La santé en grand

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Publié le 6 juillet 2013
Par Yves Rivoal
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Agrandir leur officine et lui adjoindre une maison de santé pluridisciplinaire sur deux étages, tel était le projet un peu fou de David Thierry et Vincent Dumenil. Mais l’audace de ces managers aguerris a payé.

Lorsque j’ai racheté en 2000 l’officine qui appartenait à la famille Martin-Pinel depuis 1875, la surface de vente ne dépassait pas la trentaine de mètres carrés. Mais l’officine était bien tenue, et elle était déjà la plus grosse pharmacie des environs avec un chiffre d’affaires d’1,4 million d’euros. » En regardant dans le rétroviseur, David Thierry mesure le chemin parcouru à la tête de la pharmacie Martin-Pinel. Une entreprise qu’il codirige depuis 2006 avec Vincent Dumenil, à Pont-de Chéruy, bourgade de 5 000 habitants près de Lyon.

Après une première phase de travaux en 2001 qui avait permis de faire passer la surface de vente à 135 m2, les deux associés se sont en effet lancés en 2010 dans un projet d’extension un peu fou qui a nécessité près d’un an de travaux et un transfert de neuf mois. « Nous avions envie d’offrir à nos patients une grande pharmacie où ils pourraient trouver toutes les gammes de produits, du conseil et des prix justes, confie David Thierry. Pour cela, nous avons décidé d’agrandir la surface de vente à 300 m2 et de construire un nouveau back-office de 160 m2. » À ce projet d’extension, les titulaires ont stratégiquement associé l’aménagement d’une maison de santé pluridisciplinaire au-dessus de l’officine, en lieu et place de l’appartement de l’ancien titulaire. « Nous sommes partis du constat que l’offre médicale et de soins était en train de s’étioler, alors que nous ne sommes qu’à une trentaine de kilomètres de Lyon, raconte Vincent Dumenil. Il n’y avait en effet plus qu’un seul médecin généraliste à Pont-de-Chéruy. Et, au-delà de cette volonté de nous prémunir contre la désertification médicale, nous avions aussi envie de travailler dans un nouveau mode d’organisation avec d’autres professionnels de santé… »

Les deux associés prennent alors leur bâton de pèlerin pour convaincre les banquiers de les suivre sur un projet qui nécessitait la construction de deux nouveaux bâtiments représentant une surface totale de 1 100 m2. « L’investissement était conséquent, mais nous avions fait nos calculs, confie David Thierry. Les 650 000 euros de travaux sur la pharmacie pouvaient être amortis avec une augmentation annuelle de 3 % du CA. Tout le reste, c’était de l’investissement immobilier puisque, notre idée, c’était de revendre les plateaux à des professionnels de santé qui accepteraient d’investir dans ce projet et de partager avec nous des objectifs communs sur le long terme. » Une fois l’accord des banquiers obtenu, les deux associés font feu de tout bois pour attirer des professionnels. « Nous sommes allés présenter notre projet à tous les professionnels de santé du coin, sans qu’il y ait au départ une grande adhésion », se souvient Vincent Dumenil. Mais ce travail de persuasion finit par porter ses fruits puisqu’un podologue, un diététicien, un psychologue et deux ostéopathes acceptent dans un premier temps de rejoindre la structure, qui s’est étoffée ensuite avec un cabinet d’infirmiers, un médecin, un sophrologue, une pédicure et un centre médico-psychologique qui vient tout juste de s’installer. Un peu plus d’un an après l’ouverture de cette maison de santé qui occupe deux plateaux de 300 m2, Vincent Dumenil dresse un bilan plus que positif d’une opération qui, au final, n’aura rien coûté aux deux titulaires. « Aujourd’hui, le pôle paramédical situé au deuxième étage affiche complet. Quant au premier étage, dédié au médical et au médico-social, il nous reste encore deux plateaux, que nous avons conservés dans l’optique de faire venir deux autres médecins généralistes. »

