Spécialisation XXL
Philippe Durand a profité d’une opportunité d’agrandissement pour créer un vaste espace de matériel médical, un rayon optique, de l’orthopédie et même des vêtements professionnels ! Il a ainsi multiplié par dix-sept son chiffre d’affaires. Et préservé ses marges.
Adolescent, Philippe Durand nourrissait un rêve. « Je voulais une pharmacie où le client pouvait trouver tous les produits et services concernant la santé, en s’inspirant du modèle de la FNAC. » Trente ans plus tard, les fées semblent l’avoir écouté. Au coeur du très touristique bassin d’Arcachon, la Pharmacie Durand-Eroles (qu’il partage avec deux autres cotitulaires) s’impose dans la rue principale du centre-ville de La Teste-de-Buch (Gironde). Derrière une façade d’une dizaine de mètres de long, 22 personnes travaillent dans un espace de plus de 1 200 m2 avec magasin d’optique (faisant partie de l’officine), rayon d’orthopédie et, surtout, immense show-room de MAD muni d’une salle de décontamination et de nettoyage.
Pourtant, rien ne destinait l’ex-petite officine à devenir ce vaste « pôle de santé ». « Au début des années 1980, elle ne faisait que 50 m2 et n’avait que quatre salariés », explique Philippe Durand, qui devient l’un des trois titulaires en 1984 avec, d’emblée, l’idée de développer de nouveaux services. Justement, un an plus tard, à la lecture d’un journal, il découvre que l’hospitalisation à domicile représente aux Etats-Unis 20 % du budget santé d’un patient. Le nouveau service, ce sera donc le MAD. Un marché à l’époque inexistant en pharmacie. « On me prenait pour un fou. Personne n’y croyait ! » Peu importe. Philippe Durand loue deux grands garages à proximité de l’officine pour ouvrir un show-room et visite les salons de matériel médical.
Peu à peu, il achète quelques lits et les propose à la clientèle du bassin d’Arcachon, dont la majorité est âgée de plus de 60 ans. Son offre, qui s’élargit aux fauteuils roulants, lui permet à l’époque de proposer 70 références. Le chiffre d’affaires s’envole. « Nous étions l’une des premières pharmacies à proposer le tiers payant et l’offre de matériel médical commençait à représenter un revenu complémentaire. » Mais le manque d’espace empêche cette nouvelle activité de prendre son essor. Jusqu’à ce que le magasin de meubles de 800 m2 qui jouxte la pharmacie soit à vendre. Une formidable opportunité que Philippe Durand saisit au vol. « Comme le chiffre d’affaires a été multiplié par cinq durant les cinq premières années, j’ai pu négocier un crédit pour racheter le pas-de-porte et les murs. » Transformant la petite officine en un vaste espace de 1 200 mètres carrés.
Contrer la concurrence avec un groupement d’achats
Très vite, l’activité de matériel médical s’impose comme une activité à part entière. « La pharmacie a attiré une clientèle de particuliers, puis de maisons de retraite, lesquelles appréciaient d’aller chercher leurs équipements en un seul endroit au lieu d’aller voir plusieurs prestataires », constate Philippe Durand. Mais l’exemple de la Pharmacie Durand-Eroles fait des envieux. « Certains pharmaciens du bassin d’Arcachon ont vu d’un mauvais oeil notre essor dans le matériel médical. Une vingtaine d’entre eux se sont rassemblés pour créer un magasin de matériel médical à Arcachon, dont le statut lui permettait de faire de la publicité et de démarcher librement. » Philippe Durand a alors une autre idée astucieuse : « J’ai rassemblé quelques pharmaciens pour créer un groupement d’achat, Actisanté, et obtenir de meilleures conditions commerciales afin d’avoir les moyens de contrer cette nouvelle concurrence. » Cette réactivité lui a permis, avec plus de 90 000 produits référencés dans l’officine, de générer aujourd’hui 20 % de son chiffre d’affaires global. Et, pour être irréprochable, Philippe Durand, dont les activités sont certifiées ISO, a même conçu un espace de 150 m2 à la pointe de la technologie, avec sas de désinfection, nettoyage du matériel médical avec vapeurs désinfectantes, zone de vérification, fiches de suivi et protocole détaillé à la clé… « Il faut être très consciencieux car, en cas de problème, nous devons prouver qu’une contamination était impossible. »
Des flyers sur les comptoirs pour des lunettes en promotion
