TFR : le ministre hésite à passer la seconde
Un an après avoir marqué Pharmagora de son discours sur le générique et le réseau officinal, Jean-François Mattei accepte de faire le point sur ces dossiers très chauds. Et évoque les nouvelles missions de santé publique du pharmacien ou encore la formation continue.
« Le Moniteur des pharmacies » : Quel bilan tirez-vous de la mise en place des TFR ? Et jugez-vous opportun de lancer une seconde vague au vu des derniers chiffres du marché des génériques ?
Jean-François Mattei : Il convient tout d’abord de replacer les tarifs forfaitaires de responsabilité dans la dynamique du générique en France. Depuis mon arrivée au ministère, les génériques ont connu une première accélération grâce à l’accord conventionnel passé avec les médecins en juin 2002. En quelques mois, les génériques sont passés de 35 % à 50 % du Répertoire. La période suivante s’est caractérisée par une consolidation autour de 50 %. Il fallait une nouvelle impulsion : les TFR l’ont donnée. Ce nouveau dispositif a permis une croissance supplémentaire de plus de 10 points. Ces chiffres sont très satisfaisants même s’il faut poursuivre les efforts. Les génériques, qu’ils soient dans un groupe passé sous TFR ou non, qu’ils soient en concurrence ou pas avec un princeps qui serait aligné sur le tarif, ont tous bénéficié de cette croissance. Nous disposons désormais d’une panoplie d’outils concernant tous les acteurs de la chaîne du générique : le médecin avec l’accord de juin 2002, le pharmacien avec les avantages financiers qui lui sont consentis depuis 1999, le patient qui est susceptible de payer plus cher s’il demande un princeps qui ne se serait pas aligné. Nos efforts devront désormais aussi porter sur l’élargissement du Répertoire. Celui-ci bénéficiera cette année de l’arrivée de molécules importantes. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a levé un verrou en autorisant l’Afssaps à inscrire au Répertoire les génériques sans tenir compte des éventuelles questions de propriété intellectuelle entre producteurs de princeps et génériqueurs. Nous étudions aussi cette année les conditions d’une modification de la réglementation qui permettrait de lever ce que l’on appelle la « jurisprudence Negma ». C’est-à-dire lever l’impossibilité pour un producteur de génériques d’utiliser le dossier de dépôt d’une demande d’AMM d’un dosage tombé dans le domaine public pour déposer un générique d’un autre dosage. Lorsque nous aurons fait cette modification, nous aurons fait sauter le dernier obstacle à la croissance du générique en France.
Vous m’interrogez sur une deuxième vague des TFR. Depuis ma prise de fonction, j’ai le souci de la lisibilité de mon action. Cette lisibilité s’appuie sur deux principes : annoncer à l’avance ce que l’on entend faire et ensuite faire ce que l’on a annoncé. J’ai annoncé, lors de la mise en place de la première vague de TFR, qu’il y aurait une deuxième phase. Les conditions de cette éventuelle deuxième phase sont encore à l’étude. Comme je l’avais dit à Pharmagora l’année dernière [par la voix de son conseiller, NdlR], nous souhaitons être prudents tant que nous ne connaissons pas précisément l’effet des TFR sur le marché. Nous commençons à recevoir les premiers résultats. Ces données seront étudiées avec attention avant de décider de l’ampleur de la mesure.
Des négociations sur un éventuel partage des marges arrière sur les génériques sont en cours. Quels sont vos souhaits en la matière ?
