Des bulles au carré

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Publié le 1 octobre 2010
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Au comptoir ou dans son atelier, pour les préparations magistrales comme pour ses savons traditionnels, Sophie Villanueva adopte la même conduite. La rigueur côté méthode, la sincérité côté contacts.

Fondant ou caramel ? Ni l’un ni l’autre. « Dès que la pâte atteint l’onctuosité d’une crème dessert, je la verse dans le moule. » Voilà la recette que Sophie Villanueva applique dans sa savonnerie, créée en janvier 2009, à Bagnoles, dans l’Aude. Une activité choisie par passion et menée avec raison. Un reportage télévisé sept ans auparavant sur une fabrique de savons bio a suffi pour qu’elle se lance à son tour.

Amateur, oui, amateurisme, non. « Du savon en paillettes, un parfum à saturation, des fleurs incrustées…, très peu pour moi. » Sophie vise des savons de soin, élaborés selon des normes bio. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé lui fournit la réglementation. Pour les formules, son exigence la guide vers Des odeurs, des parfums et des cosmétiques (dans son édition de 1877), de Septimus Piesse, chimiste-parfumeur à Londres. « C’est ma bible, même si, faute de produits, certaines préparations sont de nos jours difficiles à réaliser. » Elle passe à la pratique, chez elle, avec un matériel spécifique et toujours la préoccupation de la sécurité. « Je n’aurais jamais pris le risque d’utiliser des casseroles servant à préparer les repas. » Dans la cuisine familiale, elle teste les mélanges et les dosages. Ces jours-là, l’odeur des huiles essentielles envahit la maison. « J’ai mis à contribution toute ma famille ; mes filles, huit et six ans à l’époque, ont été mes premiers cobayes ! Ma cadette croyait que seuls les savons du commerce pouvaient laver. » Petit à petit, les savons remplissent les étagères et chassent les bibelots, dans l’attente du verdict du temps. Car beau et bon savon ne suffit pas, encore faut-il qu’il garde ses qualités pendant trois ou quatre ans.

Une saponification bio. Sous l’œil expert de Sophie, le corps gras est mixé avec une solution de soude pendant deux heures. La saponification est naturelle, à froid, la garantie d’obtenir un savon nourrissant et hydratant. Puis, elle verse le mélange dans des moules en bois, fermés de douze à vingt-quatre heures. La saponification commence. À l’ouverture, la pâte a la consistance du beurre. Sophie coupe, à la main, les trente-six savons de cent vingt-cinq grammes que contient chaque moule. Cette étape ne souffre aucun délai, « une heure trop tôt, c’est trop mou, une heure de retard, et les blocs ne peuvent plus être débités ». Enfin, l’affinage à l’air. Pas moins de quatre semaines pour assurer la stabilité du savon. C’est avec la même détermination méthodique déployée dans la fabrication que Sophie a créé la savonnerie Quillaya sous le label bio Nature et Progrès, l’un des plus exigeants. « Quillaya est le nom scientifique du bois de Panama à l’écorce saponifère. » Olive ou argan, les huiles qu’elle emploie sont toutes bio, de même que les huiles essentielles. « Palma rosa, petit grain bigaradier…, je les sélectionne pour leurs vertus en dermatologie, comme celle de romarin, aux propriétés antiseptiques. » La première année, elle vend sa production de huit cents savons sur place et dans des foires, là où elle peut rencontrer et conseiller les acheteurs. Le reste est écoulé dans une biocoop (coopérative bio) et sur Internet. « Produire à n’importe quel prix pour vendre ne m’intéresse pas. Mon objectif n’est pas de voir à ma porte un semi-remorque charger des palettes de savons. » Faire partie du petit cercle des huit savonneries à froid officiellement répertoriées en France suffit à sa fierté.

Une organisation au service des autres. « Je retrouve dans la rigueur et la précision de la fabrication des savons les exigences du travail de préparatrice, qui m’avait immédiatement séduite. » Entrée en BP pour satisfaire sa curiosité « pour le médical » à la sortie du lycée, Sophie se passionne pour la chimie, les formules et le souci d’exactitude lors de son apprentissage. « Toute une journée à faire des préparations magistrales me ravissait. » Aujourd’hui, la jeune femme jongle avec les contraintes et concilie ses horaires à la pharmacie avec les impératifs de la savonnerie. L’organisation est son maître mot. « Je note tout ce que je dois faire, pour tenir mes engagements et ne rien oublier. » Le cahier des charges de sa vie est bien rempli. Son équilibre consiste à le suivre tambour battant en conciliant ses deux activités qui apportent à cette « hyperactive » les contacts et les échanges, moteurs de son existence. Le conseil et l’écoute sont les autres versants de son intérêt pour le métier de préparatrice, qu’elle pratique depuis plus de dix ans.

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De l’Aude à la Bolivie. « La savonnerie m’a ouvert les portes d’un monde de passionnés engagés pour une production raisonnée. » Élaborer un produit de qualité et instaurer une relation de confiance avec les acheteurs apportent à Sophie sa première satisfaction. Les savons préparés artisanalement dans son petit atelier de village, au pied de la Montagne Noire, l’ont conduite beaucoup plus loin qu’elle n’aurait osé l’imaginer. Jusqu’aux hauts plateaux de Bolivie. En novembre 2009, grâce à l’association Minga, qui œuvre pour une construction économique équitable et solidaire, et à l’ambassade de Bolivie en France, elle est partie présenter son expérience à des femmes boliviennes. Une rencontre passionnante. Un deuxième voyage est prévu en fin d’année. « Je pars leur apprendre la saponification à froid », se réjouit-elle. « Comprendre d’autres réalités de vie, m’impliquer dans ces relations humaines, partager mon savoir-faire, tout cela me procure un immense bonheur. » Ce qui vaut à ses yeux bien plus que le calcul de bénéfices sur un savon.

Sophie Villanueva

Âge : 36 ans.

Formation : préparatrice en pharmacie.

Lieu d’exercice : Conques-sur-Orbiel (Aude).

Ce qui la motive : les contacts humains et l’ouverture au monde.

Portrait chinois

• Si vous étiez un végétal ? Le quinoa, pour nourrir ceux qui ont faim. Cette céréale symbolise la terre nourricière et me rappelle cette aventure d’ouverture au monde lors de mon voyage en Bolivie.

• Une forme galénique ? Une forme lyoc ou injectable, à action rapide parce que je suis très active, impatiente. Depuis que je ne fume plus, toutes mes activités me permettent de compenser et de retrouver un souffle. J’ai peu besoin de repos.

• Un médicament ? Un « médicament-agenda ». Je suis obligée de tout noter pour organiser mes multiples activités sinon j’oublie.

• Un dispositif médical ? Un corset pour sa structure ou droiture. Personne ne devrait s’incliner ou se rabaisser devant un autre, quels que soient son origine ou son statut social. Tout le monde peut rester digne.

• Un vaccin ? Contre la passivité. Les gens qui se contentent de peu et ne sont pas exigeants envers eux-mêmes m’irritent.

• Une partie du corps ? Le cerveau. Je suis très sensible à la dégradation intellectuelle. J’ai besoin de tout maîtriser. L’idée de perdre mes capacités et ma mémoire me fait peur.