Cannabis sur ordonnance !

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Publié le 21 novembre 2009
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Depuis six ans, les pharmaciens néerlandais sont autorisés à vendre du cannabis. Sans que cela soulève pour autant de controverses au sein de la profession. Reportage sur un sujet encore totalement tabou chez nous.

Monopole d’état

Les Pays-Bas sont connus pour leurs coffee shops*, moins pour leur cannabis médical. Paradoxalement, Cannabis sativa doit son entrée dans la Pharmacopée néerlandaise à ces boutiques très particulières où l’on peut, depuis 1976, en acheter et en consommer librement. Certains propriétaires de coffee shops, autorisés à détenir jusqu’à 500 g de cannabis en stock et à vendre au maximum 5 g par client et par jour, ont en effet été tentés de le promouvoir auprès de certains malades. En septembre 2003, pour éviter que ceux-ci ne s’approvisionnent dans ces points de vente tout juste tolérés et encourent le risque de consommer des produits de qualité moindre ou de provenance douteuse, Els Borst, ministre de la Santé de l’époque, a fait voter une loi autorisant le recours médical au cannabis, le gouvernement devenant de facto l’autorité de contrôle. « Les Pays-Bas ne peuvent déroger à la convention de 1961 des Nations unies sur les stupéfiants qui oblige les pays à placer la distribution de drogue sous monopole d’Etat », précise Katrin Höner-Snoeken, pharmacienne auprès du Bureau voor medicinale cannabis. Ce Bureau du cannabis médical, interlocuteur officiel de la filière, est une émanation du ministère de la Santé.

* Le gouvernement néerlandais, qui vient de commander une évaluation des effets de 30 ans de politique de tolérance en matière de cannabis, pourrait exiger la fermeture des coffee shops.

Dernier recours

Les Pays-Bas font souvent figure de précurseurs (légalisation de l’euthanasie, etc.). Mais le caractère ultralibéral – voire permissif – qu’on leur attribue volontiers à l’étranger relève en grande partie du fantasme. Car, comme pour l’euthanasie, la délivrance de cannabis médical fait l’objet d’un encadrement strict et repose sur une relation de confiance triangulaire entre le patient, le pharmacien et le médecin. Ce dernier n’est autorisé à prescrire du cannabis que dans des indications précises comme la cachexie et l’anorexie causées par les chimiothérapies, les radiothérapies et les trithérapies du traitement du VIH. Les propriétés antalgiques du cannabis sont par ailleurs utilisées, études à l’appui, contre la spasticité et les douleurs liées à la sclérose en plaques ou aux lésions de la moelle épinière, pour lutter contre les tics physiques et verbaux liés au syndrome de Tourette ou encore dans certains cas de dépression. Cependant, le législateur préconise aux médecins de ne prescrire le cannabis et quand les traitements conventionnels et palliatifs sont inefficaces.

Efficacité démontrée

Les différentes études sur l’usage médical du cannabis font apparaître qu’outre le THC (tétrahydrocannabinol), principal principe actif, d’autres cannabinoïdes ont des propriétés thérapeutiques. « La bioactivité de ces différents composés a été démontrée dans une grande variété d’études scientifiques. Ainsi, le cannabidiol s’est montré actif dans la réduction de la douleur névropathique et le cannabinol agit sur le système immunitaire », indique le Dr Arno Hazekamp, chercheur au département de pharmacognosie de l’université de Leyden et auteur d’une évaluation sur « la qualité du cannabis à usage thérapeutique aux Pays-Bas ».

Concentrés de femelles

Bedrocan ne livre aux officines, uniquement via la société Fagron, que du cannabis sous forme de fleurs séchées provenant de plantes femelles, celles-ci ayant en effet une teneur plus forte en THC. Trois variétés, en pots de 5 g, sont disponibles en pharmacie : Cannabis Flos Bedrocan, Bedrobinol et Bediol dont, la teneur en THC varie entre 13 % (Bedrobinol) et 18 % (Bedrocan). Avec un producteur unique et un grossiste lui aussi unique, la filière cannabique est des plus verticale ! La traçabilité n’en est que plus aisée, ce qui au final facilite la tâche des officinaux qui s’en remettent dans leur approvisionnement aux choix de l’Etat.

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Livré par la poste

L’Apotheek Hazeplein vend du cannabis au comptoir mais aussi via Internet. Elle l’envoie dans ce cas sous forme de paquets scellés et anonymes au patient après avoir vérifié l’existence d’une ordonnance d’un médecin néerlandais. Toutefois, avec environ 200 patients par mois et six ans après sa légalisation, les ventes restent encore marginales.

Contrôle pharmaceutique

Composé d’une pharmacienne, d’un juriste, d’un diplômé en commerce et d’une assistante, le Bureau voor medicinale cannabis (BMC) est donc responsable de la production de cannabis à des fins médicales et scientifiques. Il est également chargé d’en contrôler la qualité, soumise à des normes très strictes. « Ce produit s’adresse à des personnes souffrant de symptômes graves, souvent immunodéficientes et qui doivent en consommer tous les jours. Aussi, ce cannabis doit-il être biologiquement irréprochable », insiste Katrin Höner-Snoeken, dont le bureau supervise également la transformation, le conditionnement et la distribution. Le BMC assure par ailleurs l’information aux patients et aux autres acteurs concernés. A la différence du cannabis des coffee shops, le produit délivré en pharmacie est soumis à deux analyses microbiologiques : après récolte et lors du conditionnement. Par ailleurs, pour prévenir toute contamination par des toxines microbiennes, le produit est stérilisé par rayons gamma et emballé dans des conditions aseptisées grâce à des matériaux conformes à la Pharmacopée européenne.

