QUAND L’OFFICINE DEVIENT UNE AGORA DE LA SANTÉ
Stefano Giovannoli a investi toute son expérience et ses deniers dans la création d’un pôle de santé multicompétence en zone périurbaine, au cœur de la Lombardie. Une démarche unique en son genre.
Etabli depuis plus de vingt-cinq ans à Castiglione delle Stiviere, une ville de 22 000 habitants à une centaine de kilomètres de Milan, Stefano Giovannoli aurait pu continuer à gérer rondement son officine jusqu’à l’heure de la retraite. Mais c’est sans compter sur l’âme de pionnier qui sommeillait chez ce professionnel aguerri, décidé à donner forme à une vision radicalement novatrice de son métier. Adieu, donc, les 120 m2 en centre-ville, place à un pôle de 4 000 m2 inauguré fin 2010 et associant compétences pharmaceutiques et médicales au sein d’une zone commerciale périphérique en plein essor.
Une réponse à la désertification du centre-ville
Une initiative inédite dans la Péninsule. Et pour cause : si l’Etat italien, à l’instar de son homologue français, souhaite promouvoir depuis quelques années le rôle d’agent de santé du pharmacien, les moyens ne suivent pas. Et la frilosité, tant des acteurs publics que privés, demeure la règle. Stefano Giovannoli, lui, a souhaité prendre les devants, sur ses fonds propres. Derrière sa démesure apparente, son pari repose sur un diagnostic lucide : la désertification progressive du centre-ville de Castiglione delle Stiviere au profit de la périphérie. Périphérie qui accueille un nombre croissant d’activités économiques drainant une clientèle variée, dans un contexte régional dynamique aussi bien sur le plan industriel que touristique, avec la présence du lac de Garde.
« Se retrouver dans la pharmacie », le slogan adopté par la pharmacie Giovannoli, fait écho à son concept : proposer à la fois l’assortiment de produits le plus large possible et une vaste offre de services, le tout dans un édifice aux lignes résolument contemporaines sur trois niveaux.
550 m2 consacrés à la vente et aux services
Deux ans de réflexion et des investissements considérables – au montant non divulgué – ont été nécessaires pour lui donner vie. Et les objectifs de rentabilité sont au diapason d’un espace de vente pensé pour un trafic de 2 000 à 3 000 visiteurs par jour.
C’est au rez-de-chaussée que se déploie, sur 1 000 m2, le périmètre de l’officine, divisé entre 550 m2 consacrés à la vente et au conseil et divers services associés. Un laboratoire fournit ainsi en préparations spécifiques les hôpitaux à l’échelle nationale ainsi que les particuliers. Un comptoir « webcare » permet quant à lui de délivrer leurs prescriptions aux patients atteints de maladies métaboliques en consultant leurs ordonnances par Internet. Tout client peut également se servir d’une borne connectée pour avoir accès à son dossier médical et prendre rendez-vous dans n’importe quel hôpital.« Nous ne gagnons rien sur ce service, mais il crée du trafic », précise Stefano Giovannoli. Enfin, deux cabines d’autodiagnostic seront progressivement équipées pour la réalisation d’un large panel d’analyses.
Une infirmière en charge des autodiagnostics
Faire cohabiter et interagir ces différentes activités au sein d’une très grande surface représentait un cahier des charges hors norme. Le défi a été relevé par le Nantais MobilM (groupe Coupechoux), spécialiste de l’architecture commerciale des espaces de santé. C’est la filiale italienne dirigée par Dario Piccoli qui a piloté la réalisation du projet jusqu’à sa livraison, en collaboration avec son bureau d’études de Milan, sous la houlette de l’architecte Ennio Zuchetti. Le choix de l’architecture, brute et épurée, évoque un concept-store plutôt qu’une pharmacie traditionnelle : le béton apparent, l’acier et le verre règnent du sol au plafond laissé nu. La technologie s’affiche également du côté du laboratoire aux cloisons transparentes. Nulle PLV ne perturbe la visibilité des différentes zones de l’espace de vente, par ailleurs mises en évidence par une signalétique fonctionnelle claire et efficace. L’officine comporte également deux zones de conseil consacrées pour l’une à la cosmétique, à dominante rose, et pour l’autre à la phytothérapie, à dominante verte.
