(Dé)confinement et opportunités

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Publié le 23 mai 2020
Par Yves Rivoal
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Pendant le confinement, les officines ont pâti de la chute brutale des consultations médicales et des restrictions de déplacement imposées à la population. Mais toute période de turbulences fait aussi émerger de nouvelles pratiques et opportunités.

D’ici quelques années, on se souviendra peut-être que le confinement imposé pendant la pandémie de Covid-19 a, entre autres, signé le « vrai » départ des téléconsultations à l’officine. Depuis le 17 mars, l’usage explose. « En février, les 400 pharmacies utilisatrices de notre plateforme ont réalisé 800 vidéoconsultations. Fin avril, nous affichions 1 500 officines équipées et plus de 22 500 actes depuis le début du mois », confie Arnault Billy, directeur général de Maiia, la solution de téléconsultation née de la fusion entre Docavenue et RDV médicaux.

Ce boom, Antoine Souied, titulaire de la pharmacie de la Porte Montmartre dans le 18e arrondissement de Paris, l’a observé dans son officine. Il a installé une borne Medadom et bien lui en a pris. « Avant le confinement, je réalisais cinq téléconsultations par semaine. Aujourd’hui, j’en suis à trois par jour pour des renouvellements d’ordonnances ou des pathologies comme les infections urinaires, la conjonctivite ou le zona », confie ce titulaire cofondateur du groupement Leadersanté. Il avance une hypothèse pour expliquer le phénomène : « Ayant un certain âge et une santé fragile, les praticiens à proximité ont préféré se mettre en retrait pendant la période de confinement. Du coup, leurs patients préfèrent venir à la pharmacie plutôt que d’aller aux urgences de l’hôpital Bichat à deux pas. » Cotitulaire avec sa fille Camille Soubieux de la pharmacie de Toury en Eure-et-Loir, François Clouet a, au contraire, vu le nombre de téléconsultations diminuer de 90 actes par mois à une cinquantaine. « Ce n’est pas faute de patients car, dans notre communauté de communes de 8 000 habitants, il n’y a plus qu’un seul médecin. Une partie de mon équipe ayant été touchée par le coronavirus, nous fonctionnons depuis plusieurs semaines en effectif réduit. Ce qui nous a conduits à restreindre les horaires de téléconsultation. Sans cela, nous aurions gardé le même rythme de croisière », assure ce pharmacien qui a réalisé plus de 1 000 téléconsultations depuis qu’il a installé en janvier 2019 la borne Medicitus.

Le scan d’ordonnances décolle

Autre pratique émergente, le scan d’ordonnances. « Avant le 17 mars, nous recevions une ordonnance de temps en temps. Actuellement, 20 % des prescriptions que nous traitons passent par ce canal », précise Katia Haziza, cotitulaire avec sa mère Sylvia Gozlan de la pharmacie Gozlan-Haziza à Achères dans les Yvelines. La moitié arrive par courriel, l’autre moitié via l’application de son groupement Well&well qu’elle propose à ses patients depuis début avril. « Dans la plupart des cas, il s’agit d’une patientèle jeune, qui a pris le pli de la téléconsultation à domicile », précise la pharmacienne. Titulaire de la pharmacie de Barjac, un bourg du Gard de 1 400 habitants, Séverine Barle a vu, elle aussi, le nombre de scans d’ordonnances passer de un ou deux par semaine à une trentaine par jour dont une partie transite déjà via l’application Mediprix que la pharmacienne a adoptée pendant le confinement. Dans les 150 pharmacies qui ont bénéficié du service de scan d’ordonnances mis gratuitement à disposition pendant la crise sanitaire par Valwin, le nombre d’ordonnances envoyées a été multiplié par huit. Des flux également multipliés par cinq ou six chez Christophe Enderlé, installé à Bertry, une commune rurale de 2 200 habitants située à une vingtaine de kilomètres de Cambrai (Nord). « La plupart des gens ont peur de venir à l’officine. Alors, lorsqu’ils acceptent de se déplacer, ils veulent être sûrs que les médicaments seront disponibles et qu’ils n’auront pas besoin de faire la queue pour les récupérer », souligne ce pharmacien adhérent de Pharmactiv. Pour respecter cette double promesse, il a donc décidé de réserver l’un de ses cinq comptoirs au scan d’ordonnances et au plus décevant clic & collect pour la parapharmacie. Ce service peine, lui, à décoller.