Un max de choix

Grâce à leur nouvelle surface de vente de 300 m2, David Thierry et Vincent Dumenil ont aussi atteint l’un de leurs objectifs qui était d’offrir un maximum de choix à leurs patients. « Que vous ayez un enfant, un cancer, un animal, que vous soyez grabataire ou asthmatique, nous offrons tout ce que doit proposer une pharmacie, assure David Thierry. Ce qui implique d’avoir des ratios de stock raisonnables et une politique d’achats dynamique. » Dans le back-office de 160 m2 qui a été aménagé dans le nouveau bâtiment, l’équipe dispose désormais d’un robomat capable de stocker 80 % du stock de l’officine. Côté aménagement, le cabinet d’architectes local Neyret-Adam, qui a géré l’intégralité du projet, a séduit les deux titulaires avec son concept de grande baie vitrée en façade, et de verrière pour assurer la jonction entre le nouveau et l’ancien bâtiment. L’agencement est dominé par le noir et le blanc. Au sol, c’est un carrelage gris foncé-noir, avec des dalles, qui a été retenu. Les étagères, également noires, ont la particularité d’être larges d’un mètre. « Comme nous n’avons pas une hauteur de plafond importante, cela nous permet de présenter un maximum de produits, et de manière plus efficace que les doubles descentes que certains laboratoires essayent de nous imposer », explique David Thierry. Pour les gondoles noires positionnées dans l’allée centrale, les deux pharmaciens ont choisi du mobilier Régis Ravon, implanté dans la Loire, de 1,40 m de hauteur, en métal et posé sur des roulettes. Sur la partie merchandising, David Thierry et Vincent Dumenil se sont fait accompagner par Joëlle Hermouet du cabinet Formaplus, basé en Gironde. La segmentation des grands univers de la pharmacie est signalée par des codes couleur relativement classique : rose pour l’esthétique et la parapharmacie, vert pour la médecine naturelle et la diététique… Lorsqu’on pénètre dans l’officine, les patients ne peuvent pas ignorer le poste d’accueil positionné à droite, juste devant l’espace esthétique­parapharmacie. « Ce poste animé par notre esthéticienne nous permet d’accueillir et d’orienter les clients, mais il sert aussi de caisse rapide pour la dermo-cosmétique », souligne David Thierry. Juste en face, une cabine sert à prodiguer les soins esthétiques. À gauche de l’entrée se trouve un grand espace enfant qui encadre une salle dédiée au matériel médical. Un peu plus loin, on aperçoit les univers diététiques et médecines naturelles qui sont séparés par l’espace orthopédique. Celui-ci dispose de deux salles où une préparatrice titulaire d’un DU d’orthopédie peut en toute confidentialité effectuer ses essayages. C’est aussi dans cette salle qu’une préparatrice reçoit les patientes souffrant d’un cancer du sein pour les conseiller sur le choix de prothèses mammaires. À droite des comptoirs, un espace de confidentialité vient d’être aménagé dans un bureau fermé pour accueillir les entretiens pharmaceutiques. L’allée centrale fait, elle, la part belle aux étagères et aux bacs dédiés aux animations commerciales et aux produits d’hygiène. Juste devant les onze comptoirs éclairés par la lumière du jour grâce à la verrière, le libre accès occupe une place de choix, avec un positionnement en vrac pour les produits à forte rotation.

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Prix au plus juste

« Sur le libre accès, nous aimerions aller plus loin en aménageant un vrai magasin de médicaments, avec plus d’espace, une meilleure identification, plus d’informations aux patients », confie Vincent Dumenil, persuadé que c’est la meilleure réponse à apporter face à la grande distribution qui ambitionne de vendre des médicaments. Pour atteindre leur troisième grand objectif, celui des prix justes, David Thierry et Vincent Dumenil ont là encore travaillé avec Joëlle Hermouet de Formaplus. « La vraie concurrence pour notre pharmacie, ce ne sont pas les officines aux alentours mais les pharmacies discount, les parapharmacies et la grande distribution. » Forts de ce constat, David Thierry et Vincent Dumenil ont opté pour une stratégie de marge pondérée. L’idée ? Élaborer les prix de vente en fonction des prix constatés sur le marché et non pas en fonction de la remise obtenue. « Nous nous alignons sur les prix pratiqués par les pharmacies dynamiques sur tous les produits dits sensibles (produits leaders de leur catégorie, par exemple, Ndrl), ce qui nous permet sur tous les produits où le facteur prix est secondaire pour le consommateur de conserver des marges plus confortables. » Par exemple, un produit leader de la gamme Avène comme l’Eau Thermale, connu du grand public et à fort réassort, est travaillé à bas prix. Par contre, la crème Ysthéal, un produit technique de conseil, se voit appliquer un coefficient de marge plus important. Pour bien montrer aux clients qu’il se passe toujours quelque chose, la pharmacie organise tous les mois des animations commerciales. « Nous avons aussi lancé des entretiens pharmaceutiques pour dépister le diabète ou l’asthme qui rencontrent beaucoup de succès. Par exemple, lors de la dernière animation sur l’hypertension, nous avons réalisé une centaine de dépistages qui nous ont permis de détecter huit patients hypertendus. Avec leur accord, nous avons adressé une lettre à leur médecin traitant pour leur communiquer nos résultats. »

David Thierry et Vincent Dumenil ont aussi déjà formé toute leur équipe afin de démarrer les entretiens pharmaceutiques. « Si on attend la rémunération, on ne fera jamais rien, souligne David Thierry. On voit bien aujourd’hui qu’il n’y a plus assez de médecins, alors que la population réclame plus de soins. Ces nouvelles missions vont donc dans le sens de l’histoire. À nous de faire le boulot si l’on veut que le public nous considère comme des professionnels de santé. »

