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Pharmacie de campagne : le bonheur est dans le pré
Certes fragile, la pharmacie de campagne a néanmoins de bien jolis atouts entre les mains. Un intérêt qui ne laisse plus indifférents certains gros groupements…
En France, 500 officines sont menacées de fermeture sur des territoires où l’accès au médicament est déjà problématique, selon la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Les titulaires des pharmacies de campagne sont confrontés à une baisse de la population, à la fermeture des autres commerces et à une désertification médicale qui est encore plus prégnante en ruralité », indique d’emblée Laurent Filoche, le président de Pharmacorp et de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). « Elles sont aussi souvent pénalisées par des petits chiffres d’affaires (CA). Le titulaire exerce seul, ou avec une équipe d’un ou deux préparateurs au maximum, ce qui l’empêche de développer les nouvelles missions, