La cuisine et la santé sont étroitement liées !

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Publié le 22 février 2017
Par Peggy Cardin-Changizi
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C’EST LA PLUS MÉDIATIQUE REPRÉSENTANTE DE LA GASTRONOMIE FRANÇAISE. HÉLÈNE DARROZE DISTILLE SES BONS CONSEILS EN TANT QUE JURY DANS L’ÉMISSION TOP CHEF. ELLE CONJUGUE SES TALENTS DE CUISINIÈRE À CEUX D’UN VRAI MANAGER. PLEINS FEUX SUR UNE SUCCESS STORY AU FÉMININ.

« Pharmacien Manager ». Comment, avec votre diplôme d’école de commerce, êtes-vous passée derrière les fourneaux ?

Hélène Darroze. Je l’ai souvent dit et j’aime le répéter : c’est grâce à Alain Ducasse. Il m’avait engagée pour intégrer son équipe administrative en 1990. Mais je devais attendre trois quatre mois pour obtenir ce poste. Je lui ai donc expliqué que je profiterai de ce délai pour faire des stages de cuisine. Ce grand chef m’a alors proposé de tenter cette expérience chez lui. Dès le premier soir, la passion m’est tombée dessus. Chez Ducasse, j’ai ressenti un véritable choc émotionnel face à une telle recherche de la perfection. J’ai ensuite travaillé dans l’administratif, comme prévu, mais tout en ayant toujours un pied dans les cuisines. J’étais vraiment attirée. Quand j’ai annoncé à Alain Ducasse que je prévoyais de partir, il m’a encouragé à devenir cuisinière, alors que je ne pensais pas cela possible puisque je n’avais pas fait d’école. Il m’a convaincu de lui faire confiance.

P.M. Est-ce difficile d’intégrer un univers typiquement masculin ?

H.D. J’ai gagné ma place grâce au travail. Je n’ai jamais subi de discrimination parce que j’étais une femme. Sûrement parce que je n’ai jamais cherché à être un homme. J’ai toujours reconnu mes forces et mes fai- blesses. Il faut savoir toujours se remettre en question et rester humble pour réussir dans ce métier.

P.M. Quelles sont selon vous les qualités essentielles pour devenir chef cuisinier ?

H.D. Toujours être sincère et rester soi-même ! Ne jamais hésiter à dire ce qu’on pense ! Il faut travailler dur pour réussir c’est certain, mais c’est comme cela partout. L’important est de rester fidèle à soi-même, et de ne pas avoir peur de reconnaître ses limites, de dire qu’on n’arrive pas à faire telle chose. Je suis quelqu’un d’exigeant mais qui reste à l’écoute de ses collaborateurs. Ce sont les mêmes qualités qui font d’une personne un bon manager en entreprise.

P.M. Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans l’univers de la haute gastronomie ?

H.D. Lorsqu’on travaille en cuisine, il est impossible d’être chez soi le soir pour donner le bain aux petits, pour raconter la petite histoire du coucher à ses enfants. C’est quand même une vie un peu à l’envers. Quand j’ai annoncé que je voulais faire ce métier, mon père, qui le connaissait bien puisqu’il était lui aussi cuisinier, m’a dit : « Il faut juste que tu comprennes une chose : tu vas travailler au moment où tous les autres s’amusent, au moment où on aura besoin de toi à la maison. » Et c’est vrai ! J’ai de la chance car j’ai été maman, assez tardivement, à 40 ans. Si je l’avais été avant, je ne suis pas sûre que j’aurais pu faire cette carrière de chef. On part le matin à 8 heures et on revient à minuit. On travaille le samedi, parfois le dimanche. J’ai connu nombre de femmes très talentueuses dans mes cuisines qui, à cause des horaires imposés, ont fini par décrocher.

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P.M. Vous êtes à la tête de deux restaurants à Paris et à Londres. Savez-vous déléguer ?

