DIX CONSEILS POUR RESTER DANS LES CLOUS
Avec la parution de l’arrêté encadrant la vente de médicaments sur Internet, les pharmaciens peuvent lancer leur site. Guide pour être en phase avec la législation.
1 Quels médicaments mettre dans le panier de vente ?
Initialement, l’arrêté du 20 juin relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique prévoyait de limiter la vente en ligne aux seuls médicaments disponibles en libre accès. Estimant cette restriction excessive et non conforme à une directive européenne, le Conseil d’Etat a, par une décision rendue le 17 juillet, élargi le panier à tous les médicaments à prescription médicale facultative. « Elle concerne aussi les médicaments remboursables », précise Jérôme Peigné, professeur de droit et économie de la santé à l’université Paris-Descartes. Au total, ce sont donc près de 4 000 médicaments qui peuvent être référencés sur Internet. Auxquels s’ajoutent les produits de parapharmacie, les dispositifs médicaux et, plus généralement, tous les produits hors monopole dont le commerce sur Internet était déjà autorisé. Pour éviter le mélange des genres, le site Internet doit comporter un onglet spécifique à la vente de médicaments. Au sein de cet onglet, aucun lien ne peut diriger le patient vers un quelconque site d’une entreprise pharmaceutique.
2 Les prix peuvent-ils être discountés ?
S’agissant des médicaments, seuls ceux non remboursables ont un prix librement fixé. Cette liberté est toutefois restreinte, car le pharmacien est tenu dans un carcan déontologique qui interdit les rabais, les cartes de fidélité et, plus généralement, toutes les pratiques incitant les patients à une consommation médicamenteuse abusive. L’affichage des prix doit être uniforme et sobre : ni caractères gras, ni grande police d’écriture, ni prix clignotant. Toute mise en avant est interdite. « Sur le terrain disciplinaire, un pharmacien pourrait être sanctionné pour comportement contraire à la dignité de la profession s’il utilise des accroches tapageuses – comme “La semaine du paracétamol”, “Pour un tube d’Aciclovir acheté, une crème hydratante offerte”, “La 3e boîte de Nurofen gratuite”, “Prix cassés sur les veinotoniques”… », précise Patrick Fallet, professeur de droit et économie de la santé à l’université Paris-Sud.
3 Comment préparer les commandes ?
La vente en ligne n’exonère pas le pharmacien de son obligation de délivrance personnelle telle que le prévoit l’article R. 4235-13 du Code de la santé publique : « l’exercice personnel auquel est tenu le pharmacien consiste pour celui-ci à exécuter lui-même les actes professionnels, ou à en surveiller attentivement l’exécution s’il ne les accomplit pas lui-même ». La préparation des commandes ne peut être sous-traitée et « ne peut se faire qu’au sein de l’officine dans un espace adapté à cet effet », précise l’arrêté du 20 juin relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique.
Les préparateurs et les étudiants en pharmacie (dès leur inscription en troisième année d’études) sont en théorie également habilités à dispenser des médicaments par voie électronique, sous le contrôle et la surveillance effective d’un pharmacien. Principale conséquence, le titulaire devra ajuster son effectif à cette nouvelle activité « considérée comme le prolongement virtuel de l’officine ». Si le chiffre d’affaires global augmente dans des proportions imposant la présence d’un adjoint obligatoire supplémentaire, le titulaire devra embaucher.
4 Comment expédier les médicaments ?
Les règles générales de la livraison à domicile de médicaments s’appliquent également à la vente électronique. En pratique, les colis doivent être emballés sous paquets scellés, opaques, adaptés au transport (notamment aux chocs éventuels et aux différences de température), et contenir toutes les informations nécessaires au bon usage du médicament. Les frais de port s’ajoutent au prix de vente TTC affiché.
5 Est-ce possible d’envoyer un colis à l’étranger ?
Aucun texte n’interdit l’expédition d’une commande à l’étranger. Toutefois, quel que soit le pays destinataire, le pharmacien doit se conformer à la réglementation applicable en France. Il ne peut donc vendre par Internet un médicament à prescription médicale obligatoire (par exemple Baclofène, Viagra…) à des consommateurs étrangers, même si ces produits sont en vente libre dans leur propre pays. « A l’inverse, les pharmaciens étrangers doivent respecter la législation française pour les médicaments destinés à la France », souligne Jérôme Peigné. Ces questions territoriales vont notamment se poser aux pharmaciens frontaliers.
6 Le site peut-il contenir un blog ?
Tout dépend de son contenu. Les activités de la pharmacie peuvent être présentées ainsi que des messages d’éducation sanitaire ou de prévention. Dès qu’il met en ligne un contenu informatif, le pharmacien engage sa pleine responsabilité. « Aucun message ne doit revêtir un caractère publicitaire, ni déclencher l’achat d’un médicament », prévient Jérôme Peigné. Cette rigueur ne concerne toutefois pas les produits de parapharmacie. « De nombreux pharmaciens vont s’engouffrer dans cette brèche et on risque de voir surgir des contentieux ordinaux », présage Guillaume Fallourd, avocat au barreau de Chartres.
7 Le fichier établi peut-il être exploité ?
L’arrêté du 20 juin autorise l’envoi de lettres d’informations à condition qu’elles ne contiennent, s’agissant des médicaments, « que des informations émanant des autorités sanitaires ». Quant aux lettres promotionnelles portant sur les produits de parapharmacie, Guillaume Fallourd met en garde les pharmaciens « de ne pas recourir à des procédés racoleurs contraires à la dignité de la profession ».
