Comment manger dans l’incertitude

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Publié le 1 juillet 2016
Par Yves Rivoal
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Dans un contexte incertain, le pire des scénario est de se laisser submerger par le stress ou l’angoisse. « Il faut au contraire relativiser, en se disant que les pharmacies ont toujours évolué dans un environnement contraint, et qu’elles ont su à chaque fois s’adapter », souligne Grégory Reyes, maître de conférences à l’IAE de Poitiers qui travaille sur le comportement des dirigeants dans les TPE. Celui-ci voit même dans l’incertitude une opportunité d’améliorer sa pratique. « Lorsque l’avenir est incertain, vous ne pouvez pas camper sur vos positions. Il faut sans cesse se remettre en question, trouver des solutions au problème, renforcer la proximité avec les clients… »

Passage au crible

Lorsque les nuages s’amoncèlent au-dessus de l’officine, la première chose à faire est de sortir la tête du guidon, prendre du recul, et engager une réflexion stratégique sur tous les items de la pharmacie. Il faut s’interroger sur la stratégie d’investissement en matière d’agencement, d’automatisation, de groupement, d’enseigne… L’organisation, l’assortiment, les stocks, l’offre de services de la pharmacie, les nouvelles sources de développement… Tout doit être passé en revue. « Ce travail d’introspection doit aussi porter sur la politique salariale, estime François Medioni, consultant formateur spécialisé en officine. Et de citer l’exemple d’une pharmacie pénalisée par des charges de personnel trop importantes. « Le titulaire a décidé de réduire son activité sur les maisons de retraite, qui n’était pas assez rentable, et s’est séparé d’une partie de l’équipe qui s’occupait des Ehpads. Ce qui lui a permis de recruter des conseillères en cosmétique et une préparatrice afin de développer l’OTC et la para. »

Management inversé

Manager dans l’incertitude suppose aussi de faire évoluer sa pratique managériale. « Quand l’avenir est flou, chacun est obligé de prendre des décisions avec très peu d’éléments, et sans garanties sur leur impact, explique Eric Delavallée, directeur d’IM Conseil & Formation, un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation des organisations et le développement managérial. En sachant qu’on peut être amené à changer de cap quelques mois après parce que la donne aura changé. » Eric Delavallée conseille carrément d’inverser la dialectique managériale. « Traditionnellement, manager consiste à imaginer une stratégie que l’on va décliner en objectifs, puis en plan d’actions qui seront mis en œuvre par l’équipe en fonction des compétences des uns et des autres. Dans un univers incertain, on ne peut plus fonctionner comme cela. Il faut partir des compétences de l’équipe, qui sont une donnée certaine, pour décliner les plans d’actions, les objectifs, et les grandes lignes de la stratégie. » Et de préciser : « dans un contexte flou et mouvant, mieux vaut privilégier une politique de petits pas, avec des échéances rapprochées, des plans d’actions décomposés en phases courtes, et des points d’étapes réguliers qui génèreront de l’agilité. »

Dynamique de groupe

Pour que l’inquiétude du managers ne pèse pas sur les collaborateurs, il faut les sensibiliser. Un sujet qui reste le gros point noir chez nombre de titulaires pour Grégory Reyes. « Trop de pharmaciens pilotent encore seuls leur entreprise, en pensant que l’équipe n’ignore rien des contraintes qui pèsent sur leurs épaules. C’est rarement le cas. Il ne faut donc pas hésiter à communiquer de manière transparente sur les difficultés du marché, la baisse du CA ou de la fréquentation pour que tout le monde prenne conscience de la situation et de l’effort à fournir pour redresser la barre. »