Vous le savez, je place mon action dans la concertation. J’ai de fréquentes discussions avec les représentants des pharmaciens, qu’ils soient ordinaux ou syndicaux. La recherche de nouveaux gisements d’économie est naturellement un thème que nous abordons. Des sommes importantes sont distribuées sous forme de remises arrière au titre des médicaments génériques. Ces sommes viennent en complément des avantages consentis par le législateur au titre du travail du pharmacien pour mener la substitution. Il est légitime que les pouvoirs publics s’interrogent sur la bonne adéquation de ces sommes avec les objectifs poursuivis. Les exemples étrangers tracent les pistes envisageables : reprise sur les marges arrière, baisse des prix… Je n’ai à ce stade pas d’a priori. Je sais en revanche tracer le portrait-robot de la bonne solution : elle doit permettre de dégager des économies substantielles pour l’assurance maladie tout en maintenant l’attractivité de la substitution du générique et cela dans des conditions administratives et juridiques claires et donc incontestables. La concertation n’étant pas achevée, il m’est difficile d’en dire plus à ce stade.
Il y a un an, vous appeliez les pharmaciens à réfléchir à une concentration du réseau. Quelles propositions vous satisfont ? A quelle échéance souhaitez-vous les voir appliquées ?
Je me réjouis des travaux qui sont en cours. Il me semble essentiel que sur une question aussi cruciale, une large concertation puisse avoir lieu. Le travail que mène madame Adenot à l’Ordre, en liaison avec les syndicats, est de toute première importance. Votre question me donne l’occasion de préciser ma pensée. Je crois que la question du maillage officinal doit s’analyser tant à court et moyen terme qu’à long terme. A court et moyen terme, je crois en effet qu’une concentration du réseau est inéluctable dans certaines zones, notamment urbaines. Le législateur, lors de la modification de la loi de répartition en 1999, a fixé un objectif de nombre d’officines par habitants. En campagne, il est d’une officine pour 2 500 habitants et dans les plus grandes villes d’une pour 3 000 habitants. A chaque fois que la densité de pharmacies est supérieure, il y a lieu de se poser des questions sur l’utilité des pharmacies excédentaires. Au moment où les officinaux vont voir partir en retraite les classes nombreuses de l’après-guerre, il est indispensable de s’assurer que les officines qui ne se justifient plus ne soient pas renouvelées. A long terme, la configuration du réseau doit résulter de la combinaison de deux contraintes : celle induite par la nécessité d’assurer à nos concitoyens un accès aisé à une officine en tout point du territoire et celle liée à l’obligation d’assurer aux pharmacies une taille commerciale suffisante. Je pense que c’est à partir de la réflexion sur les missions de l’officine que l’on sera à même d’élaborer le schéma officinal dont aura besoin la France de demain.
En cas de manque de « réactivité » de la profession sur ce dossier, seriez-vous prêt à accélérer vous-même les choses, en les encadrant ?
Je suis assez favorable à ce que la profession prenne une part active dans la définition de son avenir. L’idéal me semble donc être une solution s’appuyant sur la loi du marché orientée par des recommandations définies par les professionnels.
Un tel schéma est il possible ? Je sais le rôle déterminant des représentants de l’officine dans la dernière modification des règles d’implantation et de transfert des officines. Je crois donc que les pharmaciens ont toute la crédibilité nécessaire s’ils demandent à assumer un rôle clé dans l’évolution du maillage territorial. Il est aussi vrai que le dispositif dans lequel nous vivons supporte une certaine inertie. Chaque titulaire d’officine souhaite céder son fonds de commerce à un confrère afin de compléter sa retraite. Les financeurs actuels [les banquiers, NdlR] n’exercent sans doute pas totalement leur rôle de conseil et ne dissuadent pas toujours les candidats à l’accession de reprendre certaines officines dont l’utilité n’est plus avérée du fait des évolutions démographiques de la zone d’implantation.
C’est pour cela que je souhaite adopter une attitude ouverte sur la question. Je suis favorable à une prise en charge de l’évolution du maillage par la profession. Il faudra toutefois que les règles fixées soient crédibles, qu’il y ait des objectifs affichés et des bilans réguliers afin de mesurer sur le terrain les évolutions enregistrées.
Selon vos mots, les pharmaciens ont été les « artisans » du succès des génériques. Etes-vous prêt à leur confier de nouvelles missions (prise en charge du petit risque, éducation du patient, prévention…) ? Et comment comptez-vous les rémunérer ?
