La PLV ne suffit plus à faire acheterun produit sur le point de vente

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Publié le 25 février 2016
Par Peggy Cardin-Changizi
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Le marketing traditionnel aurait-il ses limites ? C’est la conviction d’Etienne Grassot-Kayser qui prône les sciences cognitives pour influer sur les habitudes inconscientes de tout consommateur. Son approche, le neuromarketing opérationnel, peut aussi être exploitée en pharmacie…

« Pharmacien Manager ». Quel est la raison d’être du neuromarketing opérationnel ?

Etienne Grassot-Kayser. L’approche repose sur l’idée que la majorité de nos comportements ne sont pas les conséquences de processus conscients. Nous sommes des êtres irrationnels ! Savez-vous que 95 % de nos actions sont régies par des processus cognitifs inconscients ? Un individu va choisir telle référence, à un instant T, plutôt qu’une autre, selon ses propres schémas mentaux. Or, les PLV ou le marketing traditionnel des marques ciblent à 90 % la partie consciente des consommateurs. Cela ne suffit plus à faire acheter un produit. Bien évidemment le cerveau reste encore aujourd’hui une terra incognita et le neuromarketing opérationnel ne va pas implémenter un bouton « achat » dans le cerveau. En revanche il va permettre de maximiser l’attention, la mémorisation et la prise de décision concernant l’achat tel ou tel produit. Comment ? En prenant en compte les enseignements des sciences du cerveau, mais aussi, parce que nous sommes une espèce sociale, des sciences des réseaux et de la complexité.

P.M. Le marketing traditionnel a donc vécu…

E.G.-K. Il ne s’agit pas d’opposer le neuromarketing opérationnel au marketing traditionnel. Mais uniquement d’apporter une mise à jour essentielle sur tout ce qu’on croyait savoir sur le cerveau et son fonctionnement, et qui à été démontré faux par l’ensemble des données académiques depuis 30 ans. Il est à noter que les pays anglo-saxons, extrêmement tournés vers le consommateur, intègrent le neuromarketing de manière systématique dans leurs actions de communication. Les neurosciences ne vont pas décider à la place des agences de communication les couleurs ou les formes à utiliser. D’autant que si on découvrait la meilleure formule de transformation d’un site internet ou d’un point de vente, elle deviendrait en quelques mois ou années le standard ! En revanche les recherches cognitives permettent d’avoir un temps d’avance sur ses concurrents.

P.M. Par quels moyens capter l’attention du consommateur aujourd’hui ?

E.G.-K. La gestion de l’attention est souvent sous-investie dans la création des matériels de communication : dans la plupart des cas, les PLV et autres affichages répondent à une architecture de l’information formatée dans une lecture « normale » des documents (haut en bas, gauche à droite). Or cet ordre de lecture n’est en pratique jamais l’ordre « naturel ». Cependant, l’attention est une condition nécessaire, mais non suffisante du traitement de l’information provenant de l’extérieur : c’est un phénomène qui permet à chacun d’attribuer une quantité spéciale de charge cognitive sur un point particulier de l’espace.

P.M. Pourriez-vous être plus concret ?

E.G.-K. Les annonceurs et les distributeurs sont aujourd’hui confrontés à un consommateur omnicanal et accaparé par son smartphone, la publicité, l’information… Or, le cerveau ne peut pas être toujours polyvalent et accorder de l’attention à tout, tout le temps. Plus ses tâches sont nombreuses, et moins il est performant. Le challenge d’un point de vente est de capter l’attention de sa cible dans un contexte où elle est ultra-sollicitée. Par exemple, une femme venant d’avoir un enfant sera plus attirée par les bébés qu’une autre maman. Partant de ce constat, le neuromarketing se doit de retenir l’attention dès les trois premières secondes. En supermarchés, les clients ont des habitudes de parcours. L’enjeu est de casser cette circulation « inconsciente » afin de créer l’envie de dépenser. Cela passe notamment par la création de nouveaux espaces.

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P.M. Et en pharmacie, comment favoriser l’achat selon vous ?

E.G.-K. Il est évident que l’approche consommateur n’est pas la même pour une pharmacie que pour un supermarché ou encore un magasin d’habillement. La notion d’expérience client n’a pas la même saveur. L’achat d’une boite d’aspirine, comparé à celui d’une jolie robe, génère une notion de plaisir très limité. En officine, le client a besoin avant tout d’être rassuré et conseillé. Les experts du neuromarketing considèrent le passage en pharmacie comme une contrainte pour le client.

P.M. Pas facile, donc, pour une officine, de créer l’envie…

E.G.-K. Effectivement, nous allons en pharmacie principalement lorsque nous sommes physiquement diminués. Notre perception de notre environnement est moindre et les sollicitations présentées restent souvent non vues.

P.M. Comment faire alors ?

E.G.-K. Le neuromarketing opérationnel s’adapte aux différentes spécificités des officines en travaillant l’architecture du point de vente et le parcours du client, au cœur d’un environnement de soins mais également de bien-être. Nous réfléchissons actuellement avec un groupement de pharmaciens sur l’élaboration d’un parcours Neuro, tant sur les supports de communication, que sur le lieu de vente. En pharmacie, tout ne peut pas fonctionner avec des étiquettes promotionnelles. Il faut étudier la façon dont les différentes informations sont perçues et participent à une prise de décision. Pour cela, nous exploitons des outils tels que l’e ye-tracking, soit un système permettant de repérer les mouvements oculaires des visiteurs.

P.M. Le digital est-il compatible avec votre approche ?

E.G.-K. Absolument ! Le consommateur est, je le répète, omnicanal. Donc c’est l’ensemble des points de contact qui permet d’activer plus ou moins efficacement une attention, une mémorisation et une prise de décision. La digitalisation rapproche donc les marques ou les enseignes des consommateurs. On peut dire que le neuromarketing opérationnel et la data (données clients générées par les systèmes informatiques) sont deux disciplines complémentaires. Si la data est extrêmement puissante pour permettre des prédictions sur les comportements individuels, elle reste d’un usage complexe. Alors que le neuromarketing opérationnel cherche à comprendre ces comportements, et notamment les comportements « automatiques », ceux que nous adoptons sans nous en apercevoir.

Etienne Grassot-Kayser DIRIGEANT DE MATIÈRE GRISE CONSULTING

Spécialiste des médias, Etienne Grassot-Kayser co-dirige Matière Grise Consulting, la première agence spécialisée dans le neuromarketing opérationnel. Cette nouvelle façon de communiquer utilise les enseignements des neurosciences, mais aussi de la psychologie et de l’économie comportementale. Elle permettrait ainsi d’améliorer de 15 à 30 % la performance des campagnes et d’optimiser toutes les stratégies marketing mises en place sur le point de vente.