LA BOUFFÉE DE TROP POUR LES SUBSTITUTS NICOTINIQUES ?

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Publié le 14 décembre 2013
Par Chloé Devis
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Jusqu’alors, les règles étaient claires : d’un côté, l’industrie du tabac, de l’autre le marché pharmaceutique des substituts nicotiniques. La cigarette électronique est arrivée, bousculant les habitudes des consommateurs et les stratégies des acteurs de l’addiction tabagique. Décryptage.

Le marché du sevrage tabagique a sans nul doute été dopé par la hausse du prix des cigarettes et des lois de plus en plus prohibitives à l’encontre du tabac depuis quinze ans en France. Le nombre de patients traités pour l’arrêt du tabac est ainsi passé de 500 000 en 1998 à 2,4millions en 2012, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Mais l’essoufflement se fait sentir : les données d’IMS Health sur les produits antitabac font état d’un chiffre d’affaires quasi stable de 102 millions d’euros en cumul annuel à fin août 2013. Cette tendance globale masque toutefois des disparités importantes. Les timbres transdermiques accusent ainsi une baisse de 6 % en unités et en valeur sur la même période, cédant du terrain au profit des comprimés à sucer, un segment en hausse de 10 % en valeur.

Comme l’explique Guillaume Randhaxe, directeur du pôle de développement « système respiratoire » de Pierre Fabre Santé, qui détient le leader Nicopatch (50 % de parts de marché) et les pastilles Nicopass, « les patchs, qui ciblent le sevrage définitif, constituent le segment le plus soumis aux fluctuations économiques et réglementaires. Les formes orales collent mieux à l’évolution des modes de consommation du tabac reposant sur la réduction progressive de la cigarette et l’abstinence temporaire ». Alors que les gommes à mâcher stagnent, la meilleure progression recensée par IMS Health est le fait du segment des sprays et des cigarettes électroniques. Car, même si en pharmacie il ne représente que 4 % du marché, ses ventes ont bondi (+ 12 % en valeur et + 19 % en volume). Côté sprays, la référence lancée par Nicorette en juin dernier a réussi notamment à s’octroyer « 7 % de parts de marché des substituts nicotiniques en valeur dès le premier mois », annonce Chris Riat, responsable marketing chez Johnson & Johnson.

L’explosion des adeptes de la cigarette électronique

Les e-cigarettes sont en vente libre mais sont officiellement non grata dans les linéaires des officines. Une anomalie qui traduit les difficultés à appréhender les enjeux sanitaires, juridiques et économiques soulevés par ce nouveau produit inventé au début des années 2000 par un pharmacien chinois. L’empire du Milieu reste de loin le premier fournisseur d’un marché mondial en croissance accélérée et dont la spécificité est d’être « porté par la demande », souligne Jeff Lebecque, cofondateur de la marque française Only One Paris, qui a passé au crible le phénomène avant de se lancer sur une niche vierge, l’e-cigarette jetable haut de gamme : « En France, le secteur s’est surtout développé sur le segment de la cigarette rechargeable, via un réseau de boutiques spécialisées en pleine expansion depuis trois ans. Par ailleurs, on trouve désormais des e-liquides made in France. Le nombre d’adeptes de l’e-cigarette devrait atteindre 2 millions d’ici à la fin de l’année, soit 15 % des fumeurs. » Des « vapoteurs » qui, tout en réduisant fortement les risques liés à la cigarette traditionnelle, divisent en outre par huit en moyenne leur budget tabac une fois le dispositif amorti.

L’effet d’aubaine joue aussi pour les revendeurs d’e-cigarettes, qui dégagent des marges bien plus confortables que les cigarettes classiques, comme l’indique le rapport de l’Office français du tabagisme remis en mai par le Pr Bertrand Dautzenberg. Ce marché devrait ainsi rivaliser en taille avec celui des substituts nicotiniques cette année. Son impact est sans équivoque sur les ventes de cigarettes, en baisse de 9 % dans l’Hexagone à fin août 2013 en cumul mobile annuel selon l’OFDT.

Un impact sur les substituts nicotiniques

Mais le statut réglementaire de la nouvelle coqueluche des fumeurs reste problématique. Tout récemment, les députés européens se sont refusés à suivre les positions de la rapporteuse de la directive Tabac Linda McAvan en faveur du classement du produit en médicament, préférant se ranger à l’argument selon lequel restreindre l’accessibilité du produit au réseau officinal serait contre-productif en termes de santé publique. L’e-cigarette est donc toujours considérée en France comme un produit de consommation courante, quoique interdit de vente aux mineurs et de publicité. Le taux de nicotine doit être inférieur à 10mg par cartouche (20mg/ml pour les e-liquides). En outre, les e-cigarettes ne peuvent en aucun cas être présentées comme une aide au sevrage tabagique. « On ne décroche pas avec un produit qui joue sur les mêmes ressorts que l’industrie du tabac tant en termes de gestuelle que de plaisir et d’accoutumance », soutient Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Les détracteurs de la cigarette électronique la voient non seulement comme une incitation à fumer, mais pointent aussi les doutes subsistant sur les effets à long terme de son usage et la traçabilité aléatoire de ses composants.