Je sais ce que nous devons à l’action des pharmaciens pour promouvoir les génériques en France. Je suis convaincu, vous le savez, de l’importance du rôle des pharmaciens en tant qu’acteurs de santé publique. C’est la raison pour laquelle je crois important le maintien d’un réseau adapté comme nous venons de l’évoquer. Lors d’un discours pour le bicentenaire de l’Académie de pharmacie, j’ai déjà eu l’occasion de me prononcer sur les missions du pharmacien. Il doit conseiller le patient, expliquer l’utilisation des produits prescrits et l’observance. Les produits que délivre le pharmacien sont de plus en plus complexes et la sortie des produits de la rétrocession hospitalière ne fera qu’accélérer ce mouvement. Le conseil porte naturellement aussi sur l’automédication. Je note que nos concitoyens souhaitent y recourir. En l’absence du médecin, le pharmacien doit s’assurer que les médicaments seront utilisés convenablement et dans le respect des règles de sécurité. Enfin, il doit exercer un ultime contrôle sur la prescription. Je trouve très sain qu’il existe dans notre système de santé ce double regard du médecin et du pharmacien pour assurer la qualité de la prescription. Lorsque les patients sont fidèles à leur officine, et c’est souvent le cas, le pharmacien dispose en outre d’une vision complète des traitements suivis par un même patient. Cette information est cruciale et il est parfois le seul à la détenir. Il doit veiller à détecter les interactions médicamenteuses, constituer un relais d’information de la pharmacovigilance en particulier sur le médicament générique. Je sais que les instances représentatives travaillent pour inventer le métier du pharmacien d’officine de demain. Quant aux moyens de rémunérer les pharmaciens pour certains services, la question à mon sens ne doit pas être envisagée sous cet angle. Il faut conserver une approche plus globale. Je suis persuadé que l’organisation actuelle est garante de la santé publique et que son coût se justifie. En développant de nouveaux services, les pharmaciens d’officine nous aideront à faire prévaloir ce point de vue par rapport à une approche plus financière de la distribution.
Vous venez de demander aux médecins de mettre en route le dispositif de formation médicale continue. Qu’en est-il pour les pharmaciens ? Quelle échéance comptez-vous leur fixer ?
Les pharmaciens, comme les médecins et l’ensemble des professionnels de santé, sont de plus en plus concernés par la formation continue. J’ai donc introduit dans le projet de loi de santé publique le principe d’une obligation de formation continue pour les pharmaciens ; elle concerne également les quatorze autres professions de santé. Ce projet de loi devrait être définitivement adopté par le Parlement avant l’été. Les décrets d’application seront pris immédiatement. La formation continue des pharmaciens sera donc opérationnelle à l’automne 2004. Elle devrait se développer selon deux axes prioritaires. D’abord améliorer le service rendu aux patients. Les pharmaciens d’officine ou de biologie peuvent largement contribuer à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Ensuite, la formation continue doit se développer dans un contexte d’incitation et de valorisation professionnelle. C’est dans ce sens que les syndicats, l’Ordre et les universitaires que j’ai rencontrés à plusieurs reprises sur ces questions sont prêts à travailler. Ce qui est très satisfaisant.
Jean-François Mattei a répondu par écrit à nos questions.
Par ailleurs
Interviewé le 8 mars par « L’Express » à propos de la canicule, le ministre a déclaré : « Nous avons assisté à la faillite d’un système. Chacun a sa responsabilité à chaque échelon. […] C’est parce que j’ai souhaité assumer que je n’ai pas démissionné. J’ai le devoir de prendre moi-même des mesures pour que ça ne se reproduise pas. » Répondant à l’évocation de son départ éventuel : « Cela dépend du chef de l’Etat. […] Ce que j’affirme, c’est qu’un ministre de la Santé qui ne contrôle pas l’assurance maladie ne peut rien faire. […] Je souhaite mener la réforme de l’assurance maladie à son terme. Je n’ai pas dépensé tant d’énergie pour m’arrêter là. »
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