Vite un antidote !

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Publié le 29 novembre 2008
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Elle tue mais elle rapporte gros. En une vingtaine d’années, la contrefaçon est devenue une plaie pour la planète. Et les moyens de lutte déployés jusqu’à présent n’auront pas suffi à effrayer les criminels. Conscients de l’ampleur du problème, tous les acteurs de la santé mettent aujourd’hui les bouchées doubles, qu’elles soient technologiques, politiques ou juridiques, pour en venir à bout. Les contrefacteurs ont une longueur d’avance mais rien n’est encore perdu.

Environ 20 % de la population mondiale dispose de 80 % de la production mondiale de médicaments. Les 80 % restants n’ont donc pas ou peu accès au médicament. Ajoutez un prix élevé et une couverture sociale aléatoire, voire en berne. Saupoudrez d’un arsenal pénal léger. Arrosez de larges bénéfices. Accompagnez d’une atomisation des circuits de distribution. Sans oublier la pincée d’Internet. Vous détenez la recette parfaite de la contrefaçon. Facile ? Oui. Tellement facile que les saisies douanières de médicaments ont augmenté de 51 % l’année dernière par rapport à 2006 aux frontières de l’Union européenne : plus de 4 millions d’articles ont été confisqués. La Suisse, l’Inde et les Emirats arabes unis sont les premiers « exportateurs» en cause avec, respectivement, 40, 35 et 15 % des quantités totales de faux médicaments saisis. Mais que fait la police ?

Les premiers signalements datent de 1985, mais la définition de médicament contrefait n’a vu le jour qu’en 1992. Les autorités, comme les industriels, ont mis du temps à percevoir l’ampleur de ce qui relève aujourd’hui du crime organisé.

Une mobilisation trop tardive

Dépassés par un phénomène qui aura évolué beaucoup plus rapidement que leur prise de conscience, ils se sont enfin mobilisés. On ne compte d’ailleurs plus aujourd’hui le nombre d’organisations créées pour lutter contre la contrefaçon : l’Institut de la sécurité pharmaceutique en 2002 et ses 26 compagnies pharmaceutiques membres ; l’Unité des enquêtes spéciales dépendant de l’Afssaps, créée la même année ; le BASCAP (Business Action to Stop Counterfeiting and Piracy) en 2004, une émanation de la Chambre de commerce internationale ; le groupe IMPACT (International Medical Products Anti-Counterfeiting Taskforce) au sein de l’OMS en novembre 2006 ; l’Alliance européenne pour l’accès à des médicaments sûrs en 2007, pour ne citer qu’eux. Interpol et l’Organisation mondiale des douanes ont aussi pris le problème à bras-le-corps.

Des accords commerciaux anticontrefaçon sont signés, des congrès et conférences se multiplient sur le sujet à travers le monde, les campagnes de sensibilisation du grand public comme des professionnels aussi, les rapports pleuvent, les recommandations gouvernementales, industrielles, internationales, européennes et nationales ne manquent pas. Pourtant, les saisies de contrefaçons de médicaments sont de plus en plus impressionnantes… Logique, les contrefacteurs, entre-temps, se sont industrialisés ! Dernier exemple en date : l’Institut national de la propriété industrielle – qui possède lui aussi un réseau international d’une quarantaine d’experts se consacrant à la lutte contre la contrefaçon – fait mention d’une saisie record de médicaments contrefaits à l’aéroport de Bruxelles à la fin du mois de septembre. II s’agirait de la plus importante saisie jamais effectuée en Europe : trois cargaisons en provenance d’Inde et à destination du Maroc, d’où elles devaient être envoyées au Togo ! Elles contenaient plus de 2 millions de comprimés de Tramal, un analgésique de Grünenthal, et de Fansidar, l’antimalaria de deuxième génération de Roche. A croire qu’une coopération internationale, certes tardive, n’effraie pas outre mesure les contrefacteurs.

Les labos jouent au Cluedo

Il s’agit donc aujourd’hui de passer à la vitesse supérieure. Suivant l’adage selon lequel on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, les laboratoires pharmaceutiques mènent désormais leurs propres enquêtes. Sanofi-Aventis s’est ainsi adjoint les services d’un ancien préfet et directeur central de la police judiciaire, qui dirigea également le bureau central national d’Interpol France. Jacques Franquet coordonne aujourd’hui pour le compte du n° 1 européen un réseau de spécialistes, originaires des services de police, de renseignement et des douanes, répartis dans le monde entier.

