Ces pharmaciens étrangers qui ont choisi la France

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Publié le 21 janvier 2006
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Voici l’histoire de pharmaciens qui ont choisi la France pour y travailler. Citoyens de l’Union européenne ou d’ailleurs, ou bien titulaires d’un diplôme non européen, leur parcours n’a pas toujours été facile. Leur regard sur notre façon d’exercer est également riche d’enseignements.

Virginie Devos, australienne : « Un stage à Douvres pour valider mon diplôme australien en France ! »

Titulaire du di-plôme australien de pharmacie, Virginie Devos ne pouvait exercer en France qu’à l’hôpital. Son diplôme étant reconnu en Grande-Bretagne, les autorités françaises lui ont donc demandé de s’inscrire à l’équivalent de l’Ordre britannique, garantie de la reconnaissance entre pays de l’UE. « J’ai dû effectuer un mois de stage à Douvres, pris en congé sans solde, avec logement à l’hôtel. Je ne l’ai obtenu que comme Australienne titulaire d’un diplôme correspondant aux besoins d’emploi du pays ! », explique-t-elle en repensant au 13 juillet 2004, jour où elle reçut son équivalence, deux ans après son retour de Sydney. Fin de la quête le 1er décembre dernier, avec son installation à Carvin, dans le Pas-de-Calais, après neuf mois d’assistanat.

Il lui a fallu s’habituer aux spécificités françaises. « En Australie, les pharmaciens sont moins distributeurs de boîtes mais davantage conseillers, et les médecins nous estiment davantage. » Et Virginie Devos de souhaiter que la France s’oriente, à l’instar de l’Australie, vers une participation des pharmaciens à l’optimisation des thérapies appliquées aux patients sur la base de rapports rémunérés (les « medication reviews »). Question mentalité, gros changement car « les Australiens ont l’habitude de payer », contrairement aux Français.

« Dommage que les Français en soient encore à penser que leur diplôme est le meilleur. Il est juste différent. On a tout à apprendre des autres », conclut Virginie.

Montserrat Findeling, espagnole : « Les employeurs potentiels m’estimaient forcément moins compétente »

Si elle n’avait pas rencontré un Français à Montpellier, il y a cinq ans, Montserrat n’aurait sans doute pas quitté sa Catalogne natale, en 2000, suite à ses trois années d’internat en pharmacie hospitalière à Barcelone. Après la reconnaissance du diplôme espagnol – une formalité -, elle travaille deux jours par semaine au service de pharmacovigilance du CHU, ensuite à mi-temps dans une officine dont le mari de la titulaire est aussi d’origine espagnole. « Cela n’a pas été vraiment facile, soupire Montserrat. A chaque fois qu’une possibilité se présentait, on me demandait si j’avais fait mes études en France ou en Espagne. Car même avec cinq années d’études, six mois de stage dans une officine en Espagne et trois ans d’internat hospitalier, on devait estimer que je ne pouvais pas être aussi compétente que si j’avais eu un diplôme français… »

« Le plus difficile a été d’apprendre les noms commerciaux de médicaments, bien différents des noms espagnols, observe Montserrat. L’homéopathie, surtout, et la phytothérapie sont aussi beaucoup plus développées ici, tout comme le médicament conseil. »

Côté relation client, elle note juste que les Français sont d’une approche moins « facile car ils se confient moins rapidement ». Rien de très différent non plus en matière de salaire et de perspectives de carrière : « Les salaires sont plus bas en Espagne, mais comme le coût de la vie y est moins élevé, ça revient à peu près au même… »

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A 33 ans, Montserrat imagine son futur en France : « Je commence à me sentir intégrée, rentrer en Espagne serait un nouveau décalage professionnel, peut-être encore plus difficile. »

Frédéric Vekemans, belge : « On est plus protégé en France »

Hélène et Frédéric, 35 et 34 ans, elle française, lui belge, tous deux diplômés de l’Université de Bruxelles (en 1995), sont installés à Trith-Saint-Léger, dans le Nord, depuis 2002. Ils auraient pu aussi bien s’installer en Belgique, mais avec le risque de se retrouver un jour avec une Multipharma* en face de leur officine, ou un investisseur privé déléguant la gestion de l’officine à un pharmacien gérant. « On se sentait capable d’acheter en France avec, en sus, le sentiment d’y être davantage protégé », explique cet ancien champion de Belgique du 100 mètres brasse. Jamais il ne s’est senti exclu en France. Pourtant Frédéric Vekemans a dû s’adapter : « Ici le Lasilix, là-bas le Lasix. Il faut bien compter deux mois pour s’adapter. En France, on peut délivrer pour un mois, pas en Belgique où, par contre, on peut ristourner. » Aujourd’hui, il s’est fait à la France, à sa « paperasse », à cette mentalité bien ancrée du « tout-remboursé ».

