La e-santé constitue un formidable relais de marge pour le pharmacien
Les dispositifs médicaux connectés et la télémédecine seraient le fer de lance d’une nouvelle prise en charge des patients. À tort ou à raison ? Quel intérêt pour le pharmacien ? Réponses étayées d’Olivia Grégoire.
« Pharmacien Manager ». Quelles conclusions tirez-vous de la rédaction du livre blanc sur la e-santé que vous avez coordonné pour le think tank Renaissance Numérique ?
Olivia Grégoire. Nous sommes à l’aube d’une vraie révolution. Dans un contexte où la France est confrontée à une problématique de modernisation de ses infrastructures, que ce soit à l’hôpital, en libéral ou dans les Ehpad, les dispositifs et les services médicaux connectés ont vocation à améliorer l’organisation des soins, dans l’intérêt des professionnels de santé et des patients. Or, si la France possède tous les atouts pour devenir le leader européen et mondial dans ce domaine, cela fait maintenant plusieurs années que notre pays a un peu du mal à transformer l’essai.
P.M. Quels sont les freins ?
O.G. L’appropriation de la e-santé se heurte encore au corporatisme relatif de certaines professions de santé, mais aussi à un réel manque de détermination politique. Ce n’est pas, comme on le fait aujourd’hui, en lançant deux ou trois expérimentations en région que l’on parviendra à déployer de manière équitable la e-santé sur l’ensemble du territoire. Nous ne pourrons donc pas faire l’économie d’une véritable politique qui devra s’attaquer à l’évaluation des dispositifs médicaux connectés. C’est en effet leur qualité médicale qui va permettre leur réelle appropriation par les patients et les professionnels de santé.
P.M. Justement, quel intérêt pour ces professionnels de santé ?
O.G. Je vais vous donner un exemple. Pendant une consultation, un médecin généraliste consacre environ sept minutes à la prise de constantes. Le jour où il pourra recevoir sous forme de PDF sécurisé les données de santé mesurées par le patient ou son pharmacien, il pourra mettre à profit ce temps économisé pour instaurer un échange plus humain et consacré à la prévention, à la bonne observance des traitements…
P.M. Faut-il s’attendre à un changement dans le parcours de soins ?
O.G. Absolument ! Au sein du groupe financement de la télémédecine du Syntec Numérique, nous avons cherché à illustrer en 3D le cas de Jean, un malade chronique qui sort de l’hôpital, et celui de eJean, un patient dans la même situation, mais qui est suivi avec des dispositifs médicaux connectés. À la sortie de Jean, c’est son aidant qui doit aller à la pharmacie pour récupérer les médicaments, se débrouiller pour mettre en place un dispositif de maintien à domicile… Pour eJean, le scénario est beaucoup plus simple et confortable. Grâce aux outils connectés, la coordination des soins est presque déjà mise en œuvre à sa sortie. La lettre de suivi et de transmission, ainsi que l’ordonnance ont été envoyées par voie électronique au pharmacien. Quand l’aidant arrive à l’officine, l’ordonnance est déjà prête et le pharmacien peut se concentrer sur la délivrance et le conseil.
P.M. La e-santé est-elle “la” solution contre la désertification médicale ?
O.G. À elle seule, non. Mais en équipant les pharmacies ou les collectivités locales avec des dispositifs de télémédecine, les patients retrouveront un accès à distance aux médecins généralistes comme aux spécialistes.
P.M. Quelles solutions préconisez-vous pour faire bouger les lignes ?
O.G. Nous prônons une évaluation au plan national, avec un dispositif qui soit suffisamment souple en amont afin de ne pas bloquer les innovations. Et qui, en aval, assure un contrôle avec des études en vie réelle pour évaluer l’efficacité des dispositifs médicaux connectés au bout de 18 ou 24 mois. Cette évaluation a posteriori permettrait – ou non – d’entrer dans le champ du remboursement. Nous militons également pour la création d’une plate-forme centralisée des données de santé qui permettrait aux professionnels de santé et aux chercheurs d’avoir accès aux données anonymisées. Nous proposons enfin la création d’une plate-forme de diffusion qui permettrait aux professionnels de santé de consulter les données de leurs patients.
P.M. Quel sera le rôle du pharmacien dans ce nouvel écosystème de santé ?
O.G. Dans notre rapport, nous défendons le principe de la « pharmacie first », comme l’ont fait les Suisses.
Plutôt que d’aller automatiquement chez son médecin généraliste ou à l’hôpital lorsque l’on a un bouton, il serait plus pertinent de se rendre chez son pharmacien en premier qui, si besoin, organisera une téléconsultation avec un dermatologue. Aujourd’hui, les consultations inutiles, transports inclus, coûtent à peu près 40 milliards d’euros chaque année à la Sécurité sociale. Par ailleurs, le pharmacien jouera un rôle moteur dans l’observance, en mettant à la disposition de ses patients des objets et applications connectés afin de vérifier qu’ils prennent bien leur traitement, et dans de bonnes conditions.
P.M. Les officinaux vous semblent-il armés pour endosser ce costume ?
O.G. Non, pas réellement, car ils ne disposent pas vraiment des moyens nécessaires pour exercer ces missions.
Il faudra intégrer la e-santé dans leur cursus. Cette question est fondamentale car les pharmaciens ont encore parfois du mal à appréhender de manière prosaïque ce que la e-santé peut leur apporter. En l’occurrence, elle constitue un formidable relais de marge et un moyen de rétablir une relation de moyen et long terme avec les patients.
Si demain, un pharmacien devient le référent d’un patient sur une application d’observance, celui-ci aura peut-être plus de scrupules à changer de pharmacie.
P.M. Si les pharmaciens ont dû mal à investir le champ de la e-santé, c’est aussi parce qu’ils ne sont pas rémunérés…
O.G. Vous avez totalement raison, et c’est même le nerf de la guerre… Il faut donc imaginer de nouveaux honoraires de dispensation. Des honoraires qui ne viendraient d’ailleurs pas forcément de la Sécurité sociale, mais pourquoi pas… des complémentaires ou des assureurs.
En ce qui concerne le suivi connecté des patients et la télémédecine, je trouverais tout à fait logique que le pharmacien soit, là aussi, rémunéré. Mais à partir du moment où il a démontré que sur son territoire et sur des pathologies chroniques identifiées, il a contribué à améliorer l’observance ou à diminuer le recours aux hospitalisations inutiles. D’où l’importance de mettre en place des indicateurs médico-économiques démontrant l’efficience de sa pratique.
L’INVITÉ
Olivia Grégoire Fondatrice du Cabinet de stratégies d’influence OLICARE
→ Historienne de formation, diplômée de Sciences Po Paris et de l’Essec, Olivia Grégoire a piloté pendant une quinzaine d’année la communication de cabinets ministériels, services publics, agences de communication et entreprises industrielles. Elle a fondé en 2013 Olicare, un cabinet de stratégies d’influence qui accompagne les entreprises impactées par l’innovation.
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