La marge de l’empereur

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Publié le 5 juillet 2014
Par Francois Pouzaud
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Ventes sur l’année, dynamique de la substitution des pharmaciens ou économies réalisées, les résultats de 2013 sont satisfaisants. Pour autant, la décélération du marché des génériques ne semble pas vouloir s’arrêter. Inquiétant.

Après une période de hausse ininterrompue, liée d’une part à l’important retard français en matière de consommation des génériques et d’autre part à une politique nationale plus volontariste (s’appuyant ces dernières années sur des accords conventionnels avec l’Assurance-maladie et la mise en place d’objectifs de substitution pour les pharmaciens), le marché des génériques connaît depuis 2011 une progression chaotique. Après le relâchement des ventes observé jusqu’en juillet 2012 pour de multiples raisons (effort de substitution émoussé des pharmaciens, perte de confiance des patients, dénigrement systématisé du générique, manque de soutien des médecins, désengagement de l’action publique…), la réactivation du dispositif « tiers-payant contre génériques » (TPCG) a permis de remettre le générique sur le droit chemin de la croissance.

Mais pendant un temps seulement. En effet, le redémarrage observé sur le second semestre 2012 et le premier semestre 2013 est uniquement le prolongement d’une reprise « mécanique », après deux années consécutives de ralentissement. Les effets positifs du TPCG étaient encore perceptibles jusqu’en juillet 2013, mais, dès le mois d’août, stagnation et régression se sont de nouveau installées. Sur le dernier quadrimestre 2013, les mauvais résultats se sont enchaînés: – 1 % (en valeur) en septembre, – 5 % en octobre, – 6 % en novembre et 0 % en décembre, par rapport aux mêmes mois de 2012 qui intégraient déjà la mesure TPCG.

Une année qualifiée d’« atone » par le Gemme

Ces derniers résultats laissent un goût amer à l’association Gemme (« Générique même médicament ») qui réunit les fabricants de génériques en France. Elle parle d’une année « atone » pour le générique en 2013, même si le marché est en croissance sur les douze mois de l’année civile, de 12,7 % en valeur et de 16 % en volume. Renouant avec des taux de croissance vus dans les années 2006 et 2007, il a représenté 785 millions de boîtes vendues et 3,4 Md€ de chiffre d’affaires en PFHT (source: GERS, sorties fabricants), soit un marché en prix public supérieur à 5,5 Md€. IMS, qui analyse les ventes en officine, fait état de chiffres similaires: un CA génériques en prix public TTC de 5,97 Md€ en 2013, en progression de 13,9 %, et une consommation de génériques par les Français portée à 816,9 millions d’unités, en hausse de 14,2 %.

Le médicament générique a représenté en 2013 en valeur 18,6 % des ventes de médicaments remboursables et en volume 30,8 %, soit quasiment une boîte sur trois délivrée en pharmacie. Son utilisation a permis une économie de 2,4 Md€ sur 2013 (dont 1,6 Md pour l’assurance maladie obligatoire) et de près de 15,5 Md€ depuis 2000. « On peut être satisfaits de ces résultats annuels mais cette progression, pourtant bonne, est bien trop faible par rapport aux économies potentielles qui peuvent être réalisées en France », commente Stéphane Joly, vice-président Affaires publiques, réglementaires et juridiques du Gemme.

Pour lui, ces chiffres annuels sont en trompe l’œil et ne reflètent pas la tendance actuelle : + 1,81 % en volume et + 0,18 % en valeur entre le premier et le second semestre 2013. « Alors que l’année 2013 a connu de nombreuses échéances de brevet, ces dernières ont tout juste permis de compenser l’érosion du Répertoire », constate le Gemme. A titre indicatif, 18 nouveaux groupes génériques ont été commercialisés sur le marché l’an dernier, représentant 87 M€ en PFHT soit 2,5 % en valeur du marché. Trois chutes de brevet totalisent à elles seules 90 % de cette manne : montelukast, tramadol + paracétamol et mémantine.

Les bons résultats des ROSP

La situation actuelle du marché est décevante, notamment au regard des efforts des pharmaciens. Si le taux de substitution a perdu deux points sur les trois premiers trimestres 2013, paradoxalement, il a connu un fort rebond au quatrième trimestre 2013 pour être historiquement à son plus haut niveau, en raison principalement de la parution en fin d’année au Journal officiel du nouvel avenant générique. « Le taux de substitution s’est maintenu autour de 82 % en 2013, consolidant la progression entamée mi-2012 », observe Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la CNAM.

