Un enjeu capital

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Publié le 29 novembre 2008
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La perspective d’une ouverture du capital des pharmacies aux chaînes et aux investisseurs divers amène les répartiteurs à abattre leurs cartes. A commencer par les CERP. Des grandes manoeuvres qui ont pour toile de fond une récession du secteur.

La volonté de la Commission européenne de déréguler le secteur de la pharmacie a mis toute la distribution sur le pied de guerre. Si Alliance Healthcare et Celesio, premières chaînes européennes, attendent le feu vert de Bruxelles pour se lancer à l’assaut des officines françaises, les grandes manoeuvres ont déjà commencé du côté des CERP proposant à leurs sociétaires une alternative coopérative qui leur permettrait de rester compétitifs tout en perpétuant l’exercice libéral et indépendant.

Tout s’est en fait précipité dès l’annonce, au début de l’été, de la décision de la CERP Lorraine de vendre son activité de répartition à Phoenix Pharma, numéro 2 européen mais seulement numéro 4 du marché français. L’opération a été officialisée en octobre et a donné naissance à un nouvel acteur d’envergure nationale avec près de 10 % de parts de marché. Cette annonce de la reprise en bloc des 14 établissements de répartition a ébranlé les autres CERP qui auraient préféré que cette activité reste dans le giron des coopératives au lieu de tomber dans celui d’un répartiteur européen à visée capitalistique.

Non seulement la CERP Rouen ne lâche pas son activité de répartition, mais elle compte bien rayonner sur quasiment tout le territoire avec l’ouverture de nouveaux établissements dans le Centre, le Nord-Est et le Sud-Ouest, portant sa présence demain dans 67 départements. Le groupe a également forgé une réponse aux chaînes en lançant à la rentrée un réseau de pharmaciens entrepreneurs indépendants fondé sur le modèle du commerce associé. Par la mutualisation des moyens et des compétences, ce réseau entend rester un maillon fort du modèle de santé français. Pour véhiculer les nouvelles valeurs du premier groupe coopératif de pharmaciens associés en Europe (né du rapprochement avec son homologue allemand Sanacorp, au sein de Millenium), la CERP Rouen a changé de nom pour devenir Astéra le 1er octobre dernier.

L’intégration de l’amont, c’est parti !

La valse des noms continue. Défait de ses activités de répartition, le groupe CERP Lorraine est devenu le groupe Welcoop. Ce changement signe aussi l’entrée dans une nouvelle ère pour les officinaux qui se voient proposer un autre modèle économique annoncé également comme garant de leur compétitivité et de leur indépendance. Mais, dans cet autre schéma coopératif, offrant un back-office de services et d’aides au point de vente (sans logistique mais organisé en trois pôles : l’informatique et la gestion, le conseil et l’organisation et l’offre produits), la dimension capitalistique et la possibilité d’intégration verticale sont beaucoup plus présentes. A la menace de l’ouverture du capital aux chaînes et investisseurs de tous poils, Welcoop répond par l’ouverture de son capital et de celui de sa filiale opérationnelle Welcoop Pharma en donnant les moyens aux 23 000 officines d’être propriétaires de leur fournisseur : le pharmacien perçoit des dividendes coopératifs proportionnels à ses achats et selon son investissement en actions. L’ère du capitalisme est donc clairement ouverte, même si les esprits chagrins voient dans ce montage financier, et notamment dans l’obligation qui est faite pour devenir associé coopérateur d’acquérir la version intégrale du logiciel de gestion à portail intégré (LGPI), les prémices d’une chaîne.

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Sur le terrain économique, le nouvel arrêté de marge et l’application de la loi Chatel sur la politique des achats directs coûtent cher à la répartition. Sur les neuf premiers mois de 2008, sa fragilisation s’est encore accrue par rapport aux ventes directes qui ont augmenté de 4,23 % en valeur, tandis que dans le même temps son CA sur le médicament remboursable en ville n’a augmenté que de 0,88 %. Le plus faible score enregistré par un répartiteur, juste derrière la pharmacie (+ 0,91 %).

