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Publié le 13 mars 2004
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Sous l’impulsion du rapport Berland, les premières expériences de transferts de compétences démarrent depuis février, à l’hôpital notamment. Face au refus d’augmenter plus largement le numerus clausus, l’officine devra s’en inspirer pour résoudre les pénuries de personnels endémiques.

Yvon Berland, doyen de la faculté de médecine de Marseille, affirmait dans son rapport sur la démographie des professions de santé qu’il était « indispensable et urgent d’envisager le transfert de compétences », entre autres pour faire face à la pénurie médicale. Et si ce rapport ne mentionnait pas la pharmacie, Yvon Berland n’en incitait pas moins récemment les pharmaciens « à réfléchir à de nouveaux métiers à temps de formation plus court permettant [de les] accompagner ».

En effet, si établissements de santé et cabinets médicaux se lancent dans l’expérience, pourquoi pas l’officine ? Et de fait, confrontée à un refus des pouvoirs publics d’ouvrir plus largement les vannes du numerus clausus, la profession a-t-elle d’autres choix que d’explorer elle-même ces voies ? « Il y aurait effectivement des choses diverses et simples à faire chez nous en matière de transferts de compétences – simples, au moins dans l’esprit car après il y a des blocages corporatistes », avance Philippe Gaertner, président de l’UTIP et ancien président de l’Association nationale de formation des préparateurs en pharmacie.

Un bac pro mort-né.

Le poids des tâches hors comptoir étouffent la pharmacie. « ça me fend le coeur de mettre un préparateur aux papiers. Et croyez-vous que ce soit logique de faire souligner au marqueur fluo les feuilles de soins électroniques par un adjoint ? », vitupère Suzanne Béguin, titulaire d’une officine de douze employés dans la Nièvre. Voilà pourquoi elle a décidé, comme 200 titulaires en France, de prendre en apprentissage une élève du bac pro commerce option officine. Celui-ci donne l’opportunité au pharmacien ou au préparateur de se dégager de l’animation des espaces de dermocosmétique et autres produits pour bébé, de la gestion des stocks, de l’accueil téléphonique et de nombreuses autres tâches comme la télétransmission ou les contrôles de bordereaux. « C’était l’esprit de ce bac et c’est selon moi la piste à suivre », déclare Philippe Gaertner.

Pourtant, trois ans après sa création à l’officine, ce bac reste un échec. Il reste méconnu des titulaires et suscite la méfiance ou l’incompréhension des autres collaborateurs. « Mes employés m’ont dit qu’ils ne savaient pas à quoi cet apprenti servait », indique Suzanne Béguin. Sans compter la défiance de certains syndicats. Enfin, pour couronner le tout, les modules optionnels du bac pro commerce sont déjà menacés de disparaître d’ici un à deux ans. L’arrêté n’est pas encore signé, mais déjà les demandes de création de ce diplôme par les CFA de Marseille et Toulon ont été suspendues par le conseil régional de l’Ordre en attendant d’y voir plus clair. « Mais ce sera peut-être justement pour nous l’occasion de remettre sur la table l’idée d’un bac pro officine », suggère Philippe Gaertner.

Employés polyvalents.

Outre le bac pro, l’idée de formations courtes adaptées à l’officine fait son chemin. « J’ai été sollicité par de grosses pharmacies désirant des gens formés à la gestion des automates, du stock et de l’administratif », rapporte Jean-Robert Gracis, directeur du CFA de Toulouse. Le CFA de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) a, lui, déjà retroussé ses manches en réunissant un groupe de travail : pharmaciens, préparateurs, Ordre, syndicats. Françoise Lartigue, directrice du CFA, précise que « le projet se traduirait par un certificat académique de compétences fait en contrat de qualification. Cette formation d’employé polyvalent ou officinal (le nom n’est pas encore défini) permettrait de décharger le pharmacien et le préparateur de toutes les tâches administratives (stock, commandes…) afin qu’ils restent au comptoir ». Reste à avoir l’aval de la Commission paritaire nationale de l’emploi (CPNE).

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Des initiatives privées, échappant au contrôle de la profession, ont déjà été prises. La société Conseil et Performances a par exemple créé une formation de « technicien en pharmacie », devenue depuis « vendeur multifonction ». « Ce type de formation n’est pas agréé par la branche, explique Philippe Gaertner. Mais si l’idée d’employés polyvalents ne correspond pas à la liste définie par les partenaires sociaux, c’est une piste à creuser. »

Quant à un transfert de tâches du pharmacien vers le préparateur, il existe sans exister… Mais quid du « contrôle effectif » par un pharmacien des délivrances effectuées par les préparateurs ? A cet égard, il faut signaler qu’Yvon Berland écrivait dans son rapport, concernant le domaine médical, qu’un transfert des compétences officielles permettrait aussi de régulariser « des pratiques existantes non reconnues ».

L’idée d’une qualification supplémentaire des préparateurs circule au sein de la profession. « Il faut utiliser au mieux les diplômes présents à l’officine et trouver de façon négociée avec les syndicats le moyen de permettre aux préparateurs d’évoluer », avance Philippe Gaertner.

Superpréparateur.

Parmi les projets à l’étude, une formation qualifiante après le brevet de préparateur, qui permettrait à certains d’intégrer, pourquoi pas, des études de pharmacien. La CPNE travaille aussi sur un référentiel de dermocosmétique sous la forme d’un certificat de qualification professionnelle permettant aux préparateurs d’acquérir une spécialisation. Evolutions qui ravissent Suzanne Béguin : « Le schéma du préparateur « qui-peut-tout-faire » fait partie de la pharmacie d’il y a 30 ans. La profession a compris qu’il fallait rémunérer les préparateurs et les former. » « Deux diplômes sont liés au médicament, celui de pharmacien et celui de préparateur. Les autres sont des compétences générales que l’on retrouve dans tous les secteurs de la distribution. Est-ce que tous les collaborateurs de l’officine devront être des préparateurs ? ça dépendra de la taille de l’officine, de ses capacités », analyse Robert Bichaud, directeur du CFA de Marseille.

Pour déterminer le contenu de nouvelles formations et nouveaux métiers liés à l’officine, le « contrat d’étude prospective » de la CPNE, initié il y a un an, semble le prérequis indispensable. Cette mise à plat des besoins de la profession est en train de se mettre en route, « il ne manque plus que la signature de l’Etat, qui assure le cofinancement avec les organismes paritaires collecteurs agréés », précise Roger Halegouet, préparateur enseignant et vice-président de la CPNE.

Le transfert de compétences générales ne sera pas forcément lié à la création de nouveaux diplômes « pharmaceutiques », à l’instar de cette grande pharmacie d’Aix-en-Provence qui vient d’engager une diplômée de l’Ecole supérieure de commerce pour la gestion administrative et celle du personnel. La voie est ouverte, aux pharmaciens d’exprimer leurs besoins.

Des infirmières qui suivent les patients chroniques

– Quatorze expérimentations de transferts de compétences vers les paramédicaux sont lancées depuis février dans une vingtaine d’établissements de santé et quelques cabinets. On note par exemple, en imagerie médicale, la réalisation par des non-médecins d’échographies et de traitement des images.

– En ophtalmologie, des orthoptistes vont s’essayer à certaines mesures (lunettes, examen du champ visuel, adaptation des lentilles…).

– Côté infirmières, des spécialisations d’infirmières cliniciennes pourront concrétiser les expériences démarrées : en cardiologie (où elles s’occuperont de certaines prises en charge cliniques, des échocardiographies…) ; en néphrologie (suivi de paramètres cliniques et biologiques pour les insuffisants rénaux, surveillance des dialysés…) ; en oncologie (exécution de dosimétries, de la chimiothérapie, surveillance postthérapeutique…) ; en diabétologie (conseil, surveillance de paramètres biologiques ; une consultation de diététique est aussi prévue au CHU de Nantes) ; en hépatogastroentérologie (suivi de patients atteints de maladies chroniques, réalisation d’examens d’exploration fonctionnelle digestive).

– En médecine générale, une expérience concerne la prise en charge de patients en Poitou-Charentes (offre de nouveaux services de soins en cabinet de ville : conseil, prévention, suivi des traitements).

– A noter que, même en chirurgie, il n’est pas exclu de déléguer certains actes aux infirmières de bloc opératoire comme cela se pratique déjà ailleurs.