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L’ubérisation de l’officine, mythe ou réalité ?
Après la musique, les taxis, les hôtels, la pharmacie passera-t-elle, elle aussi, sous les fourches caudines de l’ubérisation ? Les experts estiment que la profession doit s’adapter, mais que la pharmacie du XXIe siècle a les armes pour se défendre.
Après avoir obtenu une licence de pharmacien de gros dans au moins douze états américains, Amazon n’a toujours pas annoncé s’il allait s’attaquer ou non à la vente en ligne et à la livraison à domicile des médicaments sur prescription. Pour l’heure, le géant de la distribution se refuse toujours à tout commentaire sur le sujet. L’arrivée de ce nouvel entrant, qui, rappelons-le, livre déjà des médicaments hors ordonnances, constituerait une véritable bombe dans l’univers de la distribution du médicament aux Etats-Unis. Et amène à se poser la question du risque d’ubérisation des officines en France ? « Si l’on considère les ressorts de l’ubérisation, les nouveaux entrants proposent toujours un service basé sur la technologie, quand la valeur ajoutée des acteurs en place n’est plus assez forte et que le prix est jugé trop important, rappelle Thierry Chapusot, président de la coopérative Welcoop. C’est ainsi que les choses se sont passées avec Uber pour les taxis ou avec Airbnb pour les hôtels. « Le risque d’ubérisation sur l’activité pharmacie me paraît aujourd’hui probable, voire inéluctable. Il s’agit simplement d’une question de timing. » « Il suffit d’installer un dépôt de 500 m2 dans chaque région pour casser le réseau officinal, ajoute Paul Coquet, titulaire de la Pharmacie de l’église à Saint-Esprit en Martinique, qui a rédigé avec le professeur Mehdi Mejdoubi, un article sur le risque d’ubérisation des officines pour l’Observatoire du Long Terme. Je vois bien les prestataires de matériel médical s’engouffrer aussi dans la brèche, car ils ont développé une réelle expertise dans la livraison à domicile 24 h/24 h et avec des délais très rapides. »
S’ADAPTER aux nouveaux circuits
Xavier Pavie, professeur à l’Essec Business School, va plus loin en imaginant que la pharmacie soit attaquée sur l’acte de délivrance du médicament. Dans son scénario, le pharmacien ne serait plus le seul référent. « Après avoir rédigé son ordonnance, le médecin l’enverra directement à Amazon ou au grossiste-répartiteur, qui se chargera de la livraison par un pharmacien au domicile du patient en une heure. » Carine Kessaci, directrice des activités CRM Santé d’Arvato, une société spécialisée dans l’externalisation de la relation client, se montre, elle, plus réservée. « Dire que le métier de pharmacien sera impacté, parce que les clients voudront de plus en plus être livrés à domicile, oui. Mais, affirmer que le pharmacien ne jouera plus aucun rôle, je n’y crois pas du tout, si la profession évolue dans le bon sens… » Pour s’adapter, les pharmaciens devront en effet trouver leur place dans ce nouvel écosystème. « Mon premier conseil est de ne surtout pas s’opposer à ce discours visionnaire sur la distribution de demain, explique Xavier Pavie. Ils ne pourront pas contrer cette évolution naturelle, tout comme ils ne pourront pas empêcher la fin du monopole. Tout ce qu’ils pourront faire, c’est s’adapter. Et ceux qui ne le feront pas disparaîtront. Une pharmacie ferme déjà ses portes tous les deux jours et le rythme s’accélère. »
INVENTER un nouveau modèle
Dans un second temps, Xavier Pavie recommande de s’interroger sur les raisons qui poussent à l’ubérisation des officines. « La réponse à cette question est très claire : demain, les clients souhaiteront accéder aux médicaments et aux services où ils le voudront et quand ils en auront besoin. La profession va devoir inventer le modèle de la pharmacie du XXIe siècle, qui permettra de servir ces attentes. » La pharmacie de demain devra intégrer dans son offre de services, une véritable livraison à domicile. « Et si les pharmaciens qui ont pignon sur rue réunissaient leurs forces pour créer un site Internet et une application commune, avec des outils CRM (customer relationship management) qui leur permettraient de mieux connaître et servir leurs clients, Amazon ou Leclerc ne pourraient pas lutter… », suggère-t-il. Paul Coquet esquisse d’autres pistes. « Pour rester compétitives face à Amazon, les pharmacies devront adopter une politique de prix bas et proposer plus de choix. Une stratégie que les petites pharmacies, faute de moyens, ont bien du mal à suivre. » Il faut donc repenser toute l’organisation du réseau officinal, mais sans toucher au maillage, d’après Paul Coquet. « Demain, il y aura une organisation officinale pour 10 000 habitants, avec une grande pharmacie qui disposera de stocks importants, et qui servira de plateforme logistique aux petites officines installées aux alentours. Grâce à cette structure en réseau, ces dernières pourront proposer du prix, du choix et de la livraison à domicile. »
CAPITALISER sur sa proximité avec le patient.
