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En panne d’embauche, mais pas d’inspiration
Entre 10 000 et 15 000 postes de préparateurs et de pharmaciens sont actuellement à pourvoir. Et la profession n’est guère optimiste quant à l’avenir. A la rentrée 2022, 1 100 places n’ont pas été pourvues en 2e année de pharmacie. Les acteurs de la filière officinale se mobilisent pour imaginer des solutions alternatives à la pénurie de candidats.
L’emploi partagé : tel est le nouveau credo de la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies Federgy pour aider ses adhérents à recruter. Il manque entre 10 000 et 15 000 préparateurs et pharmaciens et 1 100 élèves en 2e année de pharmacie pour cette rentrée. « Mi-septembre, nous avons présenté à nos adhérents un projet visant à expérimenter un système de groupements d’employeurs qui pourraient être pilotés par les groupements de pharmacies eux-mêmes, confie Alain Grollaud, président de Federgy. Ces derniers embaucheraient des préparateurs et des pharmaciens à temps plein pour les mettre à disposition des officines, en fonction de leurs besoins, sur une même zone de chalandise. » De son côté, le réseau Pharmodel a décidé de s’attaquer à la pénurie de candidats en signant un partenariat avec la plateforme de recrutement Team Officine. « Nous sommes partis du constat que 40 % des tâches en officine ne nécessitaient pas de diplôme en pharmacie, confie Rafael Grosjean, président du groupement. Nous avons donc demandé à notre partenaire d’identifier des profils dans les achats, le merchandising ou la logistique, puis de sourcer des candidats que nous présentons à nos adhérents dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. »
Toujours dans l’optique de recentrer les diplômés sur le cœur de métier, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), invite les pharmaciens à investir dans la sous-traitance. « L’externalisation de la gestion du tiers payant, en adhérant à l’Agetip ou à Ospharm, fait par exemple gagner un temps fou, ces organismes se chargeant d’effectuer automatiquement les rapprochements bancaires, les paiements et la gestion des rejets. » Pour Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), les groupements auront par ailleurs un rôle de plus en plus important à jouer dans l’accompagnement de leurs adhérents. « On peut penser que, demain, les pharmaciens sous-traiteront la gestion des commandes, la relation avec les laboratoires, le traitement des factures, etc., pronostique-t-il. Nous avons calculé qu’un titulaire pouvait économiser la présence d’un salarié à temps plein en externalisant toutes ces tâches administratives. »
La question délicate du salaire
Pour espérer mettre un terme à la pénurie de personnel, il faudra aussi s’attaquer à la question des rémunérations dans les pharmacies. En revalorisant les salaires des préparateurs et des pharmaciens de manière significative comme l’a fait l’hôtellerie-restauration ? Confronté lui aussi à une véritable pénurie de main-d’œuvre, ce secteur a accordé une augmentation moyenne de 16,33 % sur l’ensemble de la grille salariale, avec une rémunération minimale qui émarge désormais à plus de 4 % au-dessus du Smic, dès le premier niveau. Pour Laurent Cassel, expert-comptable associé au sein du cabinet AdequA, une telle mesure serait imprudente dans le contexte actuel. « Les pharmacies surfent encore sur la bulle Covid-19, explique-t-il. Mais le soufflet va retomber le jour où il y aura moins de tests et de vaccins. En l’absence de revalorisation des prix, beaucoup d’officines risquent alors de souffrir à nouveau et ne résisteraient pas à une augmentation générale de 10 ou 20 % sur deux ans des salaires. Cela étant dit, pour attirer un préparateur fraîchement diplômé, mieux vaut aujourd’hui lui accorder d’emblée un coefficient de 260 ou 270 plutôt que de le faire commencer tout en bas de la grille à 240 », concède l’expert-comptable. En invitant toutefois les titulaires à ne pas tomber dans la surenchère alimentée par les candidats. « Pour préserver la cohésion de l’équipe, il me paraît délicat de recruter un jeune pharmacien débutant à un coefficient de 700, alors que les collègues en place depuis cinq ou dix ans émargent à 550, rappelle l’expert-comptable. Il y a en revanche une vraie réflexion à engager sur le sujet. Celle-ci doit démarrer par un audit des fiches de paie de l’ensemble de l’équipe pour voir si la pharmacie est en phase avec la réalité du marché. »
Pour améliorer l’image des rémunérations dans la profession, il faudrait déjà communiquer sur la réalité du terrain, d’après Denis Millet, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « De nombreux titulaires n’hésitent pas à accorder des rémunérations largement au-dessus de la grille qui constitue un minimum, rappelle-t-il. Or, c’est ce minimum que l’on trouve sur les fiches métier de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (Onisep), alors que la plupart des préparateurs ne commencent pas à 1 300 € net. La FSPF a d’ailleurs commandé une étude sur le sujet qui devrait nous donner une vision plus réaliste des salaires dans les pharmacies », ajoute Denis Millet qui mise aussi beaucoup sur l’évolution du diplôme de préparateur. « Le salaire ne fait pas tout. Avec le diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (DEUST), qui remplacera à terme le brevet professionnel, le métier redeviendra attractif, présume-t-il. Avec un diplôme de niveau 5 (DEUST, DEUG…) ou 6 (licence), si les apprentis poursuivent une année supplémentaire en licence, ils pourront évoluer vers d’autres professions de santé, chose qui n’était pas possible jusqu’à maintenant. »
Miser sur le bien-être au travail
La question du bien-être au travail doit aussi être considérée au moment du recrutement, d’après Laure-Emmanuelle Foreau, fondatrice de Praxipharm, un organisme de conseil et de formation pour les officines. « Lorsque vous interrogez les jeunes préparateurs, vous vous apercevez que le problème est global, assure la consultante. Ce qui les rebute, c’est la faiblesse des rémunérations tout au long de la carrière, mais aussi le manque d’évolution et de débouchés dans leur travail, l’absence de reconnaissance, et des horaires difficiles puisqu’il faut souvent travailler le mercredi et le samedi… Or, aujourd’hui, les jeunes ont envie de se sentir utiles, de donner du sens à leur travail, et de préserver leur vie privée. S’ils ne s’épanouissent pas dans leur officine ou dans leur métier, ils partiront. »
Afin de répondre aux aspirations des jeunes générations, de plus en plus de titulaires proposent à leurs équipes la semaine de quatre jours. C’est ce qu’a fait par exemple Denis Millet dans son officine à Nantes (Loire-Atlantique). « Mes deux adjoints et mes deux préparatrices ont adopté ce rythme depuis très longtemps. Avec en plus un samedi sur deux de libre. Tout le monde est très content », assure-t-il.
Pour Laure-Emmanuelle Foreau, il est important, lorsque l’on met en place ce genre de mesures, de définir les règles précises et de coconstruire la solution avec l’équipe. « Les métiers de la pharmacie demandent beaucoup d’attention et sont devenus fatigants, voire usants. Vous piétinez toute la journée, vous devez gérer sans filtre l’agressivité des patients…, rappelle-t-elle. Pour certaines personnes, travailler 1 h 30 de plus chaque jour peut paraître insurmontable. Il faut respecter cela. » « Il est également important de veiller à ce que, dans cette nouvelle organisation sur quatre jours, les gens aient des horaires fixes dans la semaine pour qu’ils puissent trouver leur équilibre, et pour que la patientèle y trouve son compte en conservant ses repères avec l’équipe », ajoute Laurence Ledreney-Grosjean, directrice de Paraphie, une société spécialisée dans le conseil en stratégie officinale. Pour Laurent Filoche, le passage à la semaine de quatre jours présente toutefois un risque dans les officines de petite taille. « Lorsque vous exercez avec une équipe réduite, ce mode d’organisation risque de se faire au détriment de la qualité de service, souligne le président de l’UDGPO. Aux heures d’affluence, il doit y avoir suffisamment de personnels au comptoir pour accueillir les patients. »
Investir dans la formation
Pour Lucie Grilleau, titulaire de la pharmacie Centrale à Marans (Charente-Maritime), toutes ces mesures ne permettront pas de régler le problème. « Ma préparatrice travaillait quatre jours et était exonérée des mercredis et des samedis. Cela ne l’a pas empêchée de partir car elle ne supportait plus l’agressivité des clients, confie la pharmacienne. Et dans mes offres d’emploi, j’ai beau offrir des rémunérations plus élevées que le minimum de la grille, avec la semaine de quatre jours, je ne trouve personne, car ce qui manque, ce sont les candidats. Nous payons aujourd’hui le fait de ne pas avoir formé assez de pharmaciens et de préparateurs ces dernières années. »
Pour espérer résorber cette pénurie de personnels, il faudra effectivement régler la question de la formation, comme le reconnaît Denis Millet. « Il y a en ce moment un réel problème d’attractivité des facultés de pharmacie, concède le secrétaire général de la FSPF. J’envisage d’ailleurs de rencontrer le président de la conférence des doyens afin de voir quelles actions nous pourrions envisager pour y remédier. Il y aura donc probablement un travail à mener sur l’image du métier de pharmacien d’officine qui peut paraître un peu surannée chez les étudiants, alors que notre métier a, avec les nouvelles missions, beaucoup évolué en investissant notamment les champs de la prévention et du diagnostic. » Pour pallier l’absence de candidats aux postes d’apprentis préparateurs, le groupement Pharmacorp a décidé de prendre le taureau par les cornes. « Nous avons ouvert l’an passé à Toulouse notre propre centre de formation d’apprentis (CFA) avec une première promotion de 14 préparateurs. A la rentrée de septembre, nous avons accéléré la cadence puisque 60 apprentis ont intégré l’école », se félicite Laurent Filoche, qui anticipe déjà les bénéfices d’une telle initiative pour ses adhérents. « Comme les apprentis préparateurs auront été formés aux outils digitaux et aux méthodes de notre réseau, ils seront pleinement opérationnels plus rapidement dès qu’ils auront obtenu leur diplôme. En souhaitant aussi que cela constituera un argument pour les inciter à rester dans l’officine qui les a formés », espère le président de Pharmacorp.
« Un audit des fiches de paie de l’équipe permet de voir si la pharmacie est en phase avec le marché »
Laurent Cassel (AdequA)
« Les jeunes ont envie de se sentir utiles […] et de préserver leur vie privée »
Laure-Emmanuelle Foreau (Praxipharm)
À RETENIR
Confrontés à une pénurie de candidats chronique et durable, des pharmaciens d’officine trouvent des alternatives : l’emploi partagé, la sous-traitance, confier certaines tâches non pharmaceutiques à des non-diplômés en pharmacie.
Augmenter les salaires et adapter les horaires facilite le recrutement.
L’enjeu actuel, et pour les années à venir, est d’attirer les jeunes vers les métiers de la pharmacie.
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