La répartition ne doit sa croissance qu’à la reprise en main du marché des génériques (+ 29,12 %). « Nous avons récupéré des flux sur cette catégorie de médicaments car nous sommes en situation de négocier avec les génériqueurs, ce qui n’est pas le cas avec le médicament princeps », explique Emmanuel Déchin, secrétaire général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique.

Des ressources en constante diminution

Concernant la marge, la dégradation est encore plus préoccupante selon les grossistes. Après paiement de la taxe ACOSS, elle baisse de 4 % en valeur sur la même période de 2008 (vs – 0,79 % pour l’officine et + 1,42 % pour les ventes directes).

Sur l’année 2007, les ressources des répartiteurs avaient été amputées mais à un degré moindre (- 0,67 % vs + 1,81 % en officine et + 7,15 % pour le direct). « Depuis deux ans, ce sont les répartiteurs qui souffrent le plus, affirme Emmanuel Déchin. Avec une marge nette de 4,5 %, ils continuent à assurer leurs obligations de service public, mais si elle tombe en dessous ils ne le pourront plus. Il n’y a plus de gras à prélever chez les grossistes ! »

Alors que les exigences des industriels et de l’Etat en matière de traçabilité et de transparence s’accroissent, l’équation économique sera de plus en plus difficile à tenir pour la répartition. « Nous ne demandons pas une révision à la baisse de nos obligations mais souhaitons une réaffirmation de notre rôle et de nos missions. La répartition a un outil logistique extrêmement efficace, de qualité et peu coûteux, il faut donc l’optimiser et l’utiliser pleinement. Il est essentiel, pour maintenir un équilibre économique, de trouver avec les industriels une solution pour les soulager d’une activité de distribution qui n’est pas leur coeur de métier. »

L’objectif de la profession est clairement affiché : regagner les flux partis vers d’autres canaux en faisant valoir le savoir-faire et la qualité de service.

trois questions à Yves Kerouedan, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique

Le rachat par Phoenix Pharma de l’activité de répartition de la CERP Lorraine va-t-il modifier le paysage français ?

Non, ni d’ailleurs les parts de marché des autres acteurs. C’est un nouveau mouvement de concentration comme la profession en a déjà connu et en connaîtra peut-être encore. Pour autant, je ne pense pas qu’il apportera de changements majeurs tant en amont qu’en aval.

Quels sont, selon vous, les changements majeurs qui risquent d’affecter ce marché dans les années à venir ?

Là encore, le marché ne va pas changer massivement, sauf si le modèle du « direct-to-pharmacy » initié par Pfizer au Royaume-Uni se généralise en Europe et en France. Outre-Manche, ce grand laboratoire a choisi de confier la distribution de ses produits à un ou deux circuits. Il est certain que les structures du marché français et le statut de distributeur en gros seraient bouleversés par cette nouvelle activité si demain Pfizer, qui pèse 7 % du chiffre d’affaires de la répartition, donnait également dans notre pays l’exclusivité de son portefeuille à un seul logisticien, fût-il répartiteur ou dépositaire. Et si, bien sûr, d’autres grands laboratoires étaient tentés par l’expérience. L’autre événement susceptible d’avoir des conséquences majeures sur la répartition en France est l’ouverture du capital officinal à des capitaux non professionnels.

Justement, dans ce contexte de dérégulation, quels nouveaux modèles peuvent proposer les répartiteurs pour s’adapter aux mutations de demain ?

Le choix de tel ou tel modèle ne relève pas de la CSRP, qui reste neutre en la matière. Il appartient à chaque répartiteur de s’adapter à l’ouverture du capital en fonction de sa philosophie et de ses stratégies. De même, les pharmaciens choisiront un modèle d’organisation approprié à leurs aspirations professionnelles et personnelles. On peut distinguer quatre types de réponses pour l’avenir : rester indépendant, vendre à une chaîne, rallier une franchise pour bénéficier de certains moyens pour développer son activité ou opter pour le commerce associé, lequel permet, par la mise en commun des outils et des savoir-faire, de se donner les mêmes moyens que les chaînes, tout en préservant son indépendance