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Ces détectives du médicament achètent les produits suspects en pharmacie ou directement sur Internet, produits que le laboratoire central anticontrefaçon de Sanofi-Aventis, sis à Tours, analysera ensuite. Le laboratoire sera alors en mesure de fournir aux douanes toutes les informations nécessaires à l’identification des réseaux de contrefacteurs, pour ensuite délivrer à la justice des « éléments constitutifs » qui permettront le démantèlement de ces filières. « C’est un moyen d’aller très vite », pense Jean-François Dehecq, président de Sanofi-Aventis. Et l’on sait que le temps, c’est aussi de l’argent…

Data Matrix, le super-héros qu’il nous faut

La guerre contre la contrefaçon se mène aussi sur le plan technologique. Les laboratoires développent chacun leurs propres protections au niveau des conditionnements. Encres à réflexion variable, hologrammes, marqueurs chimiques, images cachées, étiquettes de sécurité… Tout est bon pour, d’une part, rendre la copie plus difficile et, d’autre part, faciliter l’authentification du médicament. Le marquage RFID (radio-frequency identification) permet quant à lui une lecture à distance des informations contenues dans une puce électronique placée sur chaque unité de vente.

A terme, tous les lots européens bénéficieront du marquage Data Matrix. Ce nom cache une technologie à base de codes-barres 2D qui permettra d’assurer la traçabilité de chaque boîte de médicament jusqu’à la délivrance au patient par le pharmacien d’officine. Il comprend notamment un code CIP à 13 chiffres (dit « EAN 128 ») qui se substituera à l’actuel code à 7 chiffres à compter du 1er janvier prochain. Mais Data Matrix inclura aussi le numéro de lot et la date de péremption. Ce « numéro séquentiel permettra lors de la dispensation en officine, par simple scan du code-barre, de faire remonter les informations à la base de données initiale et de vérifier » la boîte en question, indique Frédéric Bourgeois, un correspondant industriel de Sanofi-Aventis. « Une phase pilote sera lancée début 2009 dans les pharmacies allemandes avec l’ambition, d’ici quelques années, d’étendre le dispositif à toute l’Europe », poursuit Frédéric Bourgeois.

En 2011, tous les lots devront être « data-matricisés ». Les opérateurs industriels et les pharmacies ont donc trois ans devant eux pour adapter leurs chaînes de conditionnement et leurs systèmes informatiques.

Un bouclier législatif renforcé

Troisième et dernier volet de l’arsenal anticontrefaçon : une politique volontariste. En France, la loi dite de lutte contre la contrefaçon a été adoptée en octobre 2007. Cette transposition de plusieurs textes communautaires, dont la directive européenne d’avril 2004 sur le respect des droits de propriété intellectuelle, durcit la législation et sanctionne plus sévèrement les contrefaçons de médicaments, désormais assimilées à une circonstance aggravante. Elle permet également au laboratoire d’engager une procédure d’urgence dans la simple « hypothèse d’une atteinte imminente », nous explique Marianne Schaffner, associée en propriété intellectuelle et qui dirige l’équipe Propriété intellectuelle du cabinet d’avocats d’affaires international Linklaters à Paris.

La nouvelle loi modifie par ailleurs le mode de réparation de la victime : « Autrefois calculée selon la marge du titulaire du brevet, la perte subie l’est désormais selon les bénéfices du contrefacteur. Il est sinon possible d’appliquer une redevance indemnitaire sur le chiffre d’affaires du contrefacteur à un taux suffisamment élevé pour être dissuasif ! » Enfin, « le préjudice moral lié à l’atteinte à la propriété est désormais consacré », poursuit Marianne Schaffner, pour qui cette loi représente « une avancée suffisante sur le papier. Reste à savoir comment les tribunaux l’appliqueront, d’autant que les tribunaux spécialisés n’ont pas encore été désignés. Aujourd’hui, des divergences jurisprudentielles existent. Nous avons encore du pain sur la planche ».

