Faut-il dissocier l’embauche d’un adjoint du chiffre d’affaires ?

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Publié le 31 janvier 2019
Par Francois Pouzaud
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Le lien entre le nombre d’adjoints obligatoires et le chiffre d’affaires d’une officine n’a jamais été revu dans son principe. Faut-il oser toucher à ce sacro-saint critère d’embauche, compte tenu de l’impact des médicaments chers sur le chiffre d’affaires ? A l’aune des nouvelles missions, la réponse est tout sauf simple.

C’est un fait. L’afflux de molécules innovantes à 20 000 ou 30 000 euros la boîte n’est pas sans conséquence. Leur marge, plafonnée à partir de 1 600 € en 2019, pose un problème au regard de l’obligation immuable d’embauche d’un adjoint en fonction du chiffre d’affaires (CA). Ce qui n’a évidemment pas échappé à la vigilance des syndicats pharmaceutiques. « Le ratio utilisé pour embaucher un adjoint n’est plus cohérent et la vente de médicaments très chers ne reflète pas l’activité de dispensation des ordonnances », souligne ainsi Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Pointant elle aussi l’utilisation de ce critère devenu obsolète, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a demandé à l’Etat d’ouvrir rapidement une discussion sur les médicaments chers qui « font artificiellement grimper le chiffre d’affaires de l’officine, et par conséquent le besoin éventuel en pharmaciens adjoints supplémentaires, sans contrepartie de marge qui permettrait d’en assumer le coût ». De ce non-sens économique, les syndicats disent qu’il pourrait entraîner des situations compliquées sur le plan financier, et préjudiciables à la santé publique. En effet, les médicaments chers prescrits pour seulement quelques mois, parfois, peuvent vite conduire au franchissement du seuil d’embauche d’un adjoint supplémentaire, l’alternative pour y échapper étant, pour le pharmacien titulaire, d’opposer un refus à ces patients dans le besoin ou de tout bonnement fermer quelque temps l’officine. Impensable. Pour éviter de telles dérives, Gilles Bonnefond, qui estime entre 500 et 600 le nombre de pharmacies dépassant de manière « non légitime » un seuil d’embauche, demande la déconnexion du CA du seuil d’embauche d’un adjoint. « L’idée est de ne plus comptabiliser dans le calcul la partie du chiffre d’affaires ne donnant pas lieu à rémunération », précise-t-il. Ni l’USPO ni la FSPF n’ont obtenu de réponse en retour.

L’ordre favorable à un taux d’encadrement

Dans un entretien accordé au Moniteur des pharmacies le 12 janvier dernier, Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, prône un autre indicateur. Elle se dit favorable à la possibilité d’indexer l’embauche obligatoire d’un adjoint au nombre de personnes à encadrer dans une officine. Ce qui répond à sa préoccupation de santé publique, est plus en phase avec les enjeux de l’évolution du métier et des nouvelles missions, mais aussi avec la nécessité de gagner en qualité.

Du point de vue des syndicats, l’accueil de la proposition ordinale est très mitigé. « Modifier les règles de manière trop importante ne passera pas au niveau des pouvoirs publics, il faut garder un lien fort avec le nombre d’actes dispensés », estime Gilles Bonnefond. Pour Philippe Gaertner, président de la FSPF, un tel ratio paraît très compliqué à mettre en musique à l’échelle macroéconomique, qui plus est dans une période de tension économique. « En officine, il y a 55 000 pharmaciens pour 65 000 préparateurs, soit un ratio moyen de 1,18 préparateur pour un pharmacien, mais ce ratio ne veut rien dire car la taille et la composition des équipes sont très différentes d’une officine à l’autre, explique-t-il. Un titulaire en début de carrière va travailler beaucoup pour faire une économie de personnel. A l’inverse, un titulaire âgé proche de la retraite prendra un adjoint en plus. Il faudrait, en outre, analyser tous les effets de seuil liés à la composition des équipes. Imaginons une pharmacie rurale qui a besoin de personnel, qui ne parvient pas à recruter un pharmacien adjoint et à respecter son obligation, elle se retrouverait également dans l’impossibilité d’embaucher un préparateur. »

