TROIS PARADES POUR NE PAS PERDRE
Et si les médicaments OTC étaient un jour vendus dans les grandes surfaces ? Un scénario catastrophique. Mais, s’il se réalisait, les pharmaciens peuvent disposer de moyens pour rebondir.
Comment les pharmaciens pourraient se préparer à la vente des médicaments sans ordonnance en grande surface ? La question peut paraître incongrue, puisque Marisol Touraine a récemment réaffirmé sa volonté de maintenir le monopole pharmaceutique pour l’OTC. Mais elle taraude nombre de titulaires après l’adoption par le Sénat de la vente des tests de grossesse et d’ovulation en GMS et le prérapport de l’Autorité de la concurrence, présenté le 10 juillet dernier, qui s’interroge sur la distribution des médicaments d’automédication.
Aucun pharmacien n’est favorable à une sortie de ces spécialités du monopole pharmaceutique. Mais la peur n’évite pas le danger. « La vente de médicaments OTC en grande surface est un risque qui peut devenir une réalité. La profession n’anticipe pas suffisamment cette situation qui représente une véritable menace pour nous », estime Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). « Je me battrai jusqu’au bout contre une telle éventualité, mais comment ne pas imaginer que cela ne puisse pas arriver ? Nous ne sommes pas à l’abri d’un vent de libéralisme », déclare Lucien Bennatan, président du groupe PHR.
Pouvoir communiquer comme la GMS
De fait, certains groupements ont déjà réfléchi au sujet et à des possibles stratégies. La communication serait déjà un préalable aux actions des pharmaciens. « La grande distribution communique depuis des années sur l’accessibilité ou le prix d’un produit. Pourquoi ne le ferait-elle pas sur un médicament OTC, qu’elle considère comme un produit comme les autres ?, explique Pascal Louis. La profession ne communique ni sur la mission de conseil de notre métier, particulièrement recommandée pour une automédication responsable, ni sur la formidable accessibilité à nos produits que représente notre maillage territorial. Il est indispensable de le faire. Les groupements, comme les pharmaciens, doivent obtenir le droit de communiquer. Nous devons absolument faire entendre notre voix et informer sur la pertinence de notre réseau officinal. » Lucien Bennatan revendique aussi ce droit : « Se battre contre les grandes et moyennes surfaces avec la bouche bâillonnée et les mains ligotées, c’est du suicide ! »
Les prix paraissent être le deuxième critère à prendre en compte. C’est d’ailleurs l’un des éléments mis en avant par le gouvernement pour la vente des tests de grossesse en grande surface. Pascal Brossard, président de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA), est formel : « Les prix français de l’OTC sont les plus faibles. L’Observatoire européen montre que, sur huit pays, la France est toujours le pays le moins cher ou le deuxième moins cher. En France, la moyenne des prix est de 4,50 euros contre 5,20 euros en Europe. Il n’y a pas de problème de prix ».
Accroître la concurrence entre officines
Au-delà du prix, c’est l’écart entre les tarifs dans les officines qui est également mis à l’index par les consommateurs et l’Autorité de la concurrence. Lors du 3e Forum de l’automédication, organisé par l’AFIPA le 18 septembre dernier, Gérard Becher, administrateur de l’UFC-Que Choisir, s’est ainsi plaint du manque de visibilité des prix des médicaments d’automédication en officine et des écarts de prix constatés d’une pharmacie à l’autre : « Le prix pour un même produit peut varier dans un rapport de 1 à 4. » Jean-François Derré, directeur du business development chez Celtipharm, qui a réalisé une étude pour l’AFIPA, a affirmé qu’au contraire « les écarts entre les pharmacies se sont réduits de moitié depuis dix ans ». Pour autant, Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre et présente au 3e Forum de l’automédication, a souhaité une réduction plus forte des dispersions de prix entre les officines. « Si ce problème n’est pas résolu, au bout d’un moment, la profession ne pourra plus tenir le monopole », a-t-elle mis en garde. La mise en place d’un corridor de prix, évoqué notamment par la FSPF, suscite l’opposition de Pascal Louis et de l’AFIPA. « Je suis contre un corridor de prix et contre les prix discount. L’écart de prix est légitime, après il faut qu’il soit acceptable. Nous avons toujours souhaité un prix de marché qui s’établisse naturellement et soit raisonnable pour le pharmacien et le patient », souligne le président du CNGPO. La concurrence entre officines existe déjà. Toutefois, des efforts restent encore à fournir en matière de prix et de qualité des soins. » Et de constater : « Il est anormal que certains laboratoires refusent encore de négocier avec les groupements. Les laboratoires doivent fournir un effort, et nous aussi, sur les coefficients multiplicateurs. Il doit y avoir une marge correcte. Il faut accroître la concurrence et la rendre plus transparente. » Lucien Bennatan partage ce constat : « L’industrie de l’OTC surfe sur la vague de l’officine parce que les groupements et les pharmaciens acceptent leurs conditions sans broncher. Il est vrai que si les produits se retrouvaient en GMS, les négociations seraient plus ouvertes… »
Les groupements peuvent aussi distribuer des produits sous leur marque. « Les groupements et les pharmaciens s’engageront sur des marques avec des référencements réduits. Dans leurs rayons, ils mettront le produit leader et le produit de marque de distributeur. Ils auront ainsi une réduction de leurs stocks et une amélioration de leur marge », imagine le président du groupe PHR à partir des exemples étrangers où l’OTC est vendu dans la grande distribution. « Les groupements doivent développer la notion d’enseigne et ainsi être identifiés à des produits à la marque », observe de son côté Pascal Louis. Lucien Bennatan prône aussi un espace de libre accès plus important au sein de la pharmacie.
Développer un conseil formalisé
Et le conseil du pharmacien ? l’AFIPA y tient plus que tout. Et a même proposé, dans le cadre des travaux du Comité stratégique de la filière santé, un développement du conseil et des outils de dispensation comme par exemple des arbres décisionnels et un questionnaire validés par la Haute Autorité de santé intégrés aux logiciels de dispensation. « La stratégie de l’AFIPA à long terme est de développer l’automédication en redéfinissant la liste des pathologies et celle des médicaments, y compris ceux qui sont sur prescription aujourd’hui, détaille Pascal Brossard. Certains médicaments pourraient avoir un statut particulier de “produit avec le conseil formalisé du pharmacien”, qui seraient délivrés après un questionnaire posé au patient et tracé dans le dossier pharmaceutique. »
Le conseil est évidemment pour les pharmaciens un élément indispensable. A condition de revoir la façon de faire des pharmaciens. Lucien Bennatan envisage ainsi un conseil écrit et traçable engageant la responsabilité du pharmacien. Et pourquoi ne pas faire entrer dans l’officine certaines pratiques de la grande distribution comme le merchandising ? « Il y a des enseignements à tirer de la grande distribution, sur la traçabilité de la chaîne du froid, la présentation des produits… », pense le président du CNGPO.
« Dans les pays où l’OTC est passé en GMS, la pharmacie n’a pas été perdante parce qu’elle a mis en place d’autres services et monté en professionnalisme », conclut Lucien Bennatan. En clair, si jamais les pharmaciens perdaient le monopole sur l’OTC, ils disposent d’une réelle capacité à mener la bataille.
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