* Premier groupe de distribution pharmaceutique en Belgique avec 249 officines.

M. B., marocain : « Mon retour en France a été aisé »

Reviens en France, il y a du travail pour toi, nous manquons de pharmaciens. » Ses amis, anciens étudiants comme lui de la fac de pharmacie de Lille, ne devaient plus y croire quand M. B. a fait le choix, en 2003, de vendre son officine au Maroc pour revenir exercer dans le pays qui a assuré sa formation supérieure jusqu’en 1992. « J’ai décidé de revenir en France car je ne pouvais plus exercer correctement le métier, le Maroc étant envahi par nombre de diplômés de l’ancien bloc de l’Est. La réalité là-bas, c’est la bataille sur les prix, sur les remises, des ventes de produits du tableau sans ordonnance, aucune politique de santé au niveau pharmaceutique. »

Après quelques mois d’assistanat en 2004, le voici titulaire près de Lille. « Comme étranger titulaire d’un diplôme français, j’ai sollicité et obtenu l’arrêté ministériel d’autorisation d’exercice. Le salaire minimum est de 200 euros par mois au Maroc, avec des médicaments à prix identiques, la couverture médicale, en cours de gestation, n’y existe pas. Les pharmaciens y connaissent de réelles difficultés. Mais tout est relatif eu égard aux conditions de vie. »

M. B. n’exclut pas dans quelques années de recommencer ailleurs : marocain au Maroc, français en France… et pourquoi pas wallon en Wallonie !

LES FORMALITÉS À ACCOMPLIR POUR EXERCER EN FRANCE

Thaï Nguyen, vietnamien : « Mon histoire m’a rendu professionnellement plus battant »

C’est d’abord pour accomplir mes études supérieures que je suis venu en France, en 1966. Au Vietnam, la répression était telle qu’il n’était pas question d’échouer aux examens, sous peine d’être incorporé à l’armée, raconte Thaï Nguyen. Comme au Vietnam j’avais obtenu un baccalauréat français, j’ai pu suivre mon cursus à Châtenay-Malabry. A cette époque, la France ne devait être qu’une étape. » L’histoire en décidera autrement. Retour à Saigon en 1973 où Thaï prend en charge une équipe de visiteurs médicaux dans un laboratoire vietnamien. En 1975, avant la chute de Saigon, il fuit le pays pour Paris, avec le statut de réfugié politique. « Je n’avais rien, à part mon passeport du Sud Vietnam, sans valeur car le pays n’existe plus. » Pourtant, Thaï réussit en quelques mois à s’installer. « Le plus difficile a été de constituer mon dossier administratif. Je ne pouvais présenter aucune pièce requise, je n’avais pas de papiers d’identité, pas d’acte de naissance, pas d’extrait de casier judiciaire, etc. Tout a été résolu sur des déclarations verbales. Et mon inscription à l’Ordre s’est faite sans problème. » Aujourd’hui, Thaï ne se sent plus apatride, mais français. « J’ai construit ma vie en France, j’ai épousé une Bretonne, mes enfants sont français et j’ai finalement acquis la nationalité française. Mon histoire personnelle m’a rendu professionnellement plus battant, plus ambitieux et plus mobile. Je n’ai pas peur des changements. »

Susan Jais, britannique : « Mon accent est un avantage »

