au nom de l’institution. « C’est un peu tard. Nous réclamons sa réévaluation depuis 1995 », rétorque Claude Japhet. Pour la rentrée 2002, un décret est toujours attendu.

Mais la difficulté est ailleurs à en croire les représentants de salariés. « Le problème n’est pas de remplir une citerne percée. Il faut aussi retenir les assistants », assène Annick Mauboussin, responsable de la section pharmacie du Syncass-CFDT. A cet égard, la féminisation constitue un gros handicap selon le président de l’UNPF, avec à la clé temps partiels, retraits prématurés du marché du travail, manque de mobilité… « 100 % de diplômés ne signifient pas 100 % de salariés, martèle Claude Japhet. Compte tenu notamment de ce phénomène, il faudrait doubler le numerus clausus pour rattraper notre retard et combler à peine les besoins. » Un argument peu recevable pour Annick Mauboussin : « Donnez-nous enfin la possibilité d’avoir une évolution professionnelle et commencez donc par transformer les mi-temps en plein-temps. » Sujet à polémique puisque, selon Claude Japhet, « un tiers des salariés demandent d’eux-mêmes un temps partiel ».

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Revaloriser les salaires et offrir un plan de carrière

La rémunération. Un thème toujours brûlant. « Six ans d’études et un doctorat pour 1 966 euros par mois, ce n’est vraiment pas beaucoup, avance Jean-Marie Fonteneau. Quant aux préparateurs, ils touchent 870 euros net lorsqu’ils démarrent. Moins qu’en apprentissage ! » «Mais le problème n’est pas uniquement là », estime Christelle Beaufranc, pharmacienne, formatrice et consultante, ces variations de salaires étant conjoncturelles. « Les vraies questions, c’est quel plan de carrière pour les salariés de l’officine et quelle reconnaissance des compétence ? » C’est pour elle le seul moyen d’attirer davantage de diplômés, mais aussi de motiver ceux qui restent et donc les conserver. « Il faut reconnaître que certains titulaires avec lesquels je travaille ont envie d’impliquer davantage et de beaucoup mieux payer leurs assistants, mais ces derniers ont, eux, parfois bien du mal à se motiver davantage. »

Pour Claude Japhet, la filière officine a normalement pour finalité de permettre de devenir titulaire à un moment ou un autre, d’où la nécessité d’intégrer le plus rapidement les jeunes dans le capital des officines car il leur est quasiment devenu impossible d’acheter. Le président de l’UNPF estime que le plan d’épargne salariale interentreprises constitue également une piste de revalorisation des métiers de l’officine.

« Faisons table rase pour sortir de l’impasse, suggère Annick Mauboussin. Il faut lancer deux signaux forts, d’une part sur les salaires, d’autre part sur le statut du pharmacien adjoint. Si les gens ont la possibilité de s’investir ils le feront. Il faudra faire des efforts des deux côtés. »

« Il y a de bons et de mauvais titulaires comme il y a de bons et de mauvais salariés, répond en écho Claude Japhet. Reste que nous avons cinq ans pour trouver un équilibre sinon il y aura un grand clash au sein de la profession. Or de l’image de compétence de la profession dépend aussi son monopole. Il va falloir que toute l’équipe se remette en cause. »

Les adjoints dans l’expectative

Sur le salon, beaucoup parlent à notre place sans savoir ce qu’ils disent. » Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D, a mis les choses au point dès le début de la conférence « Assistants, un avenir à saisir » où figurait l’ensemble des représentants des syndicats de salariés d’officines. « Nous avons entamé un tour de France dans les régions pour expliquer l’action de l’Ordre et surtout donner la parole aux assistants, poursuivait-il. Mais nous devons aussi faire entendre la voix des syndicats. Beaucoup trop des questions qui nous sont soumises, à l’Ordre, sont de leur ressort. » Le débat avec la salle pouvait commencer. Premier sujet : la rémunération. « Des coefficients 300 ou 400 sont encore pratiqués », dénonçait Annick Mauboussin, secrétaire national Syncass-CFDT. « Le plus grave, tranchait Michel Parinet, représentant de la Fédération Santé CFTC, ce n’est pas les salaires, mais la façon détestable dont les titulaires traitent les temps partiels ou les intérimaires. Pour eux, nous ne sommes qu’un poids financier, obligés qu’ils sont de nous embaucher. Nous ne sommes qu’une variable ajustable de l’économie de l’officine. »

« Sur les salaires, on reste trop dans la lutte des classes, constatait Jérôme Paresys-Barbier. Pourquoi ne pas mettre en avant notre compétence ou notre rôle dans la démarche qualité ? » « La qualité ? Mais on est obligé de vendre de la gogothérapie ! », s’exclamait un adjoint dans la salle. « Nous allons proposer un autre mode de calcul que la tranche de CA pour les embauches », promettait le représentant ordinal avant d’exposer les possibilités que la loi MURCEF pourrait procurer aux adjoints quant à leur participation au capital des pharmacies.

« C’est un leurre, lui répondait dans la salle un banquier lyonnais. La loi MURCEF ne vous donnera rien, elle sera réservée aux gros investisseurs. Vos salaires sont sans perspective et le resteront tant que l’on ne supprimera pas 7 000 officines du réseau. Vous n’aurez de perspective qu’avec 15 000 officines avec des chiffres d’affaires de 2 millions d’euros. L’Ordre ne parle jamais de cela. On maintient tout le monde dans l’ignorance. » Coup de bambou sur la salle. « Rien n’est encore fait. Il reste les décrets d’application à venir, et nous pourrons peut-être les tourner à notre avantage. Ne vous résignez pas », lançait Jérôme Paresys-Barbier à l’assistance. – N.F.