Cependant, des études sérieuses tendent aujourd’hui à démontrer un réel bénéfice en matière de réduction de la consommation, et même une efficacité durable en ce qui concerne le sevrage. En pratique, note Jeff Lebecque, « il existe des vapoteurs qui cherchent à réduire leur consommation de tabac en alternant les deux types de cigarettes, et d’autres qui, après avoir testé les patchs sans succès, cherchent à se sevrer complètement, tout en restant parfois utilisateurs de l’e-cigarette ». A ses yeux, « il y a donc bel et bien un impact sur le marché des substituts nicotiniques ». Guillaume Randhaxe l’admet : « Sans concurrencer directement les traitements d’arrêt au tabac, la cigarette électronique perturbe le marché de l’arrêt définitif en repoussant cette décision. » Chez GSK, on émet également l’hypothèse que « la baisse plus sensible des ventes de patchs en 2013, et notamment au dernier trimestre, pourrait s’expliquer en partie par l’explosion des ventes de cigarettes électroniques ». De son côté, Chris Riat penche pour une complémentarité des usages : « La décélération du marché des substituts nicotiniques ne s’est pas accentuée avec l’engouement pour l’e-cigarette. » Selon lui, « les substituts nicotiniques disposent encore d’un fort potentiel de pénétration sur le marché français, moins d’un fumeur désireux d’arrêter sur trois ayant recours à ces produits ». Il rappelle à ce titre que « le conseil et l’accompagnement sont décisifs pour le succès de la démarche ».

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33 % des officines vendraient des cigarettes électroniques

Reste donc qu’un certain nombre de pharmacies ont elles-mêmes succombé aux sirènes de la cigarette électronique, en toute illégalité. Dans son rapport remis fin juin au ministère de la Santé, Bertrand Dautzenberg fait un état des lieux saisissant : 33 % des officines proposent au moins une marque d’e-cigarette. Sur le site d’Ed Sylver, une marque de cigarette électronique, on recense plus de 300 pharmacies qui distribuent cette marque en Ile-de-France. Or, l’article L. 5125-24 du Code de la santé publique, qui fixe la liste des produits pouvant être vendus dans les officines, ne comprend pas ce produit. A ce jour… car la décision des députés européens ne préjuge pas de la nature du compromis qui devra être trouvé avec la Commission européenne, promédicament.

Rien n’exclut donc qu’à l’avenir certaines e-cigarettes ne puissent revendiquer une AMM allégée. Les laboratoires pharmaceutiques auraient alors leur carte à jouer. « A nos yeux, à partir du moment où il y a délivrance de nicotine, il y a du sens à ce que ce type de produit prenne place dans un environnement pharmaceutique, avec les garanties que cela implique en termes de qualité, de tolérance, d’efficacité et de pharmacovigilance », fait valoir Chris Riat.

Repères

2007

Apparition de la cigarette électronique en France. Elle a été inventé, au début des années 2000, par un pharmacien chinois, Hon Lik.

Juin 2013

Un amendement est intégré à la loi de consommation interdisant la vente de cigarettes électroniques aux moins de 18 ans

8 octobre 2013

Le Parlement européen décide que la cigarette électronique reste en vente libre. Un avis du Conseil d’Etat, sollicité par la ministre de la Santé, est attendu, notamment sur son interdiction ou non dans les lieux publics.

Le marché des substituts

Il représente 102,2 millions d’euros (+ 0,2 %) pour 4,951 millions d’unités vendues (+ 1 %) à fin août 2013 (en cumul mobile annuel) et comprend quatre segments (1) :

Patchs

41 % de parts de marché (- 6 %).

Gommes à mâcher

29 % de parts de marché (+ 0 %).

Comprimés à sucer

27 % de parts de marché (+ 10 %).

Autres formes (sprays et cigarettes électroniques)

4 % de parts de marché (+ 12 %).

Le marché de la cigarette électronique(2)

• Un marché de 200 millions d’euros. 2,5 à 3 millions de consommateurs réguliers, mais une étude Ipsos (réalisée pour Clopinette) révèle que 10 millions de personnes (soit un Français sur 5) l’ont déjà expérimentée.

• Des marges d’au moins 40 % pour les distributeurs.

(1) Chiffres en valeur en cumul mobile annuel à fin août 2013.

(2) « Les Echos », 2/12/2013.

Les génériques au secours des substituts nicotiniques ?

En dépit du boom de la cigarette électronique, les substituts nicotiniques ne sont pas morts. Loin de là. A tel point que, sur ce segment de marché, les génériques commencent à faire leur apparition. EG Labo est ainsi le premier laboratoire à lancer, depuis le mois d’octobre, la première gamme générique de substituts nicotiniques en gomme à mâcher sous deux dosages (2 et 5 mg) et cinq références (en boîtes de 36 et 108 unités pour les deux dosages, en boîte de 204 unités uniquement pour le dosage à 2 mg), toutes aromatisées à la menthe et sans sucre.

En cours d’inscription au Répertoire, ce générique de Nicorette, leader du marché des gommes, se présente comme une alternative économique pour le consommateur, puisqu’il est lancé à un prix (PFHT) inférieur de 30 % à 50 %.

Pour percer ce marché, EG Labo mise, bien sûr, sur ses prix compétitifs, mais aussi sur un environnement porteur : hausses du prix des cigarettes, dernière campagne antitabac de l’INPES lancée mi-octobre, disposition du PLFSS 2014 de tripler le forfait de prise en charge par l’assurance maladie des substituts nicotiniques (soit 150€) pour les jeunes âgés de 20 à 25 ans… « Nous espérons prendre 10 % du marché, en volume, fin 2014 », ambitionne Thierry Simon, directeur des opérations chez EG Labo.

François Pouzaud