Diplômée en 1968 à Cardiff, Susan Jais a traversé la Manche pour épouser un kinésithérapeute français. Pour elle, exercer en France ne présente aucune difficulté, à condition de s’adapter. « Je me suis fixée définitivement en France il y a 30 ans, quand je me suis mariée. Mais je reste anglaise ! », tient-elle cependant à préciser. Pas question pour Susan de dissimuler son accent. « C’est un avantage au comptoir parce que les patients se souviennent de moi. Ils aiment aussi discuter de la Grande-Bretagne. » Parfois, elle dit ressentir un brin de méfiance chez des clients. Par exemple quand elle ne peut pas leur distribuer un produit… car il n’existe pas : « Ils pensent d’abord que je n’ai pas compris. » Elle ajoute : « Avec le temps, j’ai appris à privilégier pour mes remplacements les grandes pharmacies qui ont beaucoup de passage, plus ouvertes. » Sinon, elle continue à s’amuser des maladies typiquement françaises. « En Grande-Bretagne, on ne vend pas de veinotoniques. Quand je faisais des traductions d’AMM, cela me posait problème car je ne savais pas comment traduire ce mot. Je suppose que les veinotoniques n’existent pas outre-Manche… parce que les Anglais n’ont pas mal aux jambes ! »

Plus sérieusement, Susan apprécie la manière dont les officinaux français travaillent. Dans les pays anglo-saxons, le pharmacien est moins visible. Il prépare l’ordonnance dans son arrière-boutique. Autre différence : « Les Français connaissent bien les médicaments puisque l’ordonnance est écrite à leur intention (et ils en gardent l’original). En Grande-Bretagne, le patient reçoit son médicament simplement avec une étiquette imprimée par la pharmacie avec le nom et la posologie. » Dernière différence de taille : « Chez vous, les pharmaciens sont indépendants. » Pas de chaînes ni de médicaments dans les supermarchés, comme au Royaume-Uni. –

Sigrid Veits, autrichienne : « Cela me paraissait insurmontable »

Passionnée par les sciences naturelles, Sigrid Veits a fait ses études de pharmacie à Graz, en Autriche, puis a exercé 15 ans dans son pays natal. Un divorce douloureux la poussera à s’exiler en France, où elle a quelques amis. Francophone, elle trouve un poste de vendeuse à Paris dans une boutique de produits naturels. Régulièrement, elle visite la pharmacie d’une amie pour retrouver l’ambiance qui lui est chère. Mais travailler dans une officine française lui semble une épreuve insurmontable.

C’est un pharmacien à la retraite, rencontré au Musée du Louvre, qui la poussera à franchir le pas. Sigrid retourne en Autriche pour obtenir les papiers officiels nécessaires à la validation de son diplôme. Le pharmacien retraité, devenu son « conseiller », lui recommande ensuite de faire du porte-à-porte dans les pharmacies, son accent risquant de la desservir au téléphone. Parallèlement, Sigrid passe du temps dans l’officine de son amie à ranger les commandes, pour apprendre. Chez elle, elle étudie le Vidal. Suivra une embauche, dans le Ier arrondissement de Paris. Comme elle le redoutait, les manipulations informatiques seront difficiles. Ses collègues l’aident beaucoup, la patronne est patiente.

En onze mois, Sigrid s’est étonnée puis habituée aux différences entre la France et l’Autriche. D’abord, l’importance de la parapharmacie dans le chiffre d’affaires et l’incitation à la vente qui s’ensuit. Ensuite, la liberté du pharmacien. Une avance de médicaments ? Impensable en Autriche ! En revanche, le pharmacien autrichien peut prendre la responsabilité de dépanner un touriste, sans prendre soin de noter les coordonnées du médecin et l’adresse du patient à l’étranger. Enfin, ce que Sigrid retiendra de son expérience à Paris, c’est la relation privilégiée avec les clients, d’où sont nées des amitiés durables.

I. B., ivoirienne : « Je trouve aberrant qu’on ne puisse pas exercer ici avec un diplôme français ! »

Par peur de n’être jamais autorisée à exercer en France, cette jeune pharmacienne africaine n’a pas souhaité témoigner nommément. Installée à Montpellier depuis 1990, elle a soutenu sa thèse avec succès en septembre dernier. Elle pensait pouvoir s’inscrire à l’Ordre dans la foulée et travailler comme adjointe. Que nenni ! Comme tous les étrangers originaires d’un pays hors espace économique européen, elle n’est pas certaine de pouvoir exercer un jour en France. Il lui faudra au préalable obtenir une autorisation ministérielle, non systématique, car non seulement soumise à un avis favorable du Conseil supérieur de la pharmacie (par vote à bulletins secrets), mais aussi au non-dépassement du quota annuel de pharmaciens étrangers fixé par arrêté ministériel, de l’ordre d’une cinquantaine chaque année.

