« Les phar maciens doivent rester sur leur cœur de métier : le médicament »
Président depuis mai 2017 de France Assos Santé (ex-CISS), Alain-Michel Ceretti ne mâche pas ses mots sur l’inadéquation entre l’offre de soins et les besoins des patients. Tout en reconnaissant l’importance du rôle des pharmaciens. De là à payer pour les services qu’ils apportent, c’est une autre paire de manches.
Pour quelles raisons avoir publié une tribune dans « What’s Up Doc ? » de juin 2018, où vous prônezde revoir progressivement la liberté d’installation des médecins en instaurant, dans les zones surdotées, une obligation pour les jeunes médecins de consacrer une partie de leur temps à des missions de service public en pratiquant des tarifs encadrés ?
A.-M. Ceretti : Aujourd’hui, l’intérêt des personnes malades ne rencontre plus l’intérêt des professionnels de santé. Tout le monde doit mettre de l’eau dans son vin, mais les médecins ne mettent pas beaucoup d’eau… La notion de progressivité est importante. Je propose de démarrer une révision des règles d’installation à partir d’une première génération d’étudiants de médecine. Il y a un vrai contrat entre l’Etat et les étudiants, et ce contrat pourrait être modifié pour les étudiants de 1re ou 2e année. On ne peut pas être brutal, l’affaire est sensible, c’est pourquoi on demande une révision progressive des règles.
Dans cette même tribune, vous écrivez que les pharmaciens pourraient, comme les infirmières de pratique avancée, participer au suivi des patients. Comment voyez-vous le rôle des pharmaciens ?
Face à une demande de soins de plus en plus forte et à une offre médicale qui s’érode de plus en plus dans certains territoires, il faudrait autoriser les pharmaciens à réaliser des actes médicaux qu’ils pourraient effectuer sans engager de risques pour les patients. J’ai reçu des représentants de pharmaciens qui voulaient mettre en place des actions de télémédecine en officine. Je trouve qu’une cabine de télémédecine a plus sa place dans une pharmacie que dans une mairie… Mais les pharmaciens doivent rester sur leur cœur de métier : le médicament. A ce sujet, je pense qu’ils ne font pas assez la promotion du dossier pharmaceutique, qui fonctionne et peut être utile aux patients s’il leur est bien expliqué. Que les pharmaciens, en particulier, s’en emparent réellement pour répondre à leur mission de conseil pharmaceutique !
Un projet de décret prévoit que les pharmaciens pourront proposer de nouveaux services aux patients que ceux-ci pourraient payer. C’est déjà le cas pour de la télé-expertise en dermatologie dans certaines pharmacies. Pour vous, cela va également dans le bon sens ?
Les pharmaciens doivent identifier des actes pour lesquels ils apporteraient une valeur ajoutée aux malades, tant d’un point de vue individuel que collectif, dans leur capacité à assurer accessibilité et proximité sur l’ensemble du territoire. Je pense néanmoins qu’il n’y a aucune légitimité à ce que le patient paye pour ce service de santé de proximité. Ou alors le coût ne doit pas dépasser le reste à charge que le patient aurait à payer pour un acte équivalent remboursé par l’Assurance maladie. Je ne vois pas pourquoi le fait de dépister une lésion de la peau ne serait pas, dans ce contexte, pris en charge par l’Assurance maladie. La téléconsultation est remboursée depuis le 15 septembre. Faire payer le patient n’est pas logique, cela ne va pas dans le sens d’un accès universel à la prévention.
France Assos Santé a été auditionnée par la mission du Sénat sur la pénurie de médicaments et de produits de santé. Comment résoudre le problème ?
Les matières premières des médicaments sont principalement produites en Asie. Dans le même temps, la demande mondiale est de plus en plus forte. L’industrie du médicament fait du business comme les autres industries. Elle vise la rentabilité à très court terme et gère la production à flux tendus, car avoir des stocks coûte cher. C’est très compliqué de régler ce problème. Les solutions reposent principalement sur le renforcement de l’Europe du médicament, qui permettrait notamment de produire des matières actives de qualité, en s’appuyant sur la filière de chimie, qui s’est adaptée aux normes environnementales. Une relocalisation de ces molécules de base pourrait être envisagée en Europe avec un organisme de contrôle public pour garantir la qualité et la sécurité des médicaments pour les usagers. Il s’agirait aussi de faciliter la production à l’identique de médicaments anciens dont les effets secondaires sont connus. Enfin, il faudrait exiger des plans de gestion des pénuries européens avec obligations de résultats (et non de moyens).
Les conséquences des pénuries pour les patients sont nombreuses (perte de chance, difficulté d’adhésion au traitement, effets indésirables engendrés par l’imposition de changements de traitement). Les conséquences en termes de santé publique sont tout aussi inacceptables. Les risques de transmissions de certaines pathologies augmentent (syphilis, VIH), les pénuries de vaccins sabordent des années d’efforts en santé publique. Le développement croissant de l’offre de médicaments sur Internet amène également de sérieuses inquiétudes en termes de sécurité sanitaire. Il est donc urgent d’agir.
Vous avez évoqué le dossier pharmaceutique, mais quel regard portez-vous sur un autre dossier, le dossier médical partagé ?
Je vous ai en effet parlé de l’importance du dossier pharmaceutique pour les patients. Mais le « grand soir » qu’on attend en 2019, c’est le dossier médical partagé [DMP]. C’est un outil indispensable. La coordination des soins entre la ville et l’hôpital ainsi que la qualité de la prise en charge dépendent de la transmission d’informations.
BIO EXPRESS• 1997 : Création de l’association Le Lien, après l’affaire de la Clinique du sport – des contaminations par des infections nosocomiales entre 1988 et 1993 -, dont son épouse a été victime.
• 2006 : Alain-Michel Ceretti propose à Xavier Bertrand, ministre de la Santé, de créer un dispositif de médiation en santé auprès de la Haute Autorité de santé.
• 2009 : Alain-Michel Ceretti rejoint Jean-Paul Delevoye, médiateur de la République, pour créer le pôle Santé.
• 2011 : Alain-Michel Ceretti co-préside avec Édouard Couty les Assises du médicament après le scandale du Mediator.
• 2016 : Alain-Michel Ceretti devient administrateur de l’ANSM.
• Mai 2017 : Il est élu président de France Assos Santé.
• Mars 2018 : Il est nommé avec Dominique Le Guludec, présidente de la HAS, et Olivier Lyon-Caen, médecin-conseil national de l’Assurance maladie, pilote du chantier Qualité et pertinence des soins dans le cadre de la Stratégie de transformation du système de santé.

Olivier Corsan
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