Pour Philippe Durand, cette première spécialisation n’est qu’un début. « Je voulais concentrer un maximum de services dans un même lieu. » C’est donc tout naturellement qu’il crée ensuite une zone d’orthopédie, avec une exposition de chaussures dans l’espace pharmacie et une salle réservée au prêt-à-porter (soutiens-gorge, collants…), grâce au recrutement d’un orthopédiste. A côté de l’espace réservé à la pharmacie, Philippe Durand développe aussi un magasin d’optique, sans séparation entre les deux. Mais cette zone dispose de son propre comptoir, de deux opticiens et d’un espace de vente d’une cinquantaine de mètres carrés, avec exposition de lunettes en tout genre. « Un client entre dans une pharmacie une fois par mois en moyenne, alors qu’il pousse la porte de son opticien tous les trois ans. Il y avait donc une opportunité d’attirer une nouvelle clientèle. » Une passerelle que Philippe Durand cherche à entretenir. « A l’intérieur de la pharmacie, nous diffusons des flyers sur des offres promotionnelles de l’espace optique ainsi que des films qui, toute la journée, détaillent nos activités. » Mais sans communiquer à l’extérieur, réglementation oblige. Enfin, Philippe Durand dispose d’une autre corde à son arc. A quelques mètres de la pharmacie, il a ouvert un magasin spécialisé dans les vêtements de travail. « Dans le bassin d’Arcachon, les pharmacies discount sont nombreuses. Se spécialiser permet de chercher de la marge ailleurs que dans les médicaments et la parapharmacie », se justifie le pharmacien.
Le flux de clientèle a été multiplié par six
Mais comment tout cela est-il possible, compte tenu de la réglementation officinale, très stricte ? Car Philippe Durand n’a pu faire fi du Code de la santé publique, notamment de l’interdiction de communiquer faite aux titulaires. Pour pouvoir faire de la publicité, le pharmacien a donc créé une SARL, différente de la société en nom collectif (SNC) qui exploite l’officine. « Cette SARL exploite l’activité de matériel médical. Cela me permet de faire de la publicité vers les maisons de retraite et m’a permis de me diversifier vers le vêtement professionnel. »
Tous ces efforts de spécialisation ont-ils porté leurs fruits ? « Oui, répond sans hésiter Philippe Durand. L’activité de matériel médical et d’orthopédie m’a apporté une nouvelle clientèle. Quant à l’optique, elle accélère le taux de fidélisation. » Surtout, le chiffre d’affaires a été multiplié par… 17 en vingt ans, pour passer à 4,6 millions d’euros ! « Avec un rythme de 400 clients par jour, le flux de clientèle est six fois plus important. »
Ainsi, certains n’hésitent pas à venir depuis le département des Landes pour se fournir en matériel médical. Et le panier moyen a nettement augmenté, permettant à la Pharmacie Durand-Eroles de répartir équitablement son chiffre d’affaires, puisque seuls 60 % sont générés par les médicaments.
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Les avantages
– Diversifier ses pôles de compétences permet à une pharmacie de drainer une nouvelle clientèle, différente de celle des médicaments et de la parapharmacie. Une spécialisation en matériel médical, par exemple, peut attirer des patients au-delà de la zone de chalandise.
– Se spécialiser, c’est offrir à son personnel des opportunités de carrière plus intéressantes. Ainsi, un assistant peut prendre la responsabilité du rayon orthopédie.
– L’espace de vente s’en trouve dynamisé.
– La création de plusieurs pôles spécialisés permet d’équilibrer le chiffre d’affaires et, ainsi, de pallier une éventuelle baisse des ventes en parapharmacie ou en médicaments.
Les difficultés
– Certaines spécialisations requièrent un espace de vente conséquent. Le matériel médical, par exemple, impose un show-room de démonstration.
– Cela nécessite souvent l’embauche de personnes supplémentaires, dont le salaire peut grever le budget de la pharmacie.
– Le règlement officinal peut empêcher le pharmacien de communiquer sur ces nouveaux pôles de compétences.
Les conseils de philippe Durand
– « Méfiez-vous de la concurrence ! Mieux vaut être l’un des premiers (du moins géographiquement) à investir un marché pour s’attirer une clientèle de départ. »
– « Créez une structure juridique différente de la société exploitant la pharmacie pour pouvoir communiquer. »
– « Prenez contact avec les différents prestataires et formez-vous au marché via les salons. »
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