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Autre bon point : les rémunérations sur objectifs de santé publique (ROSP), contractualisées entre l’Assurance maladie et les professionnels de santé libéraux, portent leurs fruits.

Avec les pharmaciens, les 29 molécules retenues pour le suivi national et individuel de la délivrance de médicaments génériques enregistrent un taux de substitution conforme à l’objectif de 85 %. C’est pourquoi syndicats pharmaceutiques et Assurance maladie ont décidé de reconduire ce contrat de paiement à la performance pour trois ans de plus. Il devrait être discuté à la rentrée de septembre.

Avec les médecins, sur les indicateurs inhérents à la prescription dans le Répertoire des génériques, les résultats obtenus par les praticiens impliqués sont globalement positifs, tendant à se rapprocher des objectifs cibles définis pour cinq classes thérapeutiques. Le recours aux génériques s’accroît chez les médecins, malgré les effets parasites du « non substituable ».

Les prescriptions des génériques des médicaments antiulcéreux (inhibiteurs de la pompe à protons-IPP) et de statines ont beaucoup augmenté, respectivement de 13,2 points et 11,5 points par rapport à 2012, dépassant même l’objectif fixé à 85 % pour les IPP.

La part de prescriptions de statines réalisées par le biais de molécules disposant d’un générique se situe à 65,3 % fin 2013, en ligne avec l’objectif défini (supérieur ou égal à 70 %). Toutefois, ce résultat est encore en retrait par rapport aux pays européens comparables.

Les prescriptions relatives aux antihypertenseurs évoluent également favorablement sur 2013 (+ 7,3 points) puisque, pour la deuxième année, l’objectif cible (65 %) est à nouveau dépassé, atteignant 79,9 %. Les bonnes progressions enregistrées sur ces trois classes sont en partie dues aux entrées dans le Répertoire d’IPP, de statines et d’antihypertenseurs en 2012.

En revanche, la progression des prescriptions d’antibiotiques dans le Répertoire a été plus timorée l’an dernier (+ 0,5 point contre + 2,3 points en 2012), arrivant péniblement à 81,5 %, alors que l’objectif est de dépasser les 90 %.

Enfin, sur la dernière classe concernée, les antidépresseurs, le résultat atteint par les médecins (68,2 % de prescriptions dans le Répertoire) est encore éloigné de l’objectif (supérieur à 80 %) mais la tendance à prescrire des génériques s’accélère (+ 1,7 point en 2013 contre + 0,5 point en 2012).

Part des génériques en progression mais trop faible

En 2013, les prescriptions de médicaments remboursables dans le Répertoire ont progressé en nombre de 5,6 % (source : IMS). A l’intérieur de celui-ci, les prescriptions de princeps et de génériques connaissent des évolutions diamétralement opposées : – 17,9 % en unités pour les princeps, + 15 % pour les génériques qui représentent 77,8 % des ventes du Répertoire en volume. L’érosion des prescriptions au sein du Répertoire n’est plus d’actualité, puisque en dehors de ce périmètre, celles-ci baissent de 2 % en unités.

Même s’il y a du mieux, l’un des leviers d’action majeure réside plus que jamais dans la modification des habitudes de prescriptions des praticiens. En effet, alors qu’en Grande-Bretagne et en Allemagne, les ordonnances visent des médicaments qui, dans 70 % des cas, possèdent un générique, ce taux ne dépasse pas 37 % en France. Résultat: la pénétration nationale des génériques est très en deçà des 75 % en volume et 30 à 35 % en valeur constatés en Grande-Bretagne et en Allemagne. Pour le Gemme, il est crucial « d’amener les prescripteurs à prescrire dans le Répertoire des médicaments génériques dans des proportions proches de celles de leurs confrères européens ». Cette association a fait ses calculs : 1 % d’augmentation des prescriptions dans le Répertoire des génériques procure 100 M€ d’économies supplémentaires à l’Assurance maladie. Dans ces conditions, « si la France parvient à inverser la structure de la prescription, les économies seront maximisées, explique Stéphane Joly. Si la part de prescription dans le Répertoire atteint 70 % d’ici à 2020, les économies pour la sécurité sociale seront de 4,4 Md€ par an et avec 76 % de parts de marché en volume, comme en Allemagne, le générique procurera une économie encore plus importante, de 5,2 Md€ par an ».

