L’éternelle polémique

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Publié le 3 mars 2012
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Service inutile, contrefaçons de médicaments, mésusage… Tels sont les arguments des syndicats de pharmaciens pour s’opposer au commerce électronique de médicaments.

Quel est l’intérêt du patient souffrant d’une diarrhée de recevoir ses médicaments deux ou trois jours après sa commande sur Internet ? La question est régulièrement posée par Philippe Gaertner, président de la FSPF, dès que l’on aborde la question de la vente en ligne de médicaments. Certes, mais pour Claude Le Pen, économiste de la santé, ce mode de distribution est « une habitude de consommation. Le service en ligne se développe et les formes de distribution changent en France. Dans la grande consommation, elles se mélangent. Et la vente de médicaments en ligne peut apporter un réel service, par exemple pour les personnes âgées ». Selon Alain Breckler, chargé de mission Internet à l’Ordre des pharmaciens, 32 % des internautes qui achètent des médicaments en ligne, le font pour le gain de temps et la commodité.

Philosophie et modèle économique

La commercialisation en ligne peut-elle générer du chiffre d’affaires ? Tout dépendra de la volonté de l’officinal et de ses capacités à investir. Soit il s’agit d’un service supplémentaire, soit d’une véritable stratégie commerciale.

Pour Claude Le Pen, rien n’interdit à plusieurs officines et donc aux groupements de centraliser les commandes effectuées sur le site de chaque officine, et donc les livraisons. Et de conclure : « On peut faire de la vente en ligne. Cela ne serait pas incompatible avec le modèle officinal. C’est un combat d’arrière-garde de dire “non”, mais ce n’en est pas un de vouloir être prudent. Les pharmaciens ont l’impression que remettre en cause le modèle économique, c’est remettre en cause la philosophie de la profession. Ce n’est pas le cas. »

Sondage

Votre pharmacie dispose-t-elle d’un site internet ?

Si oui, lorsque vous avez créé le site internet de votre officine, avez-vous :

Si oui, vendez-vous en ligne des produits de parapharmacie ?

Afin de garantir l’information des patients et de respecter la déontologie de votre profession, seriez-vous prêts à faire labelliser votre site par l’ordre des pharmaciens ou une instance gouvernementale ?

L’Europe lutte contre la contrefaçon

De 50 à 90 % des médicaments vendus sur internet seraient des contrefaçons. cette lutte est devenue une priorité européenne. le conseil de l’Europe et la Direction européenne de la qualité du médicament & soins de santé (DEQM) ont lancé dans ce cadre un service informatique de traçabilité des médicaments nommé eTACT. « Chaque boîte de médicament aura un numéro de série unique identifiable par son code-barre. Tout acteur de la chaîne, notamment le pharmacien, pourra ainsi contrôler ce numéro et vérifier l’authenticité des médicaments délivrés en officine. Le patient pourra aussi vérifier le code-barre grâce à une application smartphone, pour conforter sa confiance dans la chaîne légale de distribution du médicament. e-TACT permet de déceler s’il s’agit d’une copie d’un numéro de suivi ou si le numéro présente des incohérences », détaille françois-xavier lery, chef de projet e-TACT au conseil de l’Europe et à la DEQM. cette application sera effective en 2016-2017 et ouverte aux 36 Etats membres de la commission européenne de pharmacopée.

OLIVIER SAUMON, AVOCAT AVOCAT AU BARREAU DE PARIS

« C’est au fournisseur de contenus que l’on demandera d’abord des comptes »

Avec la Toile, les auteurs d’abus espèrent l’impunité, pariant sur la dématérialisation et son caractère transfrontalier. C’est à la loi et aux juges d’appréhender les ventes de produits parfois contrefaisants, mais aussi celles de produits détournés du circuit de distribution pharmaceutique. S’il n’existe pas de disposition spécifique pour les produits appartenant au monopole pharmaceutique, le commerce en ligne de produits de santé est régi par le droit commun applicable au web marchand. C’est d’abord au fournisseur de contenus que l’on demandera des comptes et, dans un second temps, au fournisseur d’hébergement. Les fournisseurs de contenus (personnes physiques ou morales qui éditent et mettent en ligne) sont responsables de plein droit des contenus qu’ils publient. Si le fournisseur de contenus est un pharmacien établi dans un Etat membre, nous connaissons l’approche du juge communautaire dans l’arrêt dit “DocMorris”. Toutefois, des questions pratiques demeurent sans réponse. Qu’en est-il si le fournisseur de contenus n’est pas un pharmacien établi dans un Etat membre ? Cette vente pourrait relever d’un exercice illégal de la pharmacie au même titre que la vente de produits, appartenant au monopole officinal, par un non-pharmacien. Quant aux prestataires techniques (fournisseurs d’accès et d’hébergement), ils bénéficient d’un principe d’irresponsabilité. Toutefois, le fournisseur d’hébergement peut voir sa responsabilité engagée si le caractère illicite du contenu a été préalablement porté à sa connaissance et qu’il a été mis en demeure de retirer les informations ou de rendre leur accès impossible. Enfin, les juges accueillent plus largement les actions contre les plateformes d’e-commerce qui stockent des offres, proposent des conseils ou mettent à disposition des moyens techniques ou des moyens de promotion. Quels avantages attendre de la saisine du juge civil ou du juge pénal ? La voie civile permet d’obtenir le retrait rapide d’un contenu illicite ou rendre son accès impossible. La plainte pénale offre des possibilités d’enquête indispensables lorsque des infractions sont de nature à porter atteinte à la santé publique avec une dimension transfrontalière. Ainsi, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique a vocation à engager des enquêtes criminelles de santé publique. En effet, cet organisme est spécifiquement en charge des infractions liées au domaine médical et paramédical. Son action aboutit à des fermetures de sites, des démantèlements de filières de contrefaçon et d’importations de produits illégaux, des ouvertures d’instruction et des renvois devant les juridictions correctionnelles. »

Repères

11 janvier 2011

Lors d’une audition au Sénat sur le trafic des médicaments, Nora Berra, secrétaire d’Etat en charge de la santé, affirme que la réflexion sur les sites Internet des officines se poursuit afin de définir un cadre juridique. Elle déclare que seuls les médicaments de prescription médicale facultative pourront être commercialisés en ligne et que des contrôles et des sanctions en cas de non-respect des règles qui seront édictées sont envisagés.