« Qu’il y ait un quota de pharmaciens étrangers autorisés à s’installer, j’aurais pu le comprendre. Mais qu’on ne puisse pas exercer comme pharmacien salarié alors qu’on a un diplôme français, je trouve cela aberrant, et je ne suis pas la seule ! » Le 1er décembre, le Conseil supérieur de la pharmacie lui a refusé une demande d’autorisation d’exercice parce que le conseil régional de l’Ordre auprès duquel elle s’était renseignée ne la connaissait pas ! Si sa prochaine demande est rejetée, elle n’aura qu’une seconde chance, pas trois.

En attendant, comme tous les pharmaciens étrangers dans son cas, cette jeune Africaine peut travailler en officine sans autorisation préalable, mais comme… préparatrice. Ce qu’elle fait en intérim depuis le 24 décembre dernier.

Léna Ducasse, syrienne : « Pharmacienne en Syrie et étudiante en France »

A 30 ans, Léna n’a que le statut d’étudiante et poursuit sa 6e année d’études à la faculté de Châtenay-Malabry. « J’aurai bientôt deux diplômes de pharmacien, l’un syrien, obtenu à Damas en 1997, et l’autre français. » Un parcours obligé pour les pharmaciens étrangers détenteurs d’un diplôme extracommunautaire. Mais ce n’est pas qu’un simple examen d’équivalence que Léna doit réussir en France. « Pour pouvoir légalement exercer, il faut reprendre ses études et passer le concours après avoir passé une épreuve écrite de français. Je me suis sentie dévalorisée. En Syrie, j’ai fait cinq ans d’études, j’ai exercé pendant deux ans comme titulaire puis j’ai travaillé trois ans chez Aventis comme manager régional, souligne Léna, qui déplore l’absurdité de ce système. Pourtant les programmes sont identiques, car la Syrie était sous mandat français. J’ai finalement repris mes études pour faire des révisions, sauf pour deux enseignements : la législation pharmaceutique, qui est différente dans mon pays, et l’homéopathie. Je connaissais le principe mais, en Syrie, nous ne l’utilisons pas. La réussite au concours m’a permis d’accéder directement en 5e année. Je dois maintenant valider la 6e année et soutenir ma thèse. Bien que dispensée des 2e, 3e et 4e années d’études, je suis néanmoins tenue de passer un examen oral de vérification des connaissances portant sur le programme de ces trois années. Heureusement mon mari, français, pharmacien d’industrie (diplômé de Châtenay-Malabry), m’aide et me donne les bons tuyaux. »

Katarzyna Bellaïche-Krakowska, polonaise : « Il n’y a pas de raison de craindre un flux de pharmaciens polonais vers la France »

A la fin de son stage de 6e année à Poznan, en 1999, Katarzyna décide de passer six mois à Paris pour apprendre le français. A deux semaines de son retour en Pologne, elle rencontre Christophe, son futur mari. Elle reste en France… L’ordre des pharmaciens va l’informer que seules les trois premières années de son diplôme polonais ont une équivalence ici. Katarzyna s’inscrit dès lors à l’université, tout en travaillant dans un centre de formation Vichy et, à mi-temps, comme étudiante dans une officine à Paris. Le titulaire et les trois associées la forment et l’encouragent dans ses projets. Recalée au concours de première année, il lui aura fallu attendre – avec impatience – l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne pour voir son diplôme polonais reconnu en intégralité. A 30 ans, elle est aujourd’hui adjointe dans une pharmacie du XVe arrondissement de Paris employant 10 personnes.

Pour Katarzyna, en France, les comptoirs ouverts permettent d’entretenir une relation privilégiée avec les clients. En Pologne, la séparation physique par une vitre entre le pharmacien et ses clients rend le service anonyme et froid. Et puis, là-bas, le droit de substitution n’existe pas. Katarzyna s’est aussi étonnée de certains médicaments, comme des gouttes pour le nez, délivrés sur ordonnance en France et en libre accès en Pologne.

Revenant sur son « exil », Katarzyna explique que ce fut le choix du coeur. Elle est formelle : « Il n’y a pas de raison de craindre un flux de pharmaciens polonais vers la France. Les pharmaciens gagnent très bien leur vie en Pologne et ils évoluent plus vite qu’ici… »