L’Ordre attaque la vente de cybermédicaments

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Publié le 20 février 2010
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Face au danger de la contrefaçon de médicaments, l’Ordre agit tous azimuts, aussi bien devant les tribunaux qu’auprès de la Direction générale de la santé. Avec un seul objectif : défendre la pharmacie et le public.

Les motifs d’achat en ligne de médicaments sans ordonnance*

C’est criminel ! » Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, ne mâche pas ses mots lorsqu’elle évoque la contrefaçon et la vente de médicaments sur Internet : « L’exercice illégal de la pharmacie est une question essentielle pour nous parce que, de manière croissante, des acteurs divers et variés veulent entrer sur le marché via Internet en utilisant la caution du médicament et du pharmacien. Il y a tromperie du public »

Le problème n’est pas nouveau pour l’Ordre, mais une étude de Pfizer, présentée le 16 février dernier, met en exergue son ampleur. Elle révèle que 14 % des Français achètent des médicaments de prescription sans ordonnance sur Internet. Et que plus d’un tiers (38 %) ne mettent pas en doute l’authenticité des produits ainsi achetés. L’étude estime pourtant qu’entre 50 et 90 % des médicaments vendus sur des sites sont des contrefaçons. « Nous consacrons d’importantes ressources humaines et financières (1) pour lutter contre l’exercice illégal de la pharmacie. Nous faisons également appel à un cabinet d’avocats spécialisés lorsque le Conseil se constitue partie civile, détaille Isabelle Adenot. Cependant, compte tenu du nombre d’affaires, notre politique est de choisir celles qui peuvent aboutir à une jurisprudence. Créer de la jurisprudence est primordial pour l’Ordre. »

En 2009, le Conseil national de l’Ordre s’est ainsi porté partie civile dans cinq affaires de vente, y compris sur Internet, de médicaments appartenant aux listes I et II indiqués dans l’obésité ou la dysfonction érectile. Il a même, le 2 juillet 2009, déposé une assignation en référé devant le tribunal de grande instance de Paris pour faire cesser la vente du médicament Alli contre l’obésité sur le site Veavita.com, géré par la société Samda France. Une innovation. C’était, en effet, la première fois que le CNOP soumettait avec succès un contentieux de cette nature au juge des référés. Le juge a effectivement relevé que « la société Samda France n’ayant pas la qualité d’établissement pharmaceutique et M. Amsellem ne justifiant pas celle de pharmacien, la vente du médicament « Alli » sur le site Internet veavita.com constitue une violation caractérisée des dispositions d’ordre public de la santé publique et à ce titre un trouble manifestement illicite ». Le gérant a donc été condamné à arrêter la vente du médicament sur son site. « Dans ce cas, nous avons utilisé l’assignation en référé parce qu’il y avait un danger pour le public. Le juge des référés ne prend pas position sur le fond, mais sur l’urgence à agir. Notre raisonnement est, in fine, de déterminer le danger pour la personne et le niveau de tromperie », commente Isabelle Adenot.

Autre victoire pour l’Ordre : la condamnation d’un gérant de société qui vendait sur Internet une crème à base de lidocaïne indiquée dans l’éjaculation précoce. Le produit, Stud 100, était importé d’Angleterre sans autorisation de mise sur le marché français.

Quand des pharmaciens achètent eux-mêmes en ligne

« La vente illégale de médicaments est un problème complexe qui nécessite une coopération entre de nombreux acteurs. L’opération Pangea II (2) en est un exemple, puisqu’elle a impliqué en France l’Afssaps, la douane, la police, la gendarmerie, etc., observe la présidente. L’Ordre travaille justement avec la Direction générale de la santé sur le projet de directive européenne concernant la contrefaçon de médicaments. » En janvier 2010, le Conseil de l’Europe a aussi soumis aux Etats membres de l’UE un projet de « convention sur la contrefaçon des produits médicaux et les infractions similaires menaçant la santé publique ».

