Tout savoir, mieux soigner
Le dossier médical personnel a été placé au coeur de la réforme de l’assurance maladie. Si sa mise au point et son contenu doivent encore faire l’objet d’une large concertation avec les professionnels de santé, dont les pharmaciens, on peut déjà en tracer les contours.
Le ministre de la Santé a présenté dès le mois de mai le dossier médical personnel (DMP) comme l’élément « central et consensuel » de sa réforme de l’assurance maladie. A lire le texte définitif de la réforme publié par le JO du 17 août, on reste un peu sur sa faim. Seul le cadre est posé : l’attribution dès 2007 à chaque Français de plus de 16 ans d’un DMP informatisé, complété par chaque professionnel de santé, pour favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins. Un patient qui refusera l’accès de son dossier à un professionnel de santé se verra moins bien remboursé. Il faudra attendre un décret en Conseil d’Etat (second semestre 2005) pour connaître dans le détail les conditions de sa mise en oeuvre et de son contenu.
« Nous sommes en train d’établir le cahier des charges, qui sera soumis à la concertation des professionnels de santé et des représentants des usagers mi-octobre, avant la présentation de la future architecture du dossier médical personnel fin octobre », a détaillé Philippe Douste-Blazy lors d’une conférence de presse début septembre. L’appel d’offres aux industriels pour la partie technique informatique sera lancé début 2005. A ce jour, le DMP demeure donc sans réel mode d’emploi et de nombreuses questions restent en suspens. On en connaît néanmoins les grandes lignes.
Philippe Douste-Blazy évalue l’investissement nécessaire à la mise en place nationale du DMP entre 300 et 600 millions d’euros (« le coût va de 3 à 15 euros par patient »). L’appel d’offres doit permettre de choisir les industriels qui pourront implanter à partir du premier semestre 2005 le DMP sur différents sites pilotes (six en principe). Mais déjà plusieurs expérimentations de DMP sont engagées à travers la France comme le dispositif RIPAM qui touche quelque 80 000 personnes en Ardèche (lire p. 28).
L’Etat attend beaucoup du DMP. L’économie escomptée serait de l’ordre de 3,5 milliards d’euros en année pleine. D’abord, il devrait permettre de réduire une bonne partie des 128 000 hospitalisations annuelles liées à des incidents iatrogènes (10 000 morts chaque année) en retraçant l’historique médicamenteux de chaque assuré.
15 % d’actes redondants entre la ville et l’hôpital.
Les arrêts maladie pourraient également être mieux contrôlés. Surtout, le DMP devrait permettre de baliser le parcours de santé de chaque patient. Adossé à des référentiels de bonnes pratiques médicales et des références médicales opposables, il pourrait devenir l’instrument de la maîtrise médicalisée que le ministre et nombre de responsables de santé appellent de leurs voeux. Objectifs : éviter la redondance des actes (15 % entre la ville et l’hôpital, selon Xavier Bertrand, secrétaire d’Etat à l’Assurance maladie), le nomadisme médical et améliorer la coordination des soins, indispensable notamment dans le cadre des ALD de plus en plus fréquentes et qui font exploser les dépenses. Enfin, le niveau de prise en charge par l’assurance maladie sera conditionné par l’accès du professionnel de santé au DMP. Pour l’heure, le niveau de moindre remboursement du patient qui refuserait l’accès à son DMP n’est pas arrêté. On ne sait pas non plus quelle sera la responsabilité des médecins de ce point de vue. Au moment où il transmettra la feuille de soins électronique, il sera censé spécifier que le DMP a bien été vu et rempli. Question de confiance…
Pour bâtir le DMP, le gouvernement aura donc besoin de l’adhésion complète des médecins. « S’il s’agit de savoir qui a fait quoi à quel moment pour améliorer la coordination et la qualité des soins, c’est oui. S’il s’agit pour les médecins-conseils de dépister les actes redondants ou de nous demander des comptes sur les prescriptions, c’est non, prévient Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux de France. Le DMP sera un formidable outil de régulation ou un instrument de flicage : au gouvernement de prendre ses responsabilités. » Les députés, en tout cas, n’ont pas pris de risque. Pour éviter « les manoeuvres de retardement » de nombreux médecins observées lors du passage à la carte Vitale, ils ont renforcé le caractère obligatoire de la tenue du dossier par les médecins. Dans la loi, « la consultation ou la mise à jour » du DMP deviennent pour les médecins une condition « d’adhésion aux conventions nationales régissant les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les professionnels de santé ».
