L’avenir est dans le pré

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Publié le 1 avril 2009
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A Saint-Jean-Pla-de-Corts, la clientèle de la Grande Pharmacie Catalane, très rurale, est devenue très fidèle. Les atouts de cette officine « de proximité » : technicité, formation du personnel et suivi personnalisé des patients.

Quand elle fut créée il y a 26 ans, la Pharmacie Molet, rebaptisée depuis peu Grande Pharmacie Catalane, pouvait passer pour une gageure. Le terrain était bien situé, mais dans un petit village des Pyrénées-Orientales frontalier, promettant une clientèle limitée. Danielle Molet, jeune pharmacienne, venait de passer cinq ans comme adjointe à Perpignan. Le dossier de prêt était bien ficelé, mais le banquier d’alors n’a pas cru au projet. Jean-Marcel Molet, avocat de formation devenu gestionnaire de l’officine, se souvient : « Il ne concevait pas l’idée d’une ouverture ici et m’avait lancé : «On n’attend pas après vous pour créer la 7e officine du secteur» ! » Le couple, originaire de la région, est allé contracter ailleurs son prêt pour une société en nom propre. Il avait relevé un projet de camping dans le village, un rond-point à venir juste devant l’officine, les retombées d’une station thermale à Amélie-les-Bains, la route des curistes passant devant l’officine, le développement de lotissements dans le village… La clientèle viendrait, nécessairement. Depuis, la pharmacie a grandi. Et la clientèle se déplace aussi d’Espagne, notamment pour la phytothérapie et l’homéopathie, plus chères chez eux et conseillées ici par des professionnels formés.

S’agrandir et se spécialiser

L’officine a été refaite trois fois, passant de 80 m2 au début à 160 m2 en 1989, puis 250 m2 aujourd’hui. Les travaux de 1989 ont permis d’ouvrir l’activité au MAD, la titulaire et son mari ayant passé un DU dans ce domaine ainsi que dans celui de l’orthopédie et de la diététique. En 2000, ils rachètent la maison voisine pour transférer le matériel médical. « Agrandir nous fait à chaque fois progresser », assure Jean-Marcel Molet. L’appartement du dessus a lui aussi été annexé pour un bureau, des réserves et du rangement. Le dernier aménagement, mis en chantier en 2008, a coûté 300 000 euros et duré sept mois pour tout remodeler. « Nous avons même fait une avancée sur le parking pour une nouvelle vitrine, supprimé le petit jardin pour créer des places de parking supplémentaires, qui sont un atout aujourd’hui. » Le projet a nécessité trois ans de réflexion, avec Mobil M, afin d’utiliser au mieux la surface, l’architecte montpelliérain Michel Kauffmann ayant eu carte blanche pour la décoration. Tous les murs sont tombés, la surface de vente est devenue spacieuse et son ambiance, lumineuse et colorée. « Les gens disent qu’ils s’y sentent bien. Nous aussi. C’est une récompense. »

Dans le projet était inclus le souci de répartir la clientèle : les différents secteurs d’activité sont clairement indiqués par une signalétique en couleur et visible de loin. A l’entrée, un comptoir sans ordonnance permet de gagner du temps, cinq autres ont été mis en place au fond du magasin et cinq sur le côté gauche de l’entrée. Mais l’obstruction d’une partie de l’entrée rend peu visibles les possibilités de comptoir et semble faire hésiter les clients sur les directions à prendre pour trouver l’équipe. « Les travaux sont finis depuis novembre, nous allons mettre au point un questionnaire qui nous aidera dans nos transformations pour mieux servir les clients. »

Bébés bio

Entre couleur citrouille et orange abricot, un espace d’une quinzaine de mètres carrés a été créé spécialement pour les mamans. Il est suffisamment spacieux pour qu’elles puissent s’y déplacer avec leur poussette. « Dans un arrière-pays plutôt représenté par des personnes âgées, nous avons souhaité une grande zone bébé afin de rajeunir un peu la clientèle », explique Jean-Marcel Molet. Les mères ont apprécié, au point d’impulser une véritable demande dans la vallée avec une répercussion quasi instantanée sur l’activité au sein de l’officine. Cette dernière a par ailleurs opté pour le bio (Weleda, Sanoflore…) sur les gammes de dermocosmétiques pour enfants. Ce choix a immanquablement drainé vers elle une clientèle conditionnée par l’actualité. « Celle-ci induit incontestablement des changements dans les comportements. Les événements récents qui ont mis au jour les problèmes liés aux polypropylènes et d’autres composants chimiques ont favorisé l’engouement pour les gammes bio, les biberons en verre, par exemple », révèle Jean-Marcel Molet. L’officine elle-même a rebondi sur cette actualité pour reconsidérer son espace enfant et abonder dans ce sens.

