Les jumeaux numériques ont bien grandi
Plébiscités par les laboratoires pharmaceutiques, les jumeaux numériques, répliques d’un objet, d’un système, d’un processus, etc., sont en train de révolutionner l’industrie du médicament et la médecine en général. Explications.
Aujourd’hui, un médicament sur deux est conçu avec les solutions de jumeaux numériques de Dassault Systèmes. Nous comptons, dans les domaines de la pharmacie et des dispositifs médicaux, plus de 8 000 clients actifs, dont les 20 plus grandes entreprises pharmaceutiques mondiales, qui font appel à notre plateforme 3DExperience pour modéliser le jumeau numérique d’une molécule chimique ou biologique, mais aussi de son procédé de fabrication. » Cette confidence de Claire Biot, vice-présidente de l’industrie des sciences du vivant chez Dassault Systèmes, illustre la place prise depuis une vingtaine d’années par les digital twins dans l’industrie pharmaceutique. « Les jumeaux numériques sont des modèles mathématiques qui permettent de simuler un système, un processus de fabrication ou un objet biologique, mécanique ou électronique », rappelle Frédéric Dayan, directeur général d’ExactCure. Cette start-up créée en 2018 fait appel à cette technologie pour simuler l’efficacité et les interactions des médicaments dans l’organisme des patients en fonction de leurs caractéristiques personnelles, ainsi que dans un contexte de suivi thérapeutique.
Double gain pour les laboratoires
« Le fait de pouvoir anticiper l’action d’un nouveau traitement sur une cellule ou un organe, en l’absence de données humaines, fait gagner un temps précieux et beaucoup d’argent aux laboratoires lorsque l’on sait qu’il faut plus de dix ans et 2,5 milliards d’euros d’investissement pour développer un nouveau médicament qui n’a, en plus, qu’une chance sur huit d’être autorisé par les régulateurs », rappelle Thierry Marchal, directeur santé d’Ansys, un éditeur américain de logiciels spécialisés en simulation numérique. Les jumeaux numériques commencent aussi à s’immiscer dans le développement clinique. Pour se positionner sur ce marché prometteur, Dassault Systèmes a racheté en 2019 Medidata, une société spécialisée dans les logiciels d’accompagnement des essais cliniques. « Grâce aux droits d’accès négociés avec ses clients, Medidata propose aux laboratoires pharmaceutiques des bras de contrôle synthétiques incluant les données cliniques de plusieurs milliers de patients ayant reçu le traitement standard lors d’essais cliniques précédents. Nous avons en effet réussi à démontrer que l’on obtenait les mêmes résultats qu’avec les bras de contrôle réalisés sur des patients réels. »
La prochaine étape pourrait être celle des essais entièrement réalisés in silico, sans patients réels. « Nous n’y sommes pas encore, mais on s’en approche, confie Claire Biot. Nous travaillons par exemple en partenariat avec la Food and Drug Administration (FDA) pour démontrer que l’on peut concevoir un nouveau dispositif médical via notre jumeau numérique du coeur sans avoir besoin de recruter de vrais patients. Cette expérimentation qui a démarré en 2019 devrait, si tout va bien, aboutir d’ici à 2024. » Le Graal sera de simuler le jumeau numérique de l’organisme humain dans son environnement. « Nous soutenons activement de multiples initiatives de recherche et développement autour des jumeaux numériques », souligne Magnus Fontes, directeur général de l’Institut Roche qui a pour mission de nouer des partenariats scientifiques avec les équipes académiques françaises afin de contribuer à la découverte d’innovations thérapeutiques. Nous avons notamment lancé des travaux sur le jumeau numérique du système immunitaire qui nous ont, entre autres, permis de déterminer des groupes de patients cliniquement pertinents à l’aide de biomarqueurs. Certains critères reflétant l’activité du système immunitaire ont même déjà été ratifiés par la FDA et sont utilisés en oncologie. » Dassault Systèmes s’est lui aussi lancé dans la course en privilégiant une approche systémique. « Nous allons développer au fil du temps une librairie de jumeaux numériques des différents organes en fonction des questions que nous posent nos clients, comme nous l’avons déjà fait pour le coeur et les poumons », indique Claire Biot. Lorsqu’on lui demande quand ce jumeau numérique du corps humain sera disponible, la vice-présidente se montre très prudente et évoque un horizon d’une dizaine d’années.
Quand tous les patients auront un jumeau numérique reflétant leur propre biologie, la médecine entrera alors dans une nouvelle ère. « Leur médecin pourra, à partir de l’analyse d’un échantillon de sang, prédire l’apparition de pathologies comme le cancer ou les maladies neurodégénératives et leur administrer un traitement préventif », avance Magnus Fontes. Pour Claire Biot, les jumeaux numériques auront une autre vertu. « On peut légitimement penser que les patients deviendront davantage acteurs de leur propre santé, estime-t-elle. Ils pourront comprendre, représenter ou simuler leur pathologie et, par conséquent, être plus attentifs à la prévention et à l’adhésion aux traitements. Des éléments qui doivent résonner de manière extrêmement forte chez les pharmaciens d’officine… »
Médicaments personnalisés
Des pharmaciens qui seront probablement amenés à revenir à leur coeur de métier historique. « Je crois beaucoup à la personnalisation des traitements qui auront été testés sur le jumeau numérique d’un patient, confie Luc Soler, président de Visible Patient. Ainsi, le pharmacien ne vendra plus des médicaments avec le même dosage pour tout le monde, mais des médicaments à la composition personnalisée en fonction de chaque patient, produits dans la pharmacie par de nouvelles machines comparables à des imprimantes où les cartouches de couleur seraient remplacées par des cartouches de composants du médicament. »
Mais avant d’en arriver là, la route s’annonce encore longue. « Pour simuler le jumeau numérique d’un corps humain, il faudra être capable de modéliser le phénotype d’un individu et de le combiner avec le modèle 3D du corps du patient, tempère Luc Soler. Or pour faire cela, il faut disposer de puissances de calcul et de stockage qui n’existent pas aujourd’hui pour un usage commercial rentable. La donne pourrait toutefois rapidement changer avec l’apparition des ordinateurs quantiques… »
- Pharma espagnole : 9 milliards d’investissements et une réforme en vue
- Réforme de la facture électronique, mode d’emploi
- Mon espace santé : un guide pour maîtriser l’accès et la consultation
- Fraude à la e-CPS : l’alerte discrète mais ferme de l’Agence du numérique en santé
- Pharmacie de Trémuson : une officine bretonne pionnière en RSE et qualité
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis