Le libre accès vu par quatre titulaires
Dans quelques semaines, plus de 200 spécialités passeront la barrière du comptoir. Les répercussions que cette mesure aura sur la profession sont nombreuses, que ce soit en matière d’agencement, de services ou de communication. Quatre titulaires s’expriment.
1 Oui au libre accès de l’OTC
Jean-Marc Veryepe, titulaire à Saint-Venant (Nord-Pas-de-Calais) et adhérent de PHR
Jean-Marc Veryepe n’a pas attendu le décret pour préparer le libre accès dans son officine puisqu’il teste déjà le concept sur le terrain pour le groupe Viadys/PHR auquel il adhère. « Je ne veux pas subir le passage des produits OTC devant le comptoir, explique le pharmacien. Les officinaux doivent montrer qu’ils savent gérer efficacement la vente de médicaments en accès libre avant qu’ils sortent du monopole. »
Dans l’officine du titulaire, quatre linéaires devant le comptoir sont déjà dévolus aux produits OTC depuis deux mois. Mais il n’est pas question pour Jean-Marc Veryepe de transformer la pharmacie en libre-service. En effet, le meuble expérimental se trouve à proximité immédiate des comptoirs. Ensuite, la signalétique a été particulièrement soignée : un fronton indique clairement « Votre pharmacien vous conseille », même si le balisage de l’espace de vente est identique au rayon de médication familiale existant.
Les produits présentés par Jean-Marc Veryepe devant le comptoir sont ceux à forte notoriété (substituts nicotiniques, produits anti-rhume, ceux faisant l’objet de campagnes médiatiques…). Mais le pharmacien ne propose qu’une seule marque par indication. « En tant qu’adhérent à un groupement, je continue à privilégier les laboratoires partenaires. »
Le passage devant le comptoir de produits jusqu’ici inaccessibles va-t-il révolutionner le rôle de l’équipe officinale ? « Absolument pas !, répond sans hésiter Jean-Marc Veryepe. La qualité de l’accompagnement doit être la même quel que soit l’agencement des produits. » En revanche, le titulaire est prêt à faire un effort sur les prix, sans pour autant jouer le jeu du discount. « Il faut se positionner de manière avantageuse pour le consommateur », avance-t-il.
Le libre accès à certains médicaments ne semble pas bouleverser les clients de l’officine. « Cela a suscité de la curiosité et, donc, a favorisé le dialogue avec l’équipe », annonce Jean-Marc Veryepe. Ce n’est pas tout : le libre accès favorise également les achats d’impulsion.
Pour le pharmacien, c’est un début prometteur. Car Jean-Marc Veryepe attend la publication du décret pour doubler son linéaire « OTC en libre accès », quitte à revoir son offre dans l’espace de vente. « Je suis prêt à supprimer des gammes de parapharmacie, d’autant plus que les ventes de cosmétiques souffrent du faible pouvoir d’achat de ma clientèle », conclut-il.
2 Le libre accès sans conviction
Anne Juskiewienski, titulaire à Saint-Alban (Haute-Garonne)
Le libre accès, Anne Juskiewienski n’y croit pas vraiment. Pourtant, cette titulaire, installée depuis un an, bénéficie d’un bel espace de 200 mètres carrés. « Il n’est pas question que je réduise le rayon de parapharmacie, que je cherche à développer, pour faire de la place aux médicaments ! », insiste-t-elle. La pharmacienne préfère privilégier dans son espace public un corner pour les produits bio et les médecines naturelles.
Pour mettre en place le libre accès, Anne Juskiewienski devrait revoir l’agencement de son officine. « Idéalement, il faudrait que je puisse éclater les comptoirs pour permettre un libre accès à une partie de mon rayon de médication familiale. Mais cela suppose une révision complète de mes systèmes électriques et de l’informatique. Je viens de réagencer la pharmacie et mes finances ne le permettent pas. » Pour autant, Anne Juskiewienski ne ferme pas totalement la porte au libre accès. Elle envisage d’installer un présentoir au centre de l’officine mettant en avant quelques références. « Je les choisirai selon leur saisonnalité et leur sécurité d’utilisation », indique-t-elle.
Pour la pharmacienne, c’est bien assez. Car il n’est pas question de faire un effort sur les prix. « Je ne les baisserai pas ! J’estime que je vends déjà à un tarif correct et je veux conserver le peu de marge qu’il me reste. »
Il faut dire qu’Anne Juskiewienski n’est pas vraiment convaincue par le libre accès « Quand un patient nous demande aujourd’hui un médicament en automédication, l’équipe officinale est particulièrement vigilante sur le conseil. Mais je ne garantis pas la même qualité de services si les clients se servent eux-mêmes. » La titulaire, qui a vécu aux Etats-Unis, affirme que le consommateur ne fera pas la différence entre libre accès et libre-service.
3 Le libre accès oui… mais
Dominique Schmidt, titulaire à Niederbronn-les-Bains (Bas-Rhin) et adhérent de l’IFMO
Dominique Schmidt n’est pas vraiment un défendeur du libre accès mais il refuse d’être taxé de conservatisme. S’il appliquera la mesure, ce sera de manière « éthique et cohérente ». « Nous continuerons à appliquer la procédure qualité afin de renforcer le conseil. C’est seulement de cette manière que nous pourrons lutter contre la grande distribution », se justifie Dominique Schmidt, qui a un scénario précis en tête. D’abord, les deux linéaires de l’OTC seront situés à proximité des comptoirs. Ensuite, le pharmacien souhaite limiter le nombre de références en libre accès. « Pour chaque indication, trois produits seront présentés. D’abord, le numéro un en termes de ventes, incontournable. Nous proposerons aussi ce que nous appelons un « plus produit », c’est-à-dire une spécialité que nous avons choisie pour son efficacité. Une troisième référence, « plus prix », complétera notre offre. » Des stops-rayons informatifs seront également installés pour alerter la clientèle sur les précautions d’emploi d’un médicament.