Le succès de l’aménagement vient aussi du fait que la titulaire y a délégué deux préparatrices. Elles prennent le temps nécessaire pour conseiller, expliquer, rassurer les mères. Elles sont par ailleurs régulièrement formées sur les différentes gammes.

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Ni robot ni groupement

« Nous sommes une pharmacie rurale, notre activité essentielle est le médicament », note Danielle Molet. Depuis que sa pharmacie a été refaite, une place plus importante a été accordée au stock des produits. Un stock qui reste limité faute de place. Les armoires coulissantes type Fahrenberger développent des mètres linéaires suffisants pour 30 à 45 jours de stock de médicaments. Les génériques d’un côté, les vignetés de l’autre. Ils représentent ici plus de 70 % du chiffre d’affaires, l’officine génériquant à 80 %. Afin d’éviter de trop nombreuses manipulations, elle a délégué un de ses pharmaciens aux commandes. De robot, il n’y en a pas, question de coût. « Cela nous demandait un investissement de 150 000 euros et, pour la maintenance, vu notre éloignement, nous aurions dépendu de techniciens de Montpellier ou de Toulouse », explique Jean-Marcel Molet. Nous avons fait un choix : les travaux ou le robot. » Le gain de temps se fait avec les salariés, préparateurs ou pharmaciens, en nombre suffisant au comptoir. En guise d’inauguration des derniers travaux, l’officine vient encore de recruter un troisième adjoint dans l’optique d’une meilleure qualité de travail et de service au patient. Il faudrait une nouvelle extension des bâtiments pour une véritable capacité de stock, ce qui nécessiterait l’achat du terrain derrière l’officine. Celle-ci se contente pour l’instant de disposer d’un stock visible.

« S’intégrer à un groupement peut être rassurant, mais c’est aussi contraignant et nous n’avons pas trouvé celui qui nous conviendrait. Ce n’est pourtant pas faute de sollicitation », lâche Jean-Marcel Molet. Le gestionnaire ne tient pas plus que ça à calquer son officine sur un modèle imposé tant en matière d’aménagement, que de gammes et de prix. La Grande Pharmacie Catalane a opté pour une politique de prix en parapharmacie qu’elle ne veut pas agressive, en proposant toutefois un niveau de prix attractif grâce à des commandes groupées. « Il faut gérer cette politique très étroitement, notre idée étant d’éviter que nos clients habituels soient tentés d’aller à Perpignan pour de la para discountée », justifie Jean-Marcel Molet

Côté merchandising l’officine se « débrouille » avec l’aide des laboratoires. Depuis ses derniers travaux, elle a beaucoup misé sur le développement des codes couleurs. Les préparateurs ont par ailleurs tous suivi des stages d’une journée pour apprendre à concevoir les rayons et les aménager. L’officine, qui ne possède qu’une seule « vraie »vitrine, s’efforce d’en faire un espace « beau et esthétique ». « Même si cela prend beaucoup de temps, nous y tenons car il faut changer de thème toutes les quatre semaines », indique Jean-Marcel Molet.

Communiquer et se former

« Nous avons la chance d’avoir une bonne équipe », se réjouissent les responsables de l’entreprise. Tous les salariés sont ici embauchés à temps plein et bénéficient de formations. Elles sont intégrées depuis des années, sur site, entre midi et deux, ou dispensées le soir. L’officine envoie aussi des salariés se former à l’extérieur, à Toulouse ou Perpignan, sur le merchandising (2 jours), les fauteuils roulants (2 jours), le dossier pharmaceutique, les bonnes pratiques à l’officine, etc. « Nous allons proposer de plus en plus de formations à l’extérieur. Mais nous tablons aussi beaucoup sur la communication au sein de l’officine et cela prend du temps », annonce Jean-Marcel Molet.