Quel contenu ?
Le DMP devrait selon toute vraisemblance consigner les consultations médicales (généraliste, spécialiste, en ville ou à l’hôpital), les prescriptions médicamenteuses et d’analyses médicales, les résultats d’analyses biologiques, les comptes rendus d’examens radiologiques et les lettres de sortie des hôpitaux. En somme, toutes les données médicales utiles pour identifier le parcours de l’assuré et favoriser la coordination des soins. Le DMP informatisé ne reprendra pas systématiquement l’historique papier que possèdent aujourd’hui la plupart des médecins. En revanche, les médecins qui sont déjà informatisés pourront a priori transférer leurs données sur le DMP de leurs patients pour peu que leur logiciel soit compatible. L’accès au contenu sera gradué. Secret médical oblige, les médecins souhaitent que certaines informations restent inaccessibles aux autres professionnels de santé. Les psychiatres ont ainsi insisté pour qu’existe un volet spécifique pour les actes et les prescriptions dans ce domaine. « Il y a des informations qui ne peuvent pas être partagées, signale Michel Chassang. Les renseignements concernant la vie familiale, par exemple, n’ont pas à figurer dans le DMP comme les notes personnelles des médecins. Ensuite, l’accès à l’information devra être hiérarchisé et limité. Une infirmière, un kiné ou un audioprothésiste n’ont pas les mêmes besoins d’information. La partie diagnostic doit rester de notre seul ressort. »
La loi autorise déjà les médecins à consulter les données de liquidation de la CNAM qui contiennent la codification des actes médicaux et des médicaments délivrés. Enfin, l’Assurance maladie, dans le cadre de sa mission de contrôle, ne pourra se procurer des copies des pièces du DMP qu’avec l’accord du médecin et du patient, et les assurances, les mutuelles et la police ne pourront pas y avoir accès. Rempli en ligne, le DMP ne pourra pas être téléchargé.
Quelle place pour les pharmaciens ?
Le ministre de la Santé pensait d’abord réserver le DMP aux seuls médecins. « Mais il faudra étudier le cas des pharmaciens qui ont aujourd’hui la possibilité d’ajuster les traitements », s’était-il repris en juillet. Aujourd’hui, il semble que l’intégration des pharmaciens ne pose plus de problème. « A titre personnel, je souhaite que toute la partie traitement puisse être accessible aux pharmaciens », a-t-il expliqué début septembre.
Cela étant, Xavier Bertrand a réaffirmé mardi dernier, à l’occasion d’une conférence, que les pharmaciens n’y auraient pas accès dans un premier temps. « Peut-être qu’après, on verra… », a-t-il ajouté. Pourquoi ne pas avoir d’emblée donné l’accès aux pharmaciens et biologistes lui a-t-on encore demandé. « Est-ce que vous avez posé cette question aux médecins ? », a-t-il répondu, précisant que la priorité du gouvernement était de mettre d’abord en place un système le plus simple possible et d’obtenir la confiance des médecins.