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Isabelle Adenot est avant tout pragmatique : « Arrêtons de tourner autour du pot. Il est absolument impossible de contrôler Internet. Il faut donc, en premier, aider la population française à mieux s’informer sur les dangers des contrefaçons et la nécessité d’acheter les médicaments dans un réseau sécurisé. La qualité du circuit français de distribution est reconnue en Europe et internationalement. » Une qualité mise à mal, selon une source juridique, par des pharmaciens ou des groupements qui n’hésiteraient pas à acheter en ligne des médicaments pour augmenter leurs marges. « Il s’agit d’une faute professionnelle gravissime. Les pharmaciens ne doivent pas faire entrer la contrefaçon dans un circuit autorisé », prévient Isabelle Adenot.

La DGS alertée pour prendre position

L’Ordre a également la volonté de cadrer les pratiques des pharmaciens qui créent eux-mêmes un site Internet. Actuellement, rien n’interdit à un officinal d’ouvrir un site de vente à condition d’exclure l’achat de médicaments soumis à prescription. L’e-pharmacie doit être le prolongement d’une pharmacie « physique ». En outre, le titulaire ne doit pas consacrer exclusivement son activité à la gestion de ce site.

« L’Ordre ne peut pas cependant garantir que derrière une pharmacie virtuelle se trouve réellement un pharmacien. Il est très facile de créer un site de pharmacie sans être un professionnel. Nous avons alerté la Direction générale de santé sur l’urgence de prendre position. Elle seule peut dire aux pharmaciens ce qui est permis ou non de faire sur Internet en rédigeant un texte à intégrer au Code de la santé publique », déclare Isabelle Adenot. Et de conclure : « Nous ne pouvons pas éviter Internet, mais nous pouvons défendre la profession et le public. »

(1) En 2008, le budget de l’Ordre consacré à la lutte contre l’exercice illégal de la pharmacie s’est élevé à 379 175 Û. Le CNOP a aussi reçu 150 569 Û de dommages et intérêts et de frais de dépens.

(2) En novembre 2009, l’opération « Pangea II », organisée contre la vente illicite de médicaments sur Internet et impliquant 24 pays dont la France, a permis d’identifier 125 sites illégaux dont 20 dans notre pays (voir « Le Moniteur » n° 2805).

Les autres actions de l’Ordre

La vente en ligne ne constitue pas le seul cas d’exercice illégal. En 2009, l’Ordre a suivi 104 affaires (contre 180 en 2008) et s’est porté partie civile dans 32 nouvelles affaires. Outre les 5 mentionnés page 6 :

– 9 concernent la vente au détail ou en gros de médicaments chinois de médecine traditionnelle,

– 6, la vente au détail de produits blanchissants,

– 4, la vente de médicaments à base de plantes,

– 2, la vente de médicaments en GMS,

– 1, la vente de tests de grossesse sur un site de vente aux enchères,

– 5, le renvoi de pharmaciens devant les tribunaux pour diverses infractions pénales (complicité d’exercice illégal de la pharmacie, distribution en gros de médicaments sans autorisation, fabrication de gélules amaigrissantes, recyclage de médicaments Cyclamed).

En 2009, 70 décisions ont été rendues par les différents tribunaux (de grande instance, cours d’appel, Cour de cassation), dont 52 favorables à l’Ordre des pharmaciens.

Repères

Les chiffres clés de l’étude de Pfizer

-En France, le marché de la contrefaçon représenterait plus d’un milliard d’euros par an et en Europe plus de 10,5 milliards d’euros.

-Les achats de médicaments sur Internet concernent principalement le sevrage tabagique (34 %), les douleurs chroniques (33,2 %), la grippe (29,1 %), la perte du poids (28,4 %) et les antidépresseurs (12,3 %).

-Parmi les Français ayant acheté en ligne des médicaments, plus de 30 % l’ont réalisé sur le site web d’un autre pays et 22 % en répondant à un courriel de publicité.