Le personnel bénéficie aussi de formations payantes (formation continue ou FIP par exemple) en fonction de leur ancienneté. « Nous faisons en sorte que tout le monde soit formé, c’est indispensable si l’on veut de la compétence. » Chaque pharmacien s’occupe ici d’un secteur spécifique : l’homéopathie et la phytothérapie, la gestion du tiers payant et des mutuelles, l’orthopédie… Deux d’entre eux vont suivre un DU de un an en oncologie. « Le reste de l’équipe bénéficiera aussi d’une formation sur les prothèses mammaires et capillaires pour les sensibiliser. Nous proposerons ensuite une formation plus pointue pour les préparatrices qui souhaitent s’occuper de ce secteur. » Des soirées plus conviviales, à l’extérieur, permettent d’aborder d’autres sujets : l’évolution de la pharmacie, la chirurgie esthétique liée à la maladie… « Cela crée des liens entre nous et cela nous permet d’évoluer en étant compétents », insiste Jean-Marcel Molet.

Intéresser l’équipe

Dans une région où l’épargne salariale a encore beaucoup de mal à se mettre en place, la Grande Pharmacie Catalane a été la première du département à proposer un intéressement à ses salariés. Depuis 2002, les critères étaient définis par l’ensemble de l’équipe en réunion et renégociés tous les trois ans. Cet intéressement était jusque-là défini par rapport à l’excédent brut d’exploitation. Le contexte de crise et les baisses de marge le rendent plus difficile à tenir. L’officine va donc abandonner cette épargne au profit d’autres critères, à définir avec l’ensemble des salariés. « Les bonnes années, cet intéressement représentait plus d’un treizième mois », indique Jean-Marcel Molet. Des primes sont par ailleurs distribuées à tous les membres de l’équipe au cours de l’année, deux à trois fois par an, notamment en mars et à la fin de l’été, en fonction de l’activité. Mais elles peuvent aussi être liées à une période de travaux, pour encouragement : « Après une période de déménagement et de réaménagement qui a demandé patience et mobilisation, c’est normal de gratifier d’une prime de toute l’équipe pour assurer la continuité du service. Pour ce qui est de l’avenir, nous ne nous posons pas la question. Les pharmacies vont devoir être de plus en plus techniques, c’est un fait. Elles restent, en tout cas, indispensables dans le système de soins », estiment Danielle et Jean-Marcel Molet. Outre les médecins surchargés ou moins présents qu’il y a vingt ans sur ce type de territoire, la nouvelle loi HPST leur semble prometteuse. « Elle va permettre de mieux servir le patient. On peut même envisager que dans dix ans on ne vendra plus un seul tube de crème. Le pharmacien s’est toujours adapté. Quand nous nous sommes installés, on nous disait déjà que c’était trop tard ! »

Grande Pharmacie Catalane

Pyrénées-Orientales

CA actuel : 2,7 M€TTC

Répartition :

– 72% de médicaments

– 17% d’OTC

– 11% de parapharmacie

Equipe : 11 personnes

– 1 titulaire

– 1 conjoint gestionnaire

– 3 pharmaciens assistants

– 5 préparateurs

– 1 vendeur MAD

Surface totale : 250 m2

Surface de vente : 150 m2

Réserves sous-sol : 40 m2

Fréquentation : 240 clients/jour

Panier moyen : 36 euros

Progression : + 3 %

Coût du réaménagement : 300 000 euros.

Zoom

Expertise précoce en orthopédie

La Pharmacie Molet s’est fait connaître dès les années 80 pour ses compétences en orthopédie, dans un département essentiellement rural où les personnes âgées représentent le gros de la population. « A l’époque où nous avons créé l’officine, peu de personnes possédaient un diplôme en orthopédie. En outre, à la campagne on ne travaille pas forcément comme en ville. En général, mieux vaut se spécialiser pour que cela fonctionne, et cela donne en plus une image technique aux prescripteurs », note Jean-Marcel Molet, qui a la charge de la structure avec deux pharmaciens formés, comme lui, en orthopédie. Le but : tout proposer sur place pour ne pas faire revenir le patient. En 1991, la société indépendante HandiPharm a été créée dans un bâtiment jouxtant l’officine. 100 m2 sont aujourd’hui dévolus à l’activité. Une petite pièce plus « féminine » est consacrée à la contention et aux prothèses mammaires, une deuxième à l’orthopédie classique, une vaste salle étant aménagée pour l’exposition du matériel médical : « Nous faisons beaucoup de lits, des fauteuils et de l’aide technique. L’orthopédie est pour nous un secteur moteur avec l’homéopathie et la phytothérapie », note Jean-Marcel Molet, qui est épaulé par une personne formée à l’officine, deux pharmaciens diplômés assurant le conseil sur les différents secteurs de l’activité.