Qui m’aime me suive… pas !

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Publié le 26 juin 2020
Par Christine Julien et Thierry Pennable
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Travailler avec des proches. Concilier vie professionnelle et relation amoureuse nécessite des frontières et des règles claires, ou de chercher un poste ailleurs pour enrichir son environnement

La fusion des univers

Partir en vacances en même temps, partager les trajets, être toujours ensemble fait figure de jackpot pour les couples qui travaillent dans la même pharmacie. Pourtant, des écueils les guettent !

De fausses bonnes idées

→ L’entreprise, terrain de « je ». Si vous considérez que votre conjoint ne s’occupe pas assez de vous à la maison, vous pouvez avoir tendance à vouloir compenser cette frustration. Et chercher au boulot ce que vous n’avez pas chez vous. Ainsi, la pharmacie « devient le terrain de “je” pour tenter de résoudre ailleurs » (extrait du livre Travailler en famille avec plaisir, voir encadré) les « dossiers » toujours ouverts dans l’intimité. Conseil : exprimez clairement vos attentes à votre conjoint. Il ne peut pas les deviner, il n’est pas vous !

→ Résolution in situ. Laissez vos collègues tranquilles ! Si vous avez des problèmes de couple, ne sollicitez pas un homologue pour vous aider. Optez pour une résolution ailleurs que dans l’espace de vente !

Mon couple, mon officine

→ Des conjoints qui se ressemblent ou se complètent. Quand les conjoints sont en phase, c’est facile pour eux mais plus difficile pour les collègues. Ces couples ne comprennent pas pourquoi les autres ne les « captent » pas. Avec un duo complémentaire, il y en a toujours un à qui on peut s’adresser et avec qui on peut espérer que ça va bien se passer. Sauf si le couple s’entend mal, car peut se profiler à un moment la question « Dans quel camp es-tu ? »

→ Une communauté de travail, une unité de lieu, de temps et de personnes. L’officine est une entreprise où des habitudes et des stéréotypes se créent facilement, où les étiquettes fleurissent et se figent. Il y a le râleur, le maniaque, le timide… Des étiquettes qui ne laissent pas de place au changement, à l’évolution, voire à la création. Le couple n’échappe pas à ce fléau.

→ Des valeurs implicites. Chaque couple a des valeurs pas forcément exprimées mais qui rejaillissent dans sa façon de travailler. Toute critique sur sa manière de faire sera perçue comme une agression personnelle.

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Les bonnes pratiques

Établir des règles

→ Définir des espaces. Chaque couple est unique et tout est possible dès lors que les partenaires sont d’accord sur le principe et que chacun y trouve son compte. Soyez strict sur la différenciation des espaces, privé et public. Au travail, on n’aborde pas les choses du privé, et dans le privé, on n’évoque pas le travail. Conseil : prévoyez des mini-réunions à la pharmacie pour parler du boulot avec le conjoint.

→ Ouvrir deux registres de communication. C’est au couple de titulaires de fixer les règles. Certains cumulent les relations amicales et professionnelles sans problème. Se tutoyer, sortir ensemble, tout en pouvant exprimer ce qui ne va pas dans le travail. Sinon, ne pas hésiter à dire : « Je n’arrive pas à aller boire un verre avec vous parce que vous êtes mes patrons. »

→ Retenir les affects. Si trop d’affects personnels entrent en jeu dans le management discordant du couple dirigeant, la structure vacille car les salariés ne savent plus à quel saint se vouer. Cela peut déstabiliser la motivation et l’implication.

Clarifier

→ Bannir l’implicite. Un couple de titulaires doit énoncer clairement les domaines de chacun « Voyez ma femme pour tel problème/ mon mari pour tel sujet. » Sinon, le salarié doit demander : « Je voudrais qu’on prenne le temps de dire ce que vous attendez de moi. J’ai besoin de savoir qui fait quoi. À qui je dois m’adresser pour telle chose. »À éviter : en cas de refus de l’un, ne pas solliciter l’autre. Ils pourraient, à juste titre, se sentir manipulés.

→ Incarner les valeurs. « Le poisson pourrit par la tête. Ce qui se passe en haut se retrouve en bas », remarque Anne Juvanteny (voir interview). En cas de relations très conflictuelles dans un couple de titulaires, ou d’esprit de compétition, les salariés se sentent autorisés à faire de même et la cohésion de l’équipe en souffre. Si le couple est dans le consensus et dans la discussion pour résoudre les problèmes, il y a de fortes chances que toute l’équipe adopte un comportement similaire.

Quand le couple va mal

Reconnaître les signes

→ La recherche d’un tiers. Un couple qui va mal a besoin d’un tiers. En famille, c’est souvent les enfants. Au travail, c’est le ou la collègue. C’est la titulaire/la collègue qui vous dit en parlant de son mari : « Va lui parler parce que moi il ne m’écoute pas. » Le couple a tellement de mal à communiquer qu’il a besoin d’un porte-parole, d’une troisième personne qui va servir de tiers thérapeutique. À éviter !