Fournisseur unique

Le gouvernement ne lésine pas sur la qualité. Il a ainsi rompu ses relations il y a quatre ans avec l’Institut Stichting de marijuana médicale de Naaldwijk parce qu’il ne répondait pas à ses critères de qualité. Depuis le 1er mars 2005, la société Bedrocan est le seul fournisseur officiel. Situé à Veendam, dans le nord du pays, cet agriculteur spécialisé dans les plantes à usage médical est agréé depuis 2002 pour la culture de cannabis et certifié ISO 9001 depuis 2008. Il cultive sous serres selon les normes de bonnes pratiques agricoles.

Inhalation d’usage

Qu’ils s’approvisionnent chez leur pharmacien ou sur Internet, les patients se voient administrer du cannabis sous forme de feuilles à inhaler ou à boire en infusion. Cette dernière forme d’administration est toutefois peu recommandée car le THC perd en efficacité. L’inhalation (la cigarette est proscrite dans l’indication thérapeutique pour les effets secondaires qu’elle entraîne) est la forme galénique la plus courante. L’Allemand Storz #amp; Bickel, fabricant de phyto-inhalateurs, a mis au point le Vulcano, un modèle qui sera bientôt agréé aux Pays-Bas pour le cannabis. Son prix : près de 500 Û !

En comprimés dans 5 ans

D’autres formes galéniques comme les granulés sont à l’étude. Echo Pharmaceuticals, un laboratoire pharmaceutique néerlandais, travaille même sur une forme comprimé, le Namisol, qui ne contient que du THC. Sa prise sublinguale évite la perte d’efficacité du principe actif due à l’ingestion. Selon le laboratoire, l’AMM pour le Namisol est attendue dans les cinq ans.

12 et 14 euros le gramme

Si la consommation de cannabis thérapeutique semble peu évoluer aux Pays-Bas – 120 kilos ont été délivrés par le réseau officinal en 2008 -, cela tiendrait au manque de promotion du produit, selon Michael Schwarz, du service marketing de Storz #amp; Bickel. Une explication réfutée par le Bureau voor medicinale cannabis, qui montre du doigt la position des caisses. « Notre pays a subi une vague de déremboursements et, dans ce contexte, le cannabis ne risque pas d’être pris en charge par l’assurance maladie », explique Katrin Höner-Snoeken, du BMC, qui a relancé les caisses sur ce sujet en décembre dernier. En effet, hormis quelques organismes complémentaires qui le prennent en charge pour certains malades chroniques, ce traitement reste à la charge des patients. Et il s’avère onéreux pour des patients souvent en incapacité de travailler et qui doivent débourser entre 12 et 14 euros en moyenne pour une prise quotidienne de 1 g, auquel s’ajoutent un forfait de 6 euros par ordonnance et une TVA de 6 % imposée aux pharmacies, mais à laquelle échappent les coffee shops !

Zéro polémique

Toutes les pharmacies néerlandaises peuvent être amenées à délivrer du cannabis, mais cela reste très exceptionnel. Seule l’Apotheek Hazeplein, à Groningue, en a fait sa « spécialité ». « Il existait autrefois, à quelques mètres de notre officine, la Cannabis Apotheek, première pharmacie spécialisée dans la marijuana médicale, ouverte en 2007. Elle a dû fermer car elle ne pouvait en vivre. Afin de rendre service à ses patients, nous avons repris l’activité, raconte Nij Land, pharmacien à l’Apotheek Hazeplein. Chez nous, le cannabis médical est passé dans les moeurs, tant au niveau des prescripteurs que des officinaux. Car cette délivrance ne concerne que des patients qui ont déjà tout essayé et auxquels le cannabis rend la dignité et la possibilité de vivre une vie normale, voire de travailler. » Ce point de vue résume bien la position de la profession sur cette question qui ne suscite ni débat ni remise en cause. « L’usage thérapeutique du cannabis ne pose pas de problème à l’Ordre s’il est bénéfique aux patients. De nombreux opiacés sont fournis pour usage médical par les pharmacies dans le monde entier, le cannabis n’est en aucune façon différent », expose Marco Kreuger, porte-parole du KNMP, l’équivalent de notre Ordre.

Reconnaissance internationale

De plus en plus de pays comme la Grande-Bretagne, la Suisse, certains Etats américains ou, plus récemment, l’Italie dépénalisent le cannabis thérapeutique. Ou en autorisent des extraits standardisés comme en Espagne ou au Canada. D’autres, comme l’Allemagne, assouplissent leur position en délivrant des dérogations au cas par cas. En février 2008, sept patients ont ainsi pu bénéficier d’un traitement, distribué sur ordonnance en pharmacie. La France, elle, est plus beaucoup plus fermée : si des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) nominatives ont bien été délivrées pour le dronabinol (du THC synthétique) au début des années 2000, leur nombre diminue chaque année depuis. Mais les choses pourraient changer. « Le cannabis est une plante très complexe comprenant 400 substances qui n’ont pas encore fait l’objet d’enregistrements. Il manque encore des études et des évaluations », note Katrin Höner-Snoeken, du BMC, qui se félicite cependant des travaux de plus en plus nombreux sur le sujet. Entre l’année 2000 et l’année 2007, plus de 9 000 articles scientifiques ont été publiés. Un nombre qui a plus que doublé en dix ans.