Cependant, les outils pour atteindre cet objectif ambitieux manquent: pour l’heure, les « bonus » mis en place dans le cadre du paiement à la performance des médecins n’ont pas suffisamment fait bouger les lignes aux yeux du Gemme. Pour inciter les prescripteurs hospitaliers et les médecins de ville à prescrire dans le Répertoire des génériques, il préconise la mise en place de budgets de prescription pour les médecins.

Autres challenges à relever : la confiance des patients en engageant des grandes campagnes de communication, bien qu’il n’y ait pas de problème de qualité du générique en France, et élargir la taille du Répertoire des génériques. « Compte tenu des baisses drastiques de prix appliquées (- 7 %), le marché sera en forte involution si des actions ne sont pas menées pour le dynamiser », met en garde Stéphane Joly.

Pâles perspectives en 2014

Les perspectives de croissance en 2014 ne sont d’ailleurs pas fameuses. L’évolution du marché sera fortement impactée en valeur à la fois par les baisses de prix et les mesures de convergence de prix par classe thérapeutique pour les statines. Cette année, le nombre de molécules perdant leur brevet va se maintenir par rapport à 2013 mais ensuite, il se réduira jusqu’en 2017.

La chute de brevet, fin mai 2014, de l’escitalopram (Séroplex) qui représente 150 M€ devrait cependant tirer la croissance en volume du marché.

Au vu de ces éléments, principalement des baisses tarifaires programmées par le Comité économique des produits de santé (CEPS), le marché des génériques devrait connaître en 2014 une croissance quasi-nulle en valeur par rapport à 2013, voire négative. Déjà, l’année a mal démarré, le marché enregistrant une baisse de CA de 8 % en janvier et de 6 % en février.

+ 13,9% %

En 2013, les ventes de génériques ont représenté un chiffre d’affaires de 5,97 milliards d’euros contre 5,24 en 2012. En volume, le marché progresse de 14,2 % à 816,9 millions de boîtes contre 715 millions vendues l’année précédente.

CHIFFRE CLÉ

66 % des ventes de génériques en valeur transitent par les répartiteurs, une part en progression de 19,6 % et qui s’explique par le poids croissant de la délivrance des génériques qui incite les pharmacies à passer leurs commandes à leur grossiste dans leurs flux quotidiens.

Le « NS » fait toujours débat

Les tensions demeurent vives sur l’usage jugé abusif de la mention « non substituable ».

A certains endroits, les pharmaciens ont le sentiment que les médecins ont fait du recours à cette mention leur sport favori. Pour le Gemme, l’utilisation de la mention « non substituable » (NS) sur les ordonnances des médecins reste massive.

L’association affirme qu’elle concernerait 22 % des prescriptions des médecins. La CNAM ne partage pas cette estimation. Au vu d’une analyse portant sur 12 000 ordonnance, elle affirme que la mention « NS » n’est utilisée que pour 4,2 % des prescriptions. Reste que son directeur, Frédéric Van Roekeghem, a annoncé sa volonté de contrôler l’usage du NS par les médecins avec pour objectif de sanctionner – éventuellement par des pénalités financières – ceux qui n’en feraient pas un usage « raisonné ». Une telle « traque » de la mention « non substituable » a été presque immédiatement condamnée par la Confédération des syndicats médicaux français.

Le paracétamol au Répertoire ?

Pour augmenter le poids du Répertoire, on pense de suite à l’inscription du paracétamol, en discussion depuis de nombreuses années. L’enjeu est colossal: le paracétamol est la molécule la plus vendue en France, soit environ 500 millions de boîtes par an, et Doliprane est le quatrième médicament le plus remboursé (315 M€ de dépenses remboursées par l’Assurance maladie en 2013). Son entrée au Répertoire a été évoquée par le ministère de la Santé. Pour le moment, Sanofi et BMS-Upsa, les laboratoires qui commercialisent Doliprane, Dafalgan et Efferalgan se sont engagés, en contrepartie, à baisser leurs prix dès l’année prochaine. Les boîtes de marque passeront de 1,95 € à 1,90 € en 2015, soit une économie d’une vingtaine de millions d’euros pour l’Assurance maladie.

L’atorvastine, premier du Top 15 en valeur

15 molécules concentrent 32 % en valeur du marché des génériques. L’atorvastatine, génériquée depuis mai 2012, monte sur la plus haute marche du podium. La statine est n° 1 en valeur, devant le clopidogrel et l’ésoméprazole.