→ Le comportement limite. Quand un couple exprime des injonctions contradictoires. Quand vous demandez quelque chose à l’un et qu’il vous renvoie vers l’autre et vice versa. Quand l’un dit noir et l’autre blanc, c’est vous qui êtes mal dans votre boulot. Vous êtes énervé et avez envie de fuir. C’est ce qu’il faut faire !

Repérer les pièges

→ La dispute crée une brèche dans laquelle les collaborateurs peuvent s’engouffrer, soit par empathie, soit pour essayer d’en profiter. Conseil : traiter les motifs personnels de dispute avec un thérapeute pour éviter de mettre à mal votre relation professionnelle en plus !

→ Se positionner en médiateur ou en confident est inconfortable. « Rares sont les personnes qui arrivent à maintenir une parfaite neutralité vis-à-vis d’un couple qui s’affronte », constate Anne Juvanteny. En cas de conflit avéré, la tentation de finir par prendre partie sera grande. Encore faut-il que votre neutralité de médiateur ou de confident soit acceptée, avec le risque que le couple se retourne contre vous. Un ennemi commun rapproche. Conseil : contentez-vous d’une écoute bienveillante, sans privilégier personne.

→ Jouer le tampon vous donne de l’importance. Cela vous valorise, mais attention ! En agissant ainsi, vous empêchez la communication de se faire à un niveau plus « propre » et plus direct entre les protagonistes et vous participez de fait aussi au problème. Ce type de situation à trois peut glisser rapidement vers une attitude manipulatoire.

→ L’espoir de gagner. Entrer dans la relation du couple, c’est un peu pénétrer dans leur lit et mieux vaut s’en prémunir. Avant de vous engager, vérifier que vous n’êtes pas guidé par l’espoir d’obtenir des avantages en vous rapprochant de vos chefs. À éviter, vous n’avez qu’à y perdre.

Adopter la clarté

Vous n’êtes pas là pour jouer un rôle qui ne correspond pas à votre fiche de poste. Vos responsabilités professionnelles n’intègrent pas une option « psy ».

→ Dire « Ça ne me va pas ». Si vous avez le sentiment d’être pris à partie dans un problème conjugal, dites clairement : « J’ai l’impression d’être au milieu d’une histoire qui vous est personnelle et ça me gêne. » Cela peut faire prendre conscience aux conjoints qu’ils mettent les autres en inconfort. Et s’ils se retournent vers vous avec un « Ça va, si on peut rien te demander ! », allez conseiller un client, personne ne pourra vous reprocher de faire votre travail. Et vous marquerez ainsi la frontière entre vie professionnelle et vie privée.

→ Ne pas chercher à comprendre. Vous n’êtes pas psychologue et risquez d’interpréter la situation conflictuelle à travers votre propre histoire et de faire des raccourcis malgré vous. Ne vous imposez pas de comprendre et d’élaborer des suppositions au motif que, parce que des conjoints se disputent, vous devez les convaincre de… Ne vous mettez pas une telle pression, source d’angoisse et de stress. Protégezvous en gardant vos distances.

Avis de la spé

“La différence aide à nous construire

Anne Juvanteny, consultante, coach, thérapeute familiale et autrice de Travailler en famille avec plaisir, InterÉditions, Dunod.

Comment réserver le couple quand on travaille ensemble ?

C’est très compliqué quand on est tout le temps ensemble car le désir est basé sur le manque. Il faut être vigilant et chercher d’autres espaces, personnel, social ou professionnel, pour bénéficier d’un autre regard sur soi que celui du conjoint. L’un des dangers est d’être une bonne équipe, mais plus un couple au sens conjugal.

Quels sont les signes d’alerte ?

Quand on n’arrive plus à discuter d’autre chose que des enfants ou de l’entreprise et que les moments dédiés à la vie conjugale se font rares.

Que devient la vie de couple alors ?

Tout est possible dès lors que les deux sont d’accord et que chacun y trouve son compte, mais le plus souvent l’un en souffre. Certains couples fonctionnent super bien au travail ou en famille mais se sont oubliés en route. Ils s’aperçoivent parfois trop tard qu’ils n’ont pas assez nourri leur vie de couple et regrettent alors l’amoureux ou l’amoureuse qu’ils ont choisi il y a quinze ou vingt ans.

Et si on tombe amoureux d’un collègue ?

Je suggèrerais de réfléchir à quitter l’entreprise. Être tout le temps dans les mêmes endroits, avec les mêmes personnes, prive des opportunités de développement personnel. Les autres et la différence nous aident à nous construire et à nous renouveler. Plus nous avons d’espaces différents, plus nous sommes riches et découvrons les multiples facettes de notre personnalité. Si je suis tout le temps dans les mêmes milieux et avec les mêmes personnes, je finis par penser pareil. Je vais être amené à nier plus ou moins des aspects de ma personnalité, ou à ne pas les regarder parce qu’ils n’ont pas leur place dans cet environnement.

Et les horaires décalés ?

Si l’un peut changer d’entreprise, c’est mieux. Il faut être vigilant avec « moi le matin, toi l’après-midi ». C’est super pour s’occuper des enfants mais c’est une catastrophe pour le couple. En réalité, les partenaires ne se voient plus, et les enfants n’ont jamais leurs deux parents ensemble.

Avec l’aimable participation d’Anne Juvanteny, consultante, coach et thérapeute familiale.