En tout état de cause, la profession, Ordre (lire p. 24) et syndicats en tête, ne comprendrait pas l’absence du pharmacien. « Il a évidemment un rôle important à jouer dans la coordination des soins. C’est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans la convention élargie que nous avons établie avec la CNAM », explique Pierre Leportier, chargé du dossier protection sociale à la FSPF. Pour les pharmaciens, le DMP permettra d’éviter les interactions médicamenteuses, de garder une trace de l’automédication pratiquée par les patients ou de prévenir la surconsommation de médicaments. « Le gouvernement ne peut se priver de la mine d’informations dont nous disposons, renchérit Claude Japhet, président de l’UNPF. Le DMP est en plein coeur du métier. Nous sommes informatisés depuis bien longtemps. Si déjà on pouvait interconnecter les pharmaciens, une grande partie du chemin serait effectuée. Quoi qu’il en soit, le système qui sera mis en place devra être compatible avec les systèmes que nous possédons. » « Le DMP permettra un décloisonnement entre professions de santé. Le travail avec les médecins et les hôpitaux deviendra plus aisé, remarque Gilles Bonnefond, secrétaire général de l’USPO. Nous devrons tout y faire figurer, les interventions sur l’ordonnance, les modifications de dosage, les conseils, l’automédication… Cela permettra à terme de mettre en place l’acte et l’opinion pharmaceutique. Pour cela nous aurons besoin d’accéder à certaines informations liées au diagnostic. Les médecins ne doivent pas oublier que nous avons un code de déontologie et que nous sommes nous aussi soumis au secret médical. »
Confidentialité.
Le DMP sera un dossier unique, informatisé et accessible par Internet. Tous les dossiers seront centralisés auprès d’« hébergeurs de données de santé à caractère personnel » choisis après un appel d’offres puis agréés par le ministère de la Santé. Chaque assuré sera libre du choix de son hébergeur et pourra en changer s’il n’est pas satisfait. La future carte Vitale 2, qui comprendra la photo de son titulaire et quelques éléments d’authentification (médecin traitant, personnes à prévenir en cas d’urgence…), sera la clé d’accès au DMP. Introduite dans un lecteur en même tant que la carte CPS et à l’aide d’un code personnalisé propre au patient, elle permettra au médecin d’y accéder. Enfin, l’accès au DMP par le patient hors carte CPS sera sécurisé pour la transmission comme pour l’authentification. « La sécurité du système ne pose pas de problème majeur, ce sont des aspects que l’on maîtrise correctement aujourd’hui, assure Laurent Prax, président de SNR, société qui expérimente le DMP en Ardèche (lire ci-dessous). Les solutions techniques sont fiables, Cette année, plus d’un million de personnes ont fait leur déclaration d’impôt sur Internet sans problème. » Et 12 % des Français consultent et effectuent chaque jour des opérations sur leurs comptes bancaires en ligne.
A retenir
– janvier 2007
A cette date, chaque Français de plus de 16 ans devrait disposer de son dossier médical personnel (DMP), accessible par Internet.
– coût
Sa mise en place coûtera entre 300 et 600 millions d’euros.
– économies
Le gouvernement table sur une économie pour l’assurance maladie de 3,5 milliards d’euros en année pleine.
– officine
Les pharmaciens n’auront dans un premier temps pas accès au DMP. Syndicats et Ordre souhaitent pourtant participer à son élaboration.
Trois ans pour combler le retard informatique des médecins
Lors des débats à l’Assemblée nationale, de nombreux députés ont ouvertement mis en doute le délai de mise en oeuvre du DMP.
Pour eux, il serait impossible de le généraliser au 1er janvier 2007 compte tenu d’informatisations insuffisantes des cabinets médicaux et des établissements de soins. « Ce n’est pas parce que les médecins n’utilisent pas les télétransmissions qu’ils ne sont pas informatisés », nuance Michel Chassang, président de la CSMF. De fait, Yves Bur, député des Vosges et rapporteur du projet de loi sur la réforme de l’assurance maladie, estimait lors des débats que si 90 à 95 % des cabinets sont informatisés, seuls 60 à 70 % des médecins utilisent la carte Vitale.
Problème tout de même : les médecins exploitent dans leur ensemble plus de 150 logiciels différents ! Il faudra donc les rendre compatibles, mais les langages informatiques utilisés sont très hétérogènes… Les hôpitaux, quant eux, sont largement équipés, même si seulement 30 % utilisent des logiciels médicaux. Là encore, un problème d’interconnexion des systèmes ville/hôpital se posera. Philippe Douste-Blazy en tout cas n’hésite pas à citer les syndicats médicaux, qui « s’accordent à penser que, le 1er janvier 2007, tous les médecins seront informatisés ».