H.D. Arrivé à un certain niveau, il est essentiel de savoir déléguer et responsabiliser ses collaborateurs. J’ai longtemps refusé de le faire. Il a fallu l’ouverture de mon restaurant à Londres pour que je saute le pas : je ne pouvais plus tout gérer seule. Le plus difficile ne fut pas de laisser les autres agir à ma place, mais de me défaire de la culpabilité de ne pas être à leur côté dans des moments clés. J’ai appris à gérer la frustration de ne pas me trouver à Londres lorsque je suis à Paris, et inversement. Pour bien travailler ensemble, il faut parler le même langage et agir dans le même esprit. Le reste n’est plus qu’une question d’organisation : échanges quotidiens, réunion hebdomadaire… Je ne prends jamais de décision sans consulter mes collaborateurs. La seule chose que je ne délègue pas, c’est la création. Ce n’est sans doute pas un exemple à suivre. Et encore, ce n’est pas tout à fait vrai : en matière de pâtisserie, je laisse complètement la main à mon chef pâtissier. Pour mon plus grand bonheur… et celui de mes clients.

P.M. Qu’est-ce vous a apporté l’émission Top Chef ?

H.D. De la fraîcheur dans ma façon de pratiquer le métier ! C’était nouveau, différent, ça m’a sorti d’une sorte de routine. Je dois avouer que j’ai aimé faire de la télévision. Parce que « Top chef » ne consiste pas pour nous qu’à encadrer les concurrents. C’est aussi, pour chaque membre du jury, se transformer un peu en animateur télé.

P.M. Vous avez été sacrée « Meilleure femme chef du monde » dans le cadre du prix Veuve Clicquot. Vos impressions ?

H.D. Beaucoup de bonheur. Pour moi, et pour mes équipes. Ce prix leur appartient aussi. Il a été, pour nous tous, une consécration. Suivie, ensuite, de retombées professionnelles. J’espère que l’attribution de cette distinction à une femme cuisinière en poussera d’autres à se voir ainsi reconnues.

P.M. Les femmes et les hommes cuisinent-ils différemment ?

H.D. La cuisine vient du coeur. Du moins pour moi. Il y a une sensibilité différente entre l’homme et la femme, des émotions différentes. On les exprime donc différemment c’est sûr.

P.M. Et votre cuisine, comment la qualifieriez-vous ?

H.D. C’est une cuisine de produits et d’émotions : je choisis le meilleur du produit en fonction de la saison bien sûr, puis j’y ajoute mon vécu, cela peut être un souvenir d’enfance, de voyage, de rencontre… Je mets un point d’honneur à n’utiliser que des produits de qualité, et je fais tout mon possible pour les mettre en valeur. Ma cuisine est aussi une cuisine d’auteur, qui parle de moi. à l’image de « retour d’Hanoï » un phô revisité, après avoir adopté mes filles au Vietnam.

P.M. Votre maman était pharmacienne. Pourquoi ne pas avoir suivie cette voie ?

H.D. Tout simplement parce que j’avais une autre passion, celle de la cuisine. Mais finalement, la cuisine et la santé sont étroitement liées ! Car si j’avais dû gérer une équipe officinale, je l’aurais fait de la même façon qu’aujourd’hui : dans la communication et le respect.

Née dans les Landes, Hélène Darroze est la quatrième génération d’une famille de cuisiniers. Après un diplôme de l’École supérieure de commerce de Bordeaux, elle rejoint les équipes d’Alain Ducasse. Et passe de l’autre côté des fourneaux après trois ans de collaboration. En 1995, elle prend la tête du Relais & Châteaux familial à Villeneuvede- Marsan. Puis monte à Paris pour ouvrir son établissement au coeur de Saint-Germain-des-Prés. En 2008, c’est le légendaire Connaught Hôtel, à Londres, qui fait appel à elle pour son restaurant qui arbore désormais deux étoiles au guide Michelin.

CHEF CUISINIER