Chez Pierre Carpentier, titulaire de la pharmacie Lafayette de Ramonville-Saint-Agne dans la banlieue de Toulouse (Haute-Garonne), le clic & collect ne suscite pas non plus une franche adhésion. « Les flux restent anecdotiques et pâtissent de la chute des ventes en parapharmacie. Les gens se sont recentrés sur l’essentiel : le médicament. » Depuis le confinement, son officine est passée d’une dizaine à une vingtaine de commandes par jour pour des produits d’hygiène basiques, du lait pour enfants, des croquettes pour animaux, etc. A la Grande pharmacie de Paris à Nantes (Loire-Atlantique), sous enseigne Pharmabest, le click & collect a même a été délaissé au profit de la livraison à domicile. « Avant le 17 mars, nous étions sur un rythme d’une trentaine de commandes en clic & collect par semaine et de cinq livraisons à domicile.

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A présent, sur les 500 commandes hebdomadaires que nous enregistrons sur notre site internet et notre application, 95 % sont livrées au domicile », confie le titulaire Teddy Robert.

Le boom des livraisons à domicile

Les livraisons à domicile ont bel et bien décollé avec le confinement. Chez Minute Pharma, le nombre de pharmacies clientes a bondi ces dernières semaines, de 400 à 1 000. Le volume de livraisons quotidiennes est, lui, passé d’une quarantaine à plus de 450. « Des contrats qui étaient en négociation depuis 18 ou 24 mois se sont subitement débloqués. Les pharmaciens se sont rendu compte que ce service constituait une réponse efficace à la crainte des patients de se déplacer à l’officine, observe Samy Layouni, cofondateur de Minute Pharma. Avant le confinement, les livraisons se déroulaient essentiellement dans le cadre d’un renouvellement d’ordonnance chez les patients chroniques âgés ne pouvant plus se déplacer. A présent, nous livrons aussi des produits de parapharmacie de première nécessité, du lait pour bébé, du dentifrice et des brosses à dents à une clientèle composée de mères de famille célibataires et de couples CSP +. » Assurées par une flotte composée à 90 % de deux-roues électriques, les livraisons sont facturées aux pharmacies à partir de 6,60 € HT l’unité.

Pour faire face à la demande, Teddy Robert a dû réorganiser son équipe. Un chef de projet et trois personnes au back office travaillent désormais uniquement à la préparation des commandes issues du site internet et de l’application. Afin d’inciter ses patients à utiliser ce service, le titulaire a décidé de faire un geste commercial. « La société de courses à vélo qui assure une partie de nos livraisons nous facture 4,20 € l’unité. Pendant le confinement et jusqu’au 10 mai, nous n’avons fait payer que 1,99 € aux clients, le reste étant pris en charge par la pharmacie », confie le titulaire. De son côté, le groupement Aprium Pharmacie a enregistré depuis le début du confinement une croissance de près de 1 000 % des commandes sur Aprium Express. Ce service de livraison à domicile de médicaments sur ordonnance opéré par La Poste et sa plateforme de coursiers Stuart est facturé 1 € aux patients. A Barjac, Séverine Barle a, elle aussi, vécu la montée en puissance. Elle est passée d’une ou deux livraisons par semaine à une vingtaine par jour. Ce qui l’a conduite à affecter deux personnes à plein temps à la préparation des deux tournées de livraison quotidiennes. « Ce service offert par la pharmacie est surtout utilisé par les infirmières et nos patients âgés », souligne la titulaire. Son choix de la gratuité est d’ailleurs partagé par la plupart des titulaires interrogés, qui ont préféré assurer eux-mêmes cette prestation plutôt que de la confier à un prestataire externe.

Un coup de pouce « à la marge »

« Le scan d’ordonnances et la livraison à domicile ont contribué à atténuer l’impact de la diminution de la fréquentation qui est passée de 250 clients par jour avant le confinement à 180 », reconnaît par ailleurs Séverine Barle. Une contribution « à la marge » cependant, les volumes générés restant relativement faibles. Vincent Dumenil, cotitulaire avec David Thierry de la pharmacie Martin Pinel à Pont-de-Chéruy dans l’Isère, veut toutefois voir dans cette pandémie un signe pour l’avenir. « Avec le confinement, les gens ont redécouvert leurs commerces de proximité. La prise en charge de nos patients passera effectivement peut-être demain par plus de scans d’ordonnances ou de livraisons à domicile. Mais rien ne remplacera le lien social que l’on tisse au comptoir. »