Quant aux Français, ils rattrapent leur retard sur les autres pays européens. En ce qui concerne le haut débit, il y avait 600 000 abonnés en 2002, on en compte 4 millions aujourd’hui. « Une véritable révolution est en train de s’opérer », s’est réjouit le ministre de la Santé.
Reste que de nombreuses zones resteront privées d’Internet faute de rentabilité financière pour les opérateurs. Une copie papier du DMP ou un accès par téléphone sont envisagés.
Trois questions à Isabelle Adenot, présidente du conseil central de la section A de l’ordre des pharmaciens
« Le Moniteur » : Quel peut être le rôle du pharmacien dans le dossier médical personnel ?
Isabelle Adenot : Le DMP est un élément central de la réforme de l’assurance maladie dans lequel les pharmaciens peuvent et doivent s’investir. Nous demandons plus qu’un simple accès de consultation, nous souhaitons participer à sa constitution dans sa partie thérapeutique. Pour trois raisons. D’abord, parce qu’il existe souvent des différences entre la prescription du médecin et la dispensation du pharmacien liées à la substitution ou au changement de traitement après avis médical. Ensuite, parce que les patients ne repartent pas toujours avec l’intégralité des médicaments prescrits. Enfin, parce que certains traitements relèvent de l’automédication. Ces informations, que nous sommes les seuls à détenir, sont importantes pour nous mais aussi pour le ou les médecins dans le suivi des patients. Qui plus est, la profession est complètement informatisée et peut donc être moteur sur ce sujet.
L’automédication semble un élément important. Pourquoi ?
Le rôle du pharmacien vise naturellement à éviter la surconsommation de médicaments mais surtout l’iatrogénie. Or, des milliers de personnes meurent chaque année de mauvaises interactions. Une récente étude du British Medical Journal montre que sur 18 800 patients hospitalisés en Grande-Bretagne, 6,5 % des admissions sont liées aux effets secondaires d’un traitement. Et les médicaments les plus fréquemment impliqués sont l’aspirine et les AINS…
Le DMP est-il une passerelle vers l’opinion pharmaceutique ?
Sans doute. Le DMP pourrait avoir deux étages. Un étage commun à tous les pharmaciens où figureraient toutes les dispensations avec le nom des médicaments, un historique en somme, et un second étage constitué avec le dossier de suivi pharmacothérapeutique*, lequel figure déjà dans la majorité des logiciels officinaux et qui pourrait abonder le DMP. Mais ce dossier nécessite que nous ayons accès à une partie des informations concernant le diagnostic, notamment les résultats d’analyses biologiques. Ce sont des données essentielles à une bonne dispensation dans le cas de patients diabétiques par exemple. La question du contenu et de l’accès au DMP n’est pas encore tranchée, mais nous ferons tout pour y être intégrés de la manière la plus complète. Les pharmaciens sont prêts.
* Le dossier de suivi pharmacothérapeutique est constitué par la collection des opinions pharmaceutiques rapportées à un patient et avec son accord, qui forme l’ensemble des informations de sources administrative, pharmaceutique, médicale (informations communiquées par le médecin et ayant trait à une dispensation ou à un terrain particulier) et biologique (résultat pertinent d’analyse) utiles à la dispensation. (Source : http://www.opinion-pharmaceutique.fr.)
Le dossier médical intéresse les Français
L’accès direct pour les patients à leur dossier médical a été autorisé par la loi de mars 2002 sur le droit des malades (loi Kouchner). Depuis, il semble que le nombre de demandes soit en forte hausse. Le SAMU 93 vient ainsi de publier une étude montrant une augmentation « significative, progressive et constante depuis mars 2002 » des demandes de communication d’informations médicales et de dossiers médicaux.
Le nombre mensuel de demandes est passé de 4,8 pour 10 000 dossiers avant mars 2002, à 8 pour 10 000 de mars 2002 à février 2003. Les conséquences de la loi ne sont donc pas négligeables et la création du DMP pourrait remporter l’adhésion des Français.
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