Le souci d’une répartition harmonieuse de la présence humaine dans l’espace passe aussi par la présence d’une caisse rapide proche de l’entrée. Enfin, le désir de Stefano Giovannoli de faire de sa pharmacie une agora moderne se matérialise pleinement par la création, au centre du magasin, d’une zone de détente et d’échanges dotée d’un sofa, avec magazines à disposition… alors que les enfants disposent de leur propre « coin » pourvu d’un mobilier aux couleurs franches. Une équipe de douze personnes composée de huit pharmaciens, une diététicienne, une magasinière, une conseillère cosméto et une conseillère phyto est aujourd’hui à l’œuvre dans l’officine, en attendant l’arrivée d’une infirmière en charge des autodiagnostics.
Des médecins dans les étages
Mais Stefano Giovannoli ne s’en est pas tenu là. Il a poussé la logique du « tout-en-un » jusqu’à la constitution d’un pôle médical au premier et au second étages du bâtiment, accessibles séparément par l’arrière afin de respecter le cadre légal. Pour le reste, la Sécurité sociale italienne a joué à nouveau le jeu d’un partenariat dans lequel elle trouve son compte. Le deuxième étage est ainsi réservé à des médecins hospitaliers qui y assurent des consultations tournantes, dans un vaste champ de spécialités. Ou comment se rapprocher des patients tout en désengorgeant les hôpitaux locaux… Un pourcentage du montant des consultations revient chaque mois à Stefano Giovannoli, via sa société unipersonnelle Ipeca, vouée à ses activités immobilières. Le premier étage est réservé à des médecins de ville qui versent eux-mêmes un loyer à Ipeca. A terme, une vingtaine de médecins devraient exercer à plein-temps sur le site. « Aujourd’hui, ils se battent pour venir », se réjouit le pharmacien.
Enfin, le sous-sol du bâtiment abritera bientôt un spa, une salle de réunion et de formation de 80 places et un espace pour l’orthopédie.
Stefano Giovannoli constate que les seules réactions négatives à l’égard de sa pharmacie nouvelle génération émanent… de ses pairs. S’il reconnaît que la nouveauté de sa démarche implique « un temps de montée en puissance », il se félicite des premiers signaux positifs constatés. Ainsi, sa clientèle l’a suivi et s’est étoffée, baisse de l’âge moyen à la clé. Côté chiffres, si l’ordonnance reste stable et la médication familiale atone, « nos ventes en parapharmacie ont fait un bond de 25 %, portées en particulier par le doublement du chiffre d’affaires du pôle diététique », souligne-t-il. « Aujourd’hui, nos clients nous disent qu’ils se régalent dans notre pharmacie. C’est forcément un encouragement pour toute l’équipe », conclut le titulaire de l’officine.
Un modèle à suivre en France ? Du côté de l’Ordre des pharmaciens, on ne cache pas son intérêt pour une expérience qui s’inscrit dans la logique d’une meilleure répartition territoriale de l’accès aux soins et à la prévention, tout en valorisant les missions du pharmacien(1).
(1) Pour rappel, en France, le pharmacien ne peut pas mettre à disposition ses locaux au profit d’un professionnel extérieur à l’officine.
Le parcours de Stefano Giovannoli
Obtention du diplôme : 1980 à l’université de Bologne
Installation : 1985, dans le centre-ville de Castiglione delle Stiviere (Lombardie)
Inauguration de la nouvelle pharmacie Giovannoli : 13 décembre 2010
SI VOUS AVEZ ENVIE D’ESSAYER
Les avantages
• Anticiper sur les évolutions de la profession et se démarquer de la concurrence.
• Capter une clientèle plus large, sensible à l’innovation et à la dimension de service.
• Activer des leviers de croissance.
• Diversifier sa pratique professionnelle.
Les difficultés
• Disposer d’une surface importante.
• Trouver les fonds, mais aussi le temps et l’énergie nécessaires à la mise en place d’un tel concept.
• Respecter le cadre administratif et légal.
Les conseils
• Adapter le concept « multiservice » en fonction des moyens humains et financiers dont on dispose… et de ses envies.
• S’inspirer de détails intelligents pour repenser son agencement : désencombrer l’espace, améliorer la signalétique, créer une zone de détente, miser sur des touches de design et de couleur pour « sortir du cadre » et s’inscrire dans l’évolution du métier.
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