Ce sont les experts-comptables qui paraissent plus ouverts à un critère d’encadrement auquel ils sont eux-mêmes soumis. « Le taux d’encadrement est de 1 expert-comptable pour 15 collaborateurs, indique Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA. Pour la pharmacie, un ratio se rapprochant de 1 diplômé pour 4 collaborateurs en contact avec les patients conduit automatiquement à l’amélioration de la qualité, de la fiabilité, des services et, surtout, du conseil. » Pour évaluer la pertinence de ce nouveau critère, des simulations s’imposent en prenant différentes typologies de pharmacies. « Pourquoi pas, s’interroge Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département pharmacie de Fiducial. Devra-t-on prendre en compte uniquement les personnes habilitées à délivrer en dehors des pharmaciens (préparateurs, étudiants) ou l’ensemble du personnel, ce qui posera problème dans les officines fortement impliquées dans la vente de parapharmacie. Sur ce dernier point, ce critère peut aussi inciter à réduire les effectifs pour éviter le couperet de l’emploi d’un adjoint en plus ! »

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Sans préjuger du résultat, Olivier Desplats, expert-comptable du cabinet Flandre comptabilité conseil, membre du groupement CGP, appelle à la lucidité : « La mutation du métier va générer des coûts supplémentaires, tant en formation qu’en structure humaine. Cette dernière va évoluer, et probablement au bénéfice des adjoints à même d’épauler les titulaires sur les nouvelles missions. »

Le nombre de ventes ou d’actes plutôt que la marge

Quitte à changer radicalement, Philippe Gaertner défend davantage un critère lié au nombre de ventes plutôt qu’au personnel, « plus proche de la réalité de l’activité d’une officine, ce qui permettrait de ne pas rompre des équilibres » .

« Les honoraires de dispensation, aisément mesurables et contrôlables, me paraissent être un critère en relation avec l’activité “médicaments” d’une officine même si tous les médicaments ne sont pas prescrits », estime de son côté Philippe Becker. « La référence à des données quantitatives telles que le nombre d’actes devient plus pertinente », approuve également Olivier Delétoille.

Les experts-comptables sont plus divisés sur une référence à la marge. « Le bon critère pourrait être la marge brute globale, subodore Olivier Desplats, mais on peut s’interroger sur le fait d’intégrer ou non les ventes de non remboursables dans le seuil… ». Alors qu’Olivier Delétoille y voit un risque : « Elle favoriserait les discounters et éloignerait les pharmaciens de leur mission. »

« La règle posée par le Code de la santé publique a pour but d’assurer une sécurité de la délivrance des médicaments, l’affaiblir serait une porte ouverte à tous ceux qui veulent briser le monopole », conclut Philippe Becker. La solution à proposer à la tutelle devra respecter les objectifs de protection du patient tout en sécurisant mieux une économie officinale en pleine mutation. Le tout sans désorganiser le marché de l’emploi des adjoints (licenciements ou a contrario pénurie). Le fin mot de l’histoire ? Aucune formule n’est totalement satisfaisante.

EN RESTANT SUR LE CHIFFRE D’AFFAIRES…

Une autre solution soufflée par la FSPF, sans écarter les médicaments chers, consisterait à créer des « demi-seuils » intermédiaires pour en réduire les effets.
Egalement dans la demi-mesure, Philippe Becker (Fiducial) suggère de lisser davantage le dispositif actuel avec une montée en puissance via des pharmaciens à mi-temps qui pourraient alors travailler dans deux officines : « Le seuil du CA pourrait être un peu abaissé pour un mi-temps et celui du temps complet augmenté, propose-t-il. Il faudrait faire des simulations mais cela peut avoir du sens car il faut que les adjoints puissent trouver un emploi à la sortie de la fac ! »

REPÈRE3 

À RETENIR


•  Les médicaments chers font grimper les chiffres d’affaires et par conséquent le besoin éventuel en pharmaciens adjoints supplémentaires, sans contrepartie de marge qui permettrait d’en assumer le coût.

•  La possibilité d’indexer l’embauche obligatoire d’un adjoint au nombre de personnes à encadrer dans une officine est suggérée par l’Ordre. Trop disruptive, cette proposition est loin de faire l’unanimité.

•  Retirer du CA la partie ne donnant pas lieu à rémunération, abaisser le seuil pour un mi-temps et l’augmenter pour un temps complet sont des pistes de réflexion.

MOTIFS ET IMPACT DE L’EMBAUCHE D’UN PHARMACIEN ADJOINT

Par François Pouzaud