Neuf pays signent la Déclaration de Cannes

Quid alors des sanctions pénales, qui prévoient jusqu’à 500 000 euros d’amende et cinq ans de prison ? « Je n’ai jamais vu ce genre de peine à l’encontre d’un prévenu. Cela ne fait pas partie des priorités des tribunaux au fond », assure cette juriste, qui rappelle d’ailleurs l’objectif d’harmonisation qui prévaut au sein de l’Union européenne : la directive pénale européenne adoptée en avril 2007 tend à prévoir des peines largement inférieures à celles édictées par la France.

Autre hic, et non des moindres : la nouvelle loi de lutte contre la contrefaçon ne prévoit aucune mesure spécifique au commerce électronique, pourtant un des principaux vecteurs du trafic ! Espérons que le plan européen global de lutte contre la contrefaçon et le piratage préparé par la présidence française et adopté le 25 septembre par les membres de l’Union fera mieux. Afin de renforcer et mieux coordonner l’action en matière de lutte contre la contrefaçon, il prévoit notamment la création d’un « observatoire européen de la contrefaçon ». Appuyé sur les structures existantes, il pourrait permettre de réunir les données des secteurs public et privé et ainsi de procéder à leur analyse de manière plus précise.

Le plan global prévoit également des actions renforçant la lutte contre la contrefaçon sur le plan international. Dans la foulée, et avec le même objectif, neuf pays méditerranéens ont signé le 27 octobre la Déclaration de Cannes. Cette déclaration, qui réunit la Bulgarie, l’Espagne, la France, l’Italie, le Maroc, le Portugal, la Roumanie, la Tunisie et la Turquie, vise à mieux coordonner la lutte anticontrefaçon, poursuivre le travail de sensibilisation des consommateurs, en particulier sur les salons professionnels et dans les zones touristiques, et renforcer la répression envers les contrefacteurs et leurs distributeurs, notamment sur Internet.

Que de belles idées couchées sur papier. En attendant, la contrefaçon de médicaments continue de tuer un peu partout. Enhardie par les facilités que lui offre le « world wide web », elle pourrait toquer à la porte d’un pays dont la chaîne de fabrication et de distribution du médicament est strictement contrôlée et qui se prévaut d’être l’un des derniers défenseurs du monopole pharmaceutique. Souhaitons qu’il ne s’agisse pas du nôtre…

Les Suisses à l’abordage

Les pharmaciens suisses ont pris l’initiative de sensibiliser leurs patients aux risques de la contrefaçon de médicaments. Le 25 octobre dernier, 522 officines ont organisé une journée d’action baptisée « Stop piracy », sur une initiative de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle et d’ICC Switzerland, le Comité national suisse de la chambre de commerce internationale. Elles ont proposé à leurs clients de contrôler gratuitement les médicaments qu’ils ont achetés sur Internet. 53 échantillons ont déjà été analysés par Swissmedic (sildénafil, tadalafil, finastéride, Valium, DHEA…). La moitié s’est révélée insuffisamment ou trop dosée en principe actif. Ruth Mossimann, de Swissmedic, regrette toutefois que seuls 30 pharmaciens aient été consultés par les patients pour l’étude, malgré un fort battage médiatique. Elle espère néanmoins que cette expérience donnera des idées aux pharmaciens français.

Faux sur toute la ligne !

L’Alliance européenne pour l’accès à des médicaments sûrs a mené sa petite enquête sur le web. Elle a analysé une centaine de sites pharmaceutiques auprès desquels elle a acheté des produits à prescription médicale obligatoire, qu’elle a ensuite également analysés : Cialis, Levitra, Viagra, Propecia, Lipitor, Plavix, Coversyl, Zyprexa, Effexor, Risperdal, Aricept et bien d’autres.

Les résultats de son étude, rendus publics cet été, confirment que se fournir sur Internet est simple et rapide ! Mais ils révèlent aussi que 62 % des médicaments achetés étaient une contrefaçon ou une malfaçon. Dans plus de 9 cas sur 10, la pharmacie virtuelle n’était absolument pas associée à un pharmacien « physique », pourtant nommé, et, dans plus de 8 cas sur 10, elle n’était pas non plus reliée à une pharmacie existante « physiquement ».

Plus de 90 % des sites ne réclamaient pas l’ordonnance. Et, cerise sur le gâteau, cinq des commandes passées ont été livrées avec un « extra » : un échantillon gratuit de… Viagra !