« TOUTE LIBÉRALISATION DU MARCHÉ SUSCITE DE L’INQUIÉTUDE. »

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Publié le 5 juillet 2014
Par Stéphanie Bérard
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Est-ce le signe d’un mauvais présage de voir les tests de grossesse sortir du monopole officinal ? Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), formule le vœu d’une libéralisation des produits d’automédication… sans pour autant vouloir faire la guerre aux officines.

L’Europe s’intéresse de près aux professions réglementées. Les pharmaciens peuvent-ils craindre la perte, à moyen ou long terme, de leur monopole ?

JACQUES CREYSSEL : Nous pensons que le temps est venu d’élargir la distribution de certains produits. Aujourd’hui, le monopole des pharmaciens est l’un des plus étendus en Europe. Or, l’Autorité de la concurrence a souligné, à raison, dans son avis publié en décembre 2013, que certains produits auraient des prix moins élevés si la concurrence était accrue.

Le monopole des pharmaciens fait écho à une mission de santé publique. Faut-il alors sacrifier cette mission sur l’autel de la libéralisation ?

Ce n’est pas le sujet. Il faut bien comprendre que la libéralisation que nous revendiquons, dans l’intérêt des patients-consommateurs, doit être faite avec une adaptation raisonnable et raisonnée du monopole des pharmaciens. Il est possible de concrétiser cette adaptation avec la création d’espaces dédiés dans la grande distribution, sous la supervision d’un diplômé en pharmacie, et dans le respect des règles déontologiques, comme dans n’importe quelle pharmacie. D’ailleurs, on le voit bien avec la parapharmacie : la présence de points de vente spécifiques en GMS n’a pas ébranlé les officines.

La grande distribution doit donc vendre de tout, médicaments compris ?

Nous pensons que la possibilité de vendre par exemple, dans nos magasins, des tests de grossesse ou des patchs nicotiniques rentrerait dans une mission de santé publique, tout comme pour les pharmacies. Ceci, bien sûr, dans la mesure où cela offrirait une meilleure visibilité à l’ensemble des consommateurs et une baisse logique des prix. Autoriser la distribution encadrée de certains produits et médicaments à une plus large échelle ne peut aller que dans le sens de l’intérêt public.

Cette perspective a tout de même de quoi inquiéter les pharmaciens, dont l’activité subit elle aussi de plein fouet la crise économique…

Toute libéralisation, tout changement, suscite de l’inquiétude. Mais les pharmaciens n’ont pas de raison légitime d’être inquiets, car grâce à la qualité de leur conseil et à leur relation privilégiée avec les patients, ils continueront à avoir une part importante du marché ; les consommateurs continueront donc à faire confiance à leur pharmacien. Ce n’est, en tout cas, pas une raison suffisante pour priver le consommateur de nouvelles possibilités de distribution, de prix et d’amplitudes horaires. L’objectif avoué de cette ouverture du marché est justement de faire baisser les prix. Pourquoi des pharmacies seraient-elles condamnées à mourir parce que la concurrence s’intensifie ? Il ne faut pas accuser par avance la libéralisation d’avoir des répercussions aussi négatives. La vente en ligne de produits de parapharmacie et de médicaments sans ordonnance existe déjà. Des officines pratiquent le low cost, la concurrence sur les prix existe donc déjà ! La vente de ces produits en GMS ne va donc pas tout bouleverser. En revanche, il est clair qu’il faudra que tous les acteurs s’adaptent.

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Quels sont les produits sous monopole officinal qui, selon vous, auraient leur place en grandes et moyennes surfaces ?

Nous revendiquons que puissent être vendus dans les magasins des produits tels que les substituts nicotiniques, les tests et autotests (bandelettes urinaires, tests angines, etc.), mais aussi les médicaments contre les mycoses, et d’autres en automédication. Il est clair que, pour nous, le circuit officinal doit garder le monopole de la distribution des médicaments sur ordonnance.

Justement, comment la FCD se positionne-t-elle sur la vente des tests de grossesse et d’ovulation ? Quel premier bilan en tire-t-elle ?

La FCD s’était déclarée favorable à cette ouverture. C’est une bonne nouvelle pour les femmes, car ce canal de distribution garantit un plus grand anonymat. La plupart des grandes enseignes de la FCD se sont positionnées sur ce référencement. Mais il est trop tôt pour faire un bilan, car nous ne disposons d’aucun chiffre pour le moment.

Que pensez-vous du tournant que prend la profession de pharmacien avec l’arrivée de nouvelles missions ?

C’est une très bonne chose : il est normal qu’une possible libéralisation d’une partie du monopole s’accompagne d’un renforcement du?rôle du pharmacien et de son champ de compétence.

Quels sont les atouts de la GMS par rapport au circuit officinal ? Et, inversement, quels sont atouts de la pharmacie ?

L’avantage de la GMS est incontestablement d’offrir un meilleur prix, une plus large amplitude horaire et un maillage territorial plus étendu. Si nous considérons que cette ouverture à la concurrence s’accompagne d’un service spécifique, il n’y a pas, pour nous, de différence avec le circuit officinal. Ces produits seront distribués dans des espaces de ventes distincts, avec une équipe de diplômés en pharmacie, et un conseil de même qualité que dans le circuit officinal. En cas d’ouverture à la concurrence de certains produits sous monopole, il y aura sans doute un enrichissement réciproque de la GMS et du circuit officinal. Cela suppose toutefois que cette hypothèse recueille, de la part des représentants des officinaux, des avis moins négatifs. Si chacun cherche à défendre son propre intérêt, nous n’avancerons pas. Il faut avant tout penser à l’intérêt de nos clients. Nous souhaitons nous mettre autour d’une table avec les pharmaciens, afin de discuter des possibilités d’ouverture.

Cette ouverture a-t-elle un chance d’aboutir un jour ?

Oui, nous sommes confiants. Les choses évoluent, nous l’avons vu avec les tests de grossesse. L’ouverture à la concurrence fait suite à de nombreuses recommandations d’économistes et ce, à l’échelle internationale. Cela va dans le sens de l’histoire. ?

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)

Il occupe cette fonction depuis 2011après avoir été directeur général du MEDEFet conseiller au Conseil économique et social.

La FCD regroupe des enseignes à prédominance alimentaire, comme Carrefour ou Auchan, et se fait, depuis plusieurs années, le porte-parole d’une libéralisation de produits dits « à la frontière du médicament », et demande une réforme législative sur le sujet.