L’art de la délégation

Sur le plan managérial, David Thierry et Vincent Dumenil cultivent l’art de la délégation. « Chez nous, les pharmaciens adjoints prennent part à la gestion du quotidien de la pharmacie, au management des préparatrices, aux achats, à l’approvisionnement…, précise David Thierry. Les préparatrices spécialisées dans l’orthopédie et les prothèses mammaires disposent elles aussi d’une grande autonomie pour gérer leur activité. » Pour motiver l’équipe, une véritable politique RH a été mise en place avec des entretiens individuels et un système de primes. « Les primes individuelles (indexées sur la productivité au comptoir) peuvent représenter un treizième mois lorsque les objectifs sont atteints, souligne Vincent Dumenil. En parallèle, l’équipe est aussi intéressée collectivement avec une prime (fonction de l’augmentation du nombre de clients et du CA hors ordonnances) dont le montant est le même pour tout le monde. » Alors que la plupart des pharmacies essaient de fidéliser leur équipe, David Thierry et Vincent Dumenil font tout, eux, pour encourager leurs collaborateurs à évoluer. Avec leurs adjoints, c’est presque un contrat moral qui est signé. « Nous leur donnons trois ans pour découvrir le métier et s’installer, explique David Thierry. Ils le font seul quand c’est possible, mais nous pouvons aussi monter au capital sous forme de SELARL pour les aider à acheter une pharmacie plus grande, l’objectif étant qu’ils rachètent leurs parts au bout de trois ans. » Depuis 2000, David Thierry et Vincent Dumenil ont ainsi aidé une dizaine de leurs anciens adjoints à s’installer, la plupart ayant d’ailleurs intégré Rhône Vallée Pharmacie, le groupement qu’ils ont créé en 2008 (lire encadré p. 24). Cette stratégie RH s’appuie enfin sur une politique de formation ambitieuse, chaque salarié devant suivre trois formations en présentiel par an. Une année après l’emménagement dans la nouvelle officine, les premiers résultats sont déjà au rendez-vous. « En un an, la part de l’OTC et de la parapharmacie a bondi de 20 % à près de 28 %, confie Vincent Dumenil. Dans le même temps, le taux de marge est passé de 27,93 % à 29,35 %. » La croissance du CA, + 17 %, est encore plus impressionnante. Et pour 2013, les deux titulaires s’attendent à une nouvelle progression de l’ordre de 10 % qui devrait leur permettre de franchir la barre des 5 millions d’euros.

Pharmacie Martin-Pinel, Pont-de-Chéruy (Isère)

→ Équipe : 2 titulaires, 4 adjoints, 8 préparateurs dont 1 diplômée en orthopédie, 1 conseillère en dermo-cosmétique, 1 secrétaire et 1 logisticienne. En formation : 1 stagiaire de 6e année de pharmacie et 1 étudiante en 5e année de pharmacie.

→ CA au 30/09/2012 : 4,74 M€ HT (+ 17 % en un an)

→ Coût des travaux : 650 000 € HT, robot inclus

→ Taux de marge, remise génériques incluses : 29,35 % au 30/09/2012 (27,93 % un an avant).

→ Surface totale : 462 m2

→ Surface de vente : avant travaux, 135 m2 ; après travaux, 300 m2

→ Fréquentation actuelle : 390 clients/jour

→ Panier moyen actuel : 30 €

→ Répartition :

• 72 % de médicaments remboursables

• 16 % de médication familiale

• 12 % de parapharmacie

→ Site web ou site marchand : non

→ Groupement : Rhône Vallée Pharmacie

→ Enseigne : non

Groupement

A taille humaine

En 2008, David Thierry et Vincent Dumenil décident de quitter PharmaVie pour fonder leur propre groupement d’intérêt économique : le GIE Rhône Vallée Pharmacie. « On ne se reconnaissait plus dans le modèle des grands groupements qui, pour nous, manquait de directivité, explique Vincent Dumenil. Nous avons donc décidé de créer notre propre structure avec cinq anciens adjoints que nous avions aidés à s’installer. » Le mode d’organisation retenu se veut éminemment démocratique puisque les pharmaciens adhérents participent à toutes les décisions. « Nous avons mutualisé tout ce qui pouvait l’être : les achats, la politique d’animation commerciale, le système d’information, la formation… Tout le monde apporte sa contribution au sein des dix commissions thématiques qui rendent compte de leurs travaux tous les mois au conseil d’administration », souligne David Thierry. Les achats sont gérés par le pharmacien responsable de la commission Achats, assisté d’un acheteur salarié du groupement. C’est ce duo qui négocie les conditions pour l’ensemble des pharmacies, avec une facturation et une livraison séparées pour chaque point de vente. Et il faut croire que ce fonctionnement séduit, puisque, en cinq ans, le groupement est passé de six à dix-huit officines. Il vient par ailleurs d’être certifié ISO 9001.

La méthodologie

Un sondage a été mené entre le 9 et le 24 avril dernier auprès de la clientèle par le biais d’une tablette tactile. Cet outil, développé par la société Pocket Result*, était présent au niveau de l’accueil. Au total, 166 personnes ont participé à l’enquête. D’une part, il s’agissait de connaître la visibilité et l’attractivité de la promotion, d’autre part l’objectif était d’évaluer son pouvoir de séduction et l’impact sur la décision de l’achat.

*Pocket Result est une société qui développe des solutions de retraitement de chiffres et fichiers d’étude. Elle dispose également d’un outil pour mener des sondages sur smartphones et tablettes et qui permet d’en suivre les résultats en temps réel sur une plateforme Web.