Paul Coquet estime également que les pharmacies devront se remettre en question en termes d’accessibilité. « Pour que les patients accèdent plus facilement aux médicaments, certaines pratiques sont à revoir. Est-ce que le tarif appliqué aux heures de garde est encore légitime ? Est-ce normal que les pharmacies soient fermées le dimanche matin ? » Dans ce nouveau modèle qui se dessine, le pharmacien aura aussi des opportunités à saisir pour Carine Kessaci. « En investissant les champs de la prévention, de l’observance, du suivi des maladies chroniques, les pharmaciens proposeraient une offre de services à valeur ajoutée, qui sera plus difficilement ubérisable », relate-telle. Thierry Chapusot est aussi sur la même longueur d’ondes. « Si les pharmaciens parviennent à concilier la proximité et la technologie, qui leur permettra d’obtenir des contacts et des liens plus forts avec leurs patients, ils s’imposeront comme le premier relais de santé de proximité et Amazon ne pourra, alors, rien y faire », conclut-il.
DiversificationExercer autrement !
Pour contrer l’ubérisation, les pharmaciens devront changer leur façon d’exercer. « Ils ne pourront plus attendre les patients derrière leur comptoir. Ils devront aller au domicile des patients polymédiqués, pour gérer leur pilulier, proposer des services de téléobservance, pratiquer la télémédecine pour les soins de premier recours… », estime Thierry Chapusot, le président de Welcoop. Si les officines y parviennent, c’est tout le système de santé qui deviendra plus efficient. « La non-observance des traitements coûte chaque année 9 milliards d’euros à la Sécurité sociale, la iatrogénie médicamenteuse 2 milliards d’euros. Et si les pharmaciens contribuent à faire reculer ces fléaux, ils feront émerger un nouveau modèle de rémunération, parce qu’ils contribueront à améliorer la prise en charge des patients et permettront au système de santé de réaliser des économies considérables », conclut Thierry Chapusot.
L’ESSENTIEL
→ Avec l’arrivée de nouveaux entrants, comme Amazon, qui disposent de services de livraison à domicile plus rapides et moins chers, la distribution des médicaments a toutes les chances d’être ubérisée.
→ Pour rester compétitives et maintenir le maillage territorial, les pharmacies devront développer la livraison à domicile et améliorer l’accessibilité du médicament en amplifiant encore leurs horaires d’ouverture.
→ Les pharmacies devront faire évoluer leur façon d’exercer, en investissant des champs plus difficilement “ubérisables”, tels que la prévention, l’observance, le suivi des maladies chroniques, la télémédecine…
→ En conciliant proximité et technologie avec les patients, les pharmaciens auront toutes les cartes en main pour s’imposer comme le premier relais de santé de proximité.
L’IA CHANGE LA VIE !
La coopérative Welcoop est en train de travailler sur un projet d’intelligence artificielle qui vise à détecter le plus tôt possible le début de perte d’autonomie d’une personne âgée, pour la maintenir à son domicile le plus longtemps possible. « Dans ce projet, ce sont les pharmaciens qui jouent le rôle de référents auprès des patients, car ils sont les seuls à pouvoir le faire », assure Thierry Chapusot, le président de Welcoop.
24 MILLIONS
C’EST LE NOMBRE de visiteurs uniques mensuels enregistré par amazon, en france. Quotidiennement, le chiffre s’élève à 3,6 millions.
Source Médiamétrie
U.S.A
+ de 300 milliards de dollars, tel est le montant des dépenses des Américains liées aux médicaments sur ordonnance en 2015, en hausse de 9 % par rapport à l’année précédente.
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