4 Non au libre accès de l’OTC
Delphine Chadoutaud, titulaire à Orsay (Essonne)
Ce n’est pas pour rien que Delphine Chadoutaud a choisi d’adhérer à Pharmaciens en colère. Comme ce lobby officinal, cette pharmacienne a toujours été farouchement opposée à la mise en accès libre des médicaments OTC. C’est pourquoi, au nom de ses convictions, elle refusera de faire figurer des produits OTC devant son comptoir. Au nom de la sécurité de ses patients. « Quand je vends un médicament sans ordonnance, je fais passer un véritable interrogatoire à mes patients ! Si le client est amené à se servir lui-même, j’aurais peur de passer à côté d’une contre-indication… »
Pour Delphine Chadoutaud, le libre accès va à l’encontre de la qualité du conseil officinal. « Comment pourrai-je jouer mon rôle face à un client pressé qui, garé en double file devant ma pharmacie, choisira ses médicaments en vitesse ? Quand le médicament aura passé la barrière psychologique du comptoir, le client se sentira maître du jeu », s’indigne-t-elle.
Rien ne fera céder la titulaire, pas même la pression de la concurrence. « Je ne me plierai pas à la mesure simplement pour entrer dans le moule. Car le libre accès risque d’affaiblir mon discours de santé publique, auquel je suis très attaché. »
Des opportunités de vente plus nombreuses ne risquent pas de la convaincre. « Je n’ai jamais raisonné en termes de gain de chiffre d’affaires ! Si mon officine se développe, c’est parce que j’ai gagné en crédibilité auprès des patients… »
Ce refus du libre accès n’empêche pas la pharmacienne de mener une politique de prix transparente. « Nous faisons de gros efforts pour que les tarifs soient particulièrement lisibles, même s’ils sont placés derrière le comptoir », assure Delphine Chadoutaud. n
« Avoir un maximum d’informations sur les boîtes »
Trois questions à Micheline Bernard-Harlaut, chargée de mission santé au Conseil national des familles laïques.
Le libre accès est-il une bonne nouvelle pour les consommateurs ?
Sur le principe, oui. Mais nous regrettons que cette mesure soit appliquée dans la précipitation politique ! La motivation du gouvernement est d’abord économique, la santé publique semble passer au second plan. Le consommateur risque d’être totalement perdu… Du jour au lendemain, nous allons nous retrouver devant des médicaments que nous ne connaissons pas forcément. C’est pourquoi nous demandons au pharmacien de jouer son rôle de conseil. Car si nous sommes pour le libre accès, nous ne cautionnons pas le libre-service. Il serait aberrant que le critère de choix d’un médicament ne passe que par son tarif.
Pourtant, vous réclamez la transparence des prix…
Nous demandons depuis longtemps un affichage clair des prix. Il y a eu beaucoup d’excès suite aux déremboursements. Certains médicaments ont vu leur prix multiplié jusqu’à 10 ! Les consommateurs ne comprennent pas cette surenchère. Alors oui, il faut faire jouer la concurrence mais elle ne doit pas se limiter au prix, il faut aussi prendre en compte la qualité du service. A 1 euro d’écart, nous sommes prêts à payer un peu plus pour bénéficier d’un conseil éclairé.
Que pensez-vous du choix des médicaments qui s’apprêtent à passer devant le comptoir ?
Nous aurions souhaité que la liste désigne des molécules, et non pas des spécialités nominatives. Ce qui permettrait d’avoir un vrai choix entre tous les médicaments d’une même classe. Nous réclamons depuis longtemps une sorte de label d’automédication attribué à certaines molécules en fonction du rapport bénéfices/risques. Faute d’être entendus, nous souhaitons avoir un maximum d’informations sur les boîtes. Mais nous savons cependant que la frontière entre information et publicité est ténue.
conseils
Joëlle Hermouet : « Le pharmacien ne doit pas sacrifier sa marge »
Joëlle Hermouet, responsable de Formaplus, livre trois conseils pour avoir une politique de prix en accord avec le libre accès.
u Pratiquer des prix d’appel sur les médicaments d’utilisation courante et/ou de prévention (sevrage tabagique…) permet au client de faire des économies. Pour le pharmacien, c’est un moyen de fidélisation.
u Ne pas sacrifier sa marge. Une baisse de prix ne doit pas avoir de conséquences trop dangereuses pour la rentabilité. Ainsi, en appliquant un coefficient multiplicateur de 1,2 au lieu de 1,6 sur un médicament OTC (dont le prix d’achat est remisé de – 28 %), la marge brute passerait alors de 52,5 % à 36,7 %. Cette baisse de marge doit être compensée par une hausse du volume de vente.
u Ne pas baisser de manière drastique les prix sur les médicaments curatifs d’utilisation ponctuelle. Dans ce cas, il paraît en effet difficile de retrouver sa marge initiale en augmentant les achats d’un médicament traitant de courte durée. Seul le recrutement de nouveaux clients permettrait de s’en sortir économiquement.
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