UN SERVICE GAGNANT ?

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Publié le 2 juin 2012
Par Françoise Sigot
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Nombre de pharmaciens proposent à leurs patients de leur livrer des médicaments à leur domicile. Ce service supplémentaire, qui peut être facturé, n’est pas interdit par le Code de la santé publique, mais reste sous conditions.

S’il est d’usage de dépanner occasionnellement les patients dans l’incapacité de se déplacer, lorsqu’il s’agit de structurer la livraison des médicaments à domicile, l’exercice est délicat. Ainsi, sans le condamner, l’Ordre des pharmaciens n’est pas de ceux qui l’encouragent. « Sous réserve que ce service ne s’accompagne pas d’une sollicitation de clientèle, le pharmacien est libre de choisir de le proposer en le facturant ou non, selon son choix », explique Jean Arnoult, conseiller ordinal. Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO), se montre, lui, très favorable au développement d’un tel service. « Les clients sont de plus en plus demandeurs. Cela correspond à un mode d’achat qui se développe. L’article 38 de la loi HPST préconise la mise en place de services. Il serait grave que la profession ne réfléchisse pas à ce sujet et ne s’organise pas pour pouvoir y répondre favorablement », assène-t-il. D’autant que la pratique semble trouver une clientèle. « Nous avons répondu à une véritable demande et ce service ne cesse de prendre de l’ampleur », constate un pharmacien installé en Bourgogne qui préfère ne pas se dévoiler.

Les clients jeunes et actifs seraient très demandeurs

Au sein du groupement Giphar, cette quête de livrer à domicile a retenu l’attention de la commission PBS (Prospective Business Services), composée de pharmaciens titulaires, qui initient et développent des projets au profit d’un groupe de 300 pharmaciens adhérents. Ceux-ci ont notamment testé un service de livraison à domicile début 2011. « Nous avions noté une attente de la part des clients. Certains pharmaciens offraient déjà gratuitement ce service. En le testant à plus grande échelle, nous avons constaté qu’existait une véritable demande des clients jeunes et actifs qui n’auraient pas osé demander ce service s’il avait été gratuit », retrace Jean-Michel Cloppet, président du Giphar. Convaincu de la pertinence d’une telle offre, le groupement a donc développé quelques outils comme des sacs dont le grammage papier et la taille sont en conformité avec le cahier des charges de La Poste (puisque la livraison peut être faite via le service postal), mais aussi des affiches, des leaflets et une procédure informatique sur le logiciel pour facturer les forfaits de livraison. Aujourd’hui, Giphar estime qu’environ un quart de ses adhérents propose ce service.

Faut-il facturer, sous-traiter, communiquer ?

Les textes n’imposent comme contrainte que celles relatives à la communication. « Le Code de la santé publique fait une distinction entre la délivrance et la livraison à domicile. Dans le premier cas, le pharmacien ou le préparateur sont autorisés à se déplacer chez le patient, dans l’hypothèse où celui-ci serait dans l’impossibilité de se déplacer. Dans le second, on entre dans le cadre d’un service qui peut être délivré par les salariés d’une officine ou par un prestataire, sous réserve que les médicaments soient conditionnés dans un paquet opaque et fermé. Ce point doit faire l’objet d’une vigilance particulière pour empêcher qu’une livraison ne soit pas conforme au respect des conditions de stockage de certains médicaments, notamment ceux qui nécessitent une conservation à une température particulière. Enfin, les textes précisent clairement que le livreur ne doit pas stocker les médicaments », retrace Matthieu Blaesi, avocat au cabinet SCP Sapone-Blaesi. Quant à la facturation, les textes ne se prononcent pas. Certains pharmaciens acceptent volontiers de rendre ce service gratuitement à leurs fidèles clients, mais, face à une conjoncture de plus en plus difficile, les facturations ne sont plus rares. « Jusque-là, beaucoup de pharmaciens ont proposé ce service en dépannage. Face à la montée en puissance des demandes, il est normal que les choses s’organisent. Or, si nous ne facturons pas ce service nous ne pourrons pas l’organiser correctement », estime Pascal Louis.

