« Le low-cost est à la mode »

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Publié le 30 septembre 2014
Par Peggy Cardin-Changizi
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En temps de crise, les prix bas attirent. De là à installer le modèle low cost dans tous les domaines de consommation, il n’y a qu’un pas, aujourd’hui franchi. Regard sur un secteur qui prend de la valeur, avec Jean-Paul Tréguer, spécialiste en stratégie hard discount.

« Pharmacien Manager » : Vous venez de publier « La Révolution du low cost » aux Editions Dunod. Quel est votre message ?

Jean-Paul Tréguer : J’ai voulu montrer qu’un nouveau business model s’était développé avec succès depuis plusieurs années dans de nombreux secteurs. Il me paraissait important d’expliquer les atouts du low cost. A la fois aux personnes qui se lancent dans la création d’entreprise, mais aussi aux concurrents traditionnels des low-costeurs afin qu’ils puissent mettre en place une stratégie efficace pour leur résister.

P.M. : Comment se définit le low cost ?

J.-P.T. : Fondamentalement par la simplification, davantage que par le prix. On a épuré une offre, un produit, en enlevant tout ce qui n’était pas strictement indispensable. En bref, on a enlevé le superflu : il y a un slogan américain qui exprime cela : No frills [« Pas de fioritures, NdlR »]. Dans tous les domaines, le low-costeur est allé à l’essentiel de la proposition par rapport à l’attente du consommateur en retirant tout ce qui pouvait augmenter le prix. Olivier Géradon de Vera, ancien vice-président d’IRI Secodip France, disait que le low cost restitue du pouvoir d’achat pour financer du vouloir d’achat. Par exemple, en économisant sur un billet d’avion, on va pouvoir se faire plaisir avec un hôtel plus haut de gamme ou un restaurant gastronomique.

P.M. : Sa perception a-t-elle évolué ?

J.-P.T. : Il y a une dizaine d’années, les réactions des Français envers le low cost étaient massivement agressives et dévalorisantes. Maintenant, le modèle est à la mode ! Le lancement de Free Mobile a été un événement clé. La conférence de presse de janvier 2012 a créé une rupture dans la perception du low cost en France. Elle a fait comprendre aux consommateurs que la meilleure façon de leur restituer du pouvoir d’achat c’était l’arrivée d’un low-costeur sur un marché. Aujourd’hui, on est entré dans une certaine normalisation de la perception. Tout d’abord, parce que les gens se sont habitués à consommer low cost avec des produits plus simples, plus modernes et moins chers. Deuxièmement, parce que le « mouton noir » du low cost, Michael O’Leary, est plus ou moins rentré dans le rang. L’emblématique patron de Ryanair avait pris l’habitude de jouer sur des provocations pour faire parler de lui. Cela a créé une image négative du low cost. Depuis un an, les provocations ont cessé car sa compagnie était en en train de se faire dépasser par EasyJet. Enfin, parce qu’il y a une vraie satisfaction consommateur tant au niveau de la qualité que du service.

P.M. : Le low cost s’est-il imposé dans tous les domaines ?

J.-P.T. : Globalement oui. Dans l’aérien c’est très spectaculaire car il pèse déjà près de 50 % de parts de marché du trafic court et moyen courrier en Europe. Il y a néanmoins quelques secteurs moins perméables au low cost. Le luxe par exemple, car les marques véhiculent un univers d’évocation, du rêve, un pouvoir symbolique, un savoir-faire spécifique, loin de la standardisation. Néanmoins, on a vu la vente de diamants, de bijoux ou de parfums sur Internet qui a contribué à faire baisser les prix. Il y a très peu de marchés où le low cost n’entrera pas. Citons, par exemple, les secteurs industriels qui nécessitent de lourds investissements en recherche ou en technologie, comme l’industrie pharmaceutique, le nucléaire…

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P.M. : Et en pharmacie ?

J-P.T. : Le low cost en pharmacie se caractérise essentiellement par les marques de distributeur et les génériques. Il est certain que la pharmacie va vendre de plus en plus ce type de produits moins chers, mais aussi efficaces que ceux des marques traditionnelles. Avec Internet, le consommateur est de plus en plus averti. Aujourd’hui, tout le monde peut comparer les prix en quelques clics. Et de leur côté, les circuits de distribution sont en train de devenir perméables les uns par rapport aux autres. Du coup, pour une pharmacie, comme tout autre commerce, il sera difficile de vendre un produit plus cher pour une fonctionnalité identique. Le low cost a donc un avenir prometteur en pharmacie.

P.M. : Internet est-il un élément prépondérant ?

J.-P.T. : Oui, c’est un outil essentiel de propagation du low cost. Il constitue le modèle commercial et de distribution le plus économique. En effet, sur le web le consommateur assume une grande partie de l’acte d’achat, il choisit le produit de base, puis les options, ce qui économise les vendeurs et les magasins physiques. Les compagnies aériennes ont pu ainsi réduire leurs coûts : elles ont été les premières à utiliser Internet pour que les consommateurs fassent eux-mêmes une partie du travail à la place d’une agence de voyage. Internet est à la fois un média de communication quasiment gratuit, un outil de distribution et un outil de comparaison des prix, qui s’intègre parfaitement aux stratégies des low-costeurs.

P.M. : Peut-on innover avec des produits pas chers ?

J.-P.T. : Absolument. Mais pour réduire les coûts, il faut sortir des sentiers battus. C’est le principe de ce que l’on appelle désormais l’« innovation frugale ». C’est ce qu’a fait Renault avec Dacia. Louis Schweitzer a eu l’idée géniale de prendre des pièces et des robots qui n’étaient plus utilisés dans les usines Renault un peu partout dans le monde pour fabriquer des nouveaux véhicules à moins de 5 000 euros en Roumanie. C’est la démonstration d’une innovation rupturiste par le bas tout aussi spectaculaire que l’innovation traditionnelle qui consiste à créer des produits de plus en plus sophistiqués. Les low-costeurs sont des innovateurs car ils inventent de nouveaux business model et simplifient les process fonctionnels d’un marché.

P.M. : Le low cost a donc de l’avenir…

J.-P.T. : Il s’inscrit solidement dans les faits et est reconnu par les consommateurs qui l’ont adopté. A partir de là, il va s’appliquer à tous les domaines de la vie des clients. En France, en 2013, une vingtaine de nouvelles entreprises low cost se sont créées. Il y a désormais une normalisation du phénomène dans les esprits des gens qui préfèrent payer moins cher des services ou des produits qui restent d’une qualité acceptable.

Publicitaire, Jean-Paul Tréguer est le P-DG fondateur du groupe de communication Lowcost 360. Ce groupe comprend plusieurs agences telles que TVLowCost, DigiLowCost, LowCostMedia et Senioragency. Jean-Paul Tréguer est également coprésident du Club des entreprises low cost. Il est l’auteur de nombreux livres de management dont « Le Senior marketing », « Les Nouveaux Marketings », « Mettez une star dans votre moteur » ou encore « Low Cost Attitude ».