Eric Delavallée va lui encore plus loin en conseillant de construire le projet d’entreprise de manière collaborative. « Trop de chefs d’entreprise pensent que leur stratégie est claire pour tous. Ils se trompent. Cette stratégie, il faut la construire de manière collective avec des collaborateurs qui sauront ainsi où ils vont, pourquoi et comment. » Grégory Reyes est plus nuancé quant à cette collaboration. « La définition du projet de l’entreprise reste du ressort du titulaire. S’il éprouve le besoin de s’entourer, il peut faire appel à son expert-comptable ou à des consultants. Mais une fois le cap fixé, c’est à lui d’assumer la politique choisie et d’impliquer l’équipe en privilégiant la délégation. Ce qui lui permettra de motiver ses collaborateurs, de créer une dynamique et, sur un plan plus personnel, de dégager du temps pour piloter l’entreprise. » Cette dynamique doit aussi être perçue par les clients car il n’y a rien de plus rédhibitoire qu’un titulaire et une équipe officinale n’arrivant plus à masquer les difficultés rencontrées par l’entreprise. « L’accueil doit être plus que jamais travaillé, rappelle François Medioni. Et là encore, c’est au titulaire de montrer l’exemple… »

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LE CAS DU MOIS

Déremboursements, baisse des prix sur les médicaments, environnement de plus en plus concurrentiel… L’économie de votre officine est aujourd’hui frappée du sceau de l’incertitude.

Une incertitude qui complique singulièrement votre management. Car vous avez le sentiment de n’avoir aucune prise sur les politiques de santé et les nouveaux comportements d’achat des consommateurs qui affectent votre exercice. Nous avons demandé à des experts de décrypter les pratiques managériales à mettre en oeuvre pour retrouver quelques certitudes…

LES EXPERTS

Eric Delavallée

Directeur d’IM Conseil & Formation

Grégory Reyes

Maître de conférences à l’IAE de Poitiers

François Medioni

Fondateur de François Medioni Consulting

AH OUI !

S’inspirer du livre 200 questions-réponses essentielles pour le titulaire d’officine aux Editions Le Moniteur pour transformer au mieux toutes vos interrogations en réflexion stratégique.

OH NON !

Attendre ou pire encore, ne pas réagir lorsque la situation se complique. Si vous ne changez rien, il y a de fortes chances que votre entreprise aille dans le mur.

TÉMOIGNAGE

Un travail de fond avec l’aide de l’équipe

Stéphanie Dubertrand Installée à Argelès-Gazost (Hautes-Pyrénées)

Stéphanie Dubertrand a vu son exercice se compliquer singulièrement ces dernières années à cause d’un environnement concurrentiel difficile. « Après le transfert d’une des deux autres officines de mon village, mon CA a commencé à baisser », explique-t-elle. Pour inverser la tendance, la titulaire décide de s’attaquer à ses frais fixes. Elle renégocie son loyer, les contrats du LGO et sa ligne téléphonique. Elle optimise son stock et son assortiment…

Ce travail de rationalisation des charges fixes se révélant insuffisant, elle fait appel au consultant François Medioni. Le diagnostic réalisé par ce dernier fait ressortir que l’équipe pêche sur le faire-savoir. « Nous avons alors communiqué en vitrine sur notre image prix et sur l’expertise de l’équipe en micro nutrition, phytothérapie, aromathérapie ou gérontologie. » La titulaire décide également de rapatrier dans son officine le cabinet d’orthopédie qu’elle possède dans le village, et profite de l’occasion pour repeindre le point de vente et changer l’aménagement des rayons. Autre signal fort envoyé aux clients : elle élargit les horaires d’ouverture. « Pour ne pas imposer cette nouvelle organisation, j’ai demandé à mes collaborateurs quel serait leur emploi du temps idéal. C’est en faisant la synthèse de leurs desiderata que j’ai réussi à aménager les nouveaux emplois du temps, en faisant plaisir à tout le monde. » Stéphanie Bertrand reconnaît que le climat d’incertitude l’a incité à changer sa pratique managériale.

« Aujourd’hui, je communique de manière beaucoup plus fluide, libre et transparente avec mon équipe. J’organise des réunions pour évoquer la situation de l’officine, et quand il y a un problème, nous essayons ensemble de trouver des solutions. » Cette volonté de ne pas baisser les bras semble porter ses fruits. Le premier mois après le changement d’organisation, la titulaire avait enregistré une progression de 15 % de son CA.