Des médecins convertis à la téléconsultation

Si le confinement s’est traduit par une hausse significative des téléconsultations à l’officine, les usages dans les cabinets médicaux ont, eux, explosé. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), a révélé lors d’une audition devant les sénateurs qu’un million de téléconsultations ont eu lieu rien que sur la semaine du 6 au 12 avril. A titre de comparaison, la Cnam en avait enregistré 40 000 pour l’ensemble du mois de février. Directeur général de la solution de téléconsultation Maiia, Arnault Billy a vu cette vague monter. « Fin février, nos 4 000 médecins équipés avaient réalisé 11 200 vidéoconsultations. Actuellement, notre plateforme abrite 18 000 praticiens qui, en avril, ont effectué 427 500 consultations. » Arnault Billy est persuadé que cette pratique va s’inscrire durablement et pourrait, à terme, représenter 20 % du volume global de l’activité des cabinets médicaux.

LA VENTE EN LIGNE TIRE SON ÉPINGLE DU JEU

Alors que la plupart des officines ont vu leur activité affectée par le confinement, les douze sites internet regroupés au sein de l’Association française des pharmacies en ligne (AFPEL) enregistrent une croissance de 50 à 70 % de leur chiffre d’affaires (CA). « La vague est arrivée en trois temps, se souvient Cyril Tétart, le président de l’association. Fin février, nous avons ressenti les premiers frémissements, avec une progression des ventes de 10 à 15 %, notamment sur le paracétamol. Après la première intervention d’Emmanuel Macron sur la fermeture des écoles le 12 mars, nous sommes passés à des croissances quotidiennes de 30 à 50 %. Et le week-end des 14 et 15 mars, juste avant l’annonce du confinement, cela a été la folie. A tel point que le dimanche, nous avons vendu sur Lasante.net 2 000 boîtes de Doliprane 1 g. » Depuis ce fameux weekend, la fièvre est quelque peu retombée, reconnaît-il. « Mais nous continuons d’enregistrer chaque jour sur notre site internet plus de 400 commandes alors que nous étions à 230 l’année dernière. Et ce, malgré les soucis logistiques qui nous ont imposé des livraisons en dix jours contre 48 heures en temps normal. »

À RETENIR

– Le confinement a profité aux téléconsultations à l’officine, aux scans d’ordonnances et à la vente en ligne.

– Recommandée depuis le début de l’épidémie chez les personnes âgées et vulnérables, la préparation de commandes et leur livraison est devenue une activité à part entière dans certaines officines, quand d’autres choisissent de déléguer la livraison à domicile à des prestataires spécialisés.

ACTIVITÉ : DES HAUTS ET DES BAS

D’après les données du GERS, les officines ont vu leur fréquentation et leur activité baisser en moyenne de 10 à 25 % depuis le 17 mars. Des chiffres qui masquent pourtant une réalité marquée par d’importantes disparités. « Chez nous, les patients ont continué de pousser les portes de la pharmacie pour renouveler leurs ordonnances ou après une téléconsultation à domicile », souligne Vincent Dumenil, cotitulaire à Pont-de-Chéruy (Isère), qui a vu sa fréquentation passer de 500 à 400 clients par jour et qui observe depuis plusieurs semaines un retour des ordonnances des cabinets médicaux. Christophe Enderlé, titulaire à Bertry (Nord), a constaté une baisse d’activité de seulement 5 %. « Dans le village, tout le monde nous connaît et sait que nous sommes ouverts tout le temps. Et comme nous vendons très peu de parapharmacie, l’impact du confinement s’est révélé au final relativement limité », assure-t-il. Autre profil, autre situation. La baisse d’activité est très marquée chez Teddy Robert, titulaire à Nantes (Loire-Atlantique). « Etant installé dans l’hypercentre, dans une zone piétonnière commerçante, les premiers jours du confinement ont été catastrophiques. Je suis passé de 2 200 clients par jour à 300, et mon chiffre d’affaires (CA) a chuté de 80 % », confie le titulaire qui a été contraint de fermer totalement son espace parapharmacie, faute de clients. A contre-courant, Katia Haziza, cotitulaire à Achères (Yvelines), a vu son CA progresser de 10 %. « N’allant plus travailler à Paris et ne se rendant plus dans les cabinets médicaux, les clients sont venus. »