Au-delà de l’équilibre économique de l’officine, le président du CNGPO justifie son choix par un autre argument. « Je suis réservé sur le recours à la sous-traitance pour effectuer les livraisons. En effet, le rôle du pharmacien est plus que jamais de maintenir une proximité avec le client et d’être force de conseil. Si nous laissons la main aux services postaux ou à des entreprises spécialisées dans les courses à domicile, nous perdrons ce contact », prévient-il. En pratique, les solutions sont nombreuses. Certains ont d’ores et déjà organisé la livraison à domicile, notamment en ayant recours aux facteurs. D’autres choisissent d’investir dans un véhicule ou sous-traitent ces actes à des coursiers. Au-delà de la forme, un point incontournable demeure. En effet, que l’ordonnance soit délivrée à domicile ou au comptoir, le rôle du pharmacien reste le même sur le fond. « Le pharmacien doit préparer la commande et donner les explications nécessaires à la prise des médicaments », rappelle Jean Arnoult.

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Si organiser et budgéter une offre de livraison à domicile paraît relativement aisé, en revanche, communiquer sur ce service est plus délicat. « Pour l’heure, il n’existe aucune jurisprudence en la matière. Ce sont donc les textes du Code de la santé publique, notamment le code de déontologie, qui s’imposent », précise Matthieu Blaesi. Le principe du « tact et de la mesure » doit donc être respecté. Autant dire que les annonces en vitrine sont à bannir, sous peine de tomber sous le coup de la sollicitation de clientèle. De même, si le pharmacien effectue les livraisons avec un véhicule, ce dernier ne doit rien laisser paraître de ce service. En revanche, les affiches et leaflets mis à disposition des clients à l’intérieur de l’officine peuvent permettre d’informer les clients.

TÉMOIGNAGE

« Nous confions les livraisons à une personne diplômée »

AGNÈS TARODO DE LA FUENTE, TITULAIRE À SAINT-AMANS-SOULT (TARN)

« Installés en zone rurale, nous avons toujours proposé à certains clients de les livrer à domicile. Mais cela se faisait rarement et de façon informelle, surtout pour des personnes âgées qui ne pouvaient pas se déplacer. Sous l’impulsion du groupement Giphar, nous avons décidé de mieux organiser ce service afin de pouvoir l’offrir à plus de clients. Nous avons donc tout d’abord réalisé une enquête auprès de nos clients pour vérifier si le besoin existait véritablement et s’ils étaient prêts à le financer. Nous nous sommes rendu compte que, non seulement ils étaient intéressés par la livraison à domicile, mais que le fait de leur demander une participation financière les décomplexait. Nous avons donc généralisé et budgété l’offre. Nous avons communiqué sur ce service avec des affiches placardées dans la pharmacie et la distribution de dépliants à nos clients. Nous avons également adopté une organisation nous permettant d’y répondre, en confiant les livraisons à une personne diplômée qui se rend chez les clients avec le véhicule de l’officine et prend soin d’expliquer l’ordonnance comme au comptoir. Nous facturons ce service cinq euros dans la limite d’un certain nombre de kilomètres, et davantage pour nos clients les plus éloignés.

Les médicaments sont conditionnés dans des sacs spécialement conçus à cet effet par Giphar. En place depuis quelques mois, la livraison à domicile ne nous a pas fait gagner de nouveaux clients, mais c’est un service appréciés par ceux qui y ont recours, que ce soit occasionnellement ou régulièrement. Pour l’instant, la livraison à domicile est un service qui s’équilibre sur le plan financier. Si toutefois, les demandes se multipliaient, nous devrions nous organiser en tournées afin de ne pas perdre d’argent. Mais à travers cette offre, notre objectif est bien de rendre un service à nos clients, et non de dégager des marges importantes. »