8 Les forums de discussion sont-ils autorisés ?
Ils sont interdits, en raison notamment des difficultés pratiques pour veiller au bon usage des échanges qui comportent des données de santé à caractère personnel et « considérées comme sensibles », prévient l’arrêté. Par nature, les forums sont accessibles à tout internaute qui naviguerait sur le site. Cette large diffusion est incompatible avec le secret professionnel auquel est astreint le pharmacien dans son officine et sur Internet. « Cette interdiction ne vise pas les échanges, non publiés sur le site, entre le pharmacien et le patient. » Ces échanges sont classés confidentiels, tracés et archivés pendant trois ans. Pour garantir l’inviolabilité de toutes les données de santé, le pharmacien doit s’adresser à un hébergeur agréé par le ministre chargé de la Santé (http://esante.gouv.fr/services).
10 L’adresse du site peut-elle figurer dans un annuaire ?
L’article R. 4235-57 du Code de la santé publique énumère la liste limitative des mentions pouvant figurer dans les annuaires ou supports équivalents. Ainsi sont seulement autorisés le nom, l’adresse, les numéros de téléphone et de télécopie de la pharmacie. Selon le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, la mention de l’adresse Internet de la pharmacie sera tolérée, à condition que cette communication se traduise par une simple information et non par une quelconque forme de publicité, notamment par un lien direct vers le site de la pharmacie.
NB : Pour ceux qui se sont escrimés à tenter de résoudre le rébus, il fallait lire « La semaine du paracétamol ».
REPÈRES
• Pour chaque médicament, la notice doit être disponible en format pdf et imprimable. Sa consultation par l’e-patient est obligatoire pour valider la commande.
• Une fois la commande passée, il n’existe pas de droit de rétractation.
• Les délais de traitement de la commande et de livraison sont indiqués dans les conditions générales de vente.
• Le refus de vente est un devoir lorsqu’il est dans l’intérêt de la santé du patient.
AVIS D’EXPERTS
Qu’un même point de vente propose le même produit à deux prix différents n’est-il pas contraire aux intérêts du consommateur ?
Michel Duneau, professeur émérite à l’Université Paris-Descartes : « Non, dans la mesure où le consommateur est toujours libre de choisir, y compris de commander sur le site Internet de la pharmacie à deux pas de chez lui. S’agissant des médicaments non remboursables, le pharmacien peut librement faire jouer les règles concurrentielles normales, notamment en décidant d’une politique de différenciation tarifaire. »
Le prix de vente sur Internet doit-il être identique au prix pratiqué dans la pharmacie ?
Jérôme Peigné, professeur de droit et économie de la santé à l’université Paris-Descartes : « La volonté du gouvernement, et d’une partie de la profession, était bien d’aligner les prix en ligne et à l’officine. Dans sa rédaction initiale, le projet de bonnes pratiques imposait explicitement aux pharmaciens de pratiquer les mêmes prix. En ajoutant les frais de port, cela aurait abouti à rendre plus chers les médicaments en ligne. Cette uniformisation des prix a été vivement critiquée par l’Autorité de la concurrence. Dans sa rédaction finale, l’arrêté n’indique plus que le prix en ligne doit être aligné sur le prix à l’officine. Mais il prévoit que “le logiciel d’aide à la dispensation de l’officine permet l’exportation vers le site de la pharmacie du prix selon une procédure normalisée”. Cette référence est assez ambiguë parce qu’elle peut sous-entendre que le prix doit être identique. Juridiquement, on ne peut pas contraindre les pharmaciens d’appliquer les mêmes prix, car ce serait contraire au principe législatif de la liberté des prix. »
AVIS D’EXPERT
Comment détecter et prévenir les risquesde mésusage ?
L’analyse de Lionel Jacqueminet, avocat : « L’arrêté du 20 juin impose la mise en place d’une solution de conseil personnalisé. Les “foires aux questions” ou réponses automatisées ne seront pas suffisantes. La possibilité de contacter ou d’interroger le pharmacien est la première des garanties contre le risque de mésusage. Au-delà de cet échange avec le patient, qui est facultatif pour ce dernier, il est imposé de remplir un questionnaire de santé, lequel va ensuite permettre d’éviter un mésusage du médicament (par exemple en cas de grossesse). La quantité délivrée est également sous contrôle puisqu’il n’est possible de délivrer qu’un traitement d’un mois, ou la dose thérapeutique nécessaire au traitement d’un épisode aigu. Enfin, la vente sur Internet étant couplée avec le logiciel de délivrance de l’officine, le pharmacien pourra naturellement utiliser les fonctionnalités de ce dernier pour éviter d’éventuelles interactions médicamenteuses et également être alerté en cas de renouvellement de commande par le même client, exposant à un risque de surdosage médicamenteux. A défaut d’être équipé d’un logiciel permettant d’identifier les risques d’interactions médicamenteuses dans le cadre d’une même délivrance, le pharmacien devra se fier à son savoir pour vérifier la commande, au même titre qu’il vérifierait une ordonnance ou délivrerait ses conseils appropriés au comptoir. »
- Pharma espagnole : 9 milliards d’investissements et une réforme en vue
- Réforme de la facture électronique, mode d’emploi
- Mon espace santé : un guide pour maîtriser l’accès et la consultation
- Fraude à la e-CPS : l’alerte discrète mais ferme de l’Agence du numérique en santé
- Pharmacie de Trémuson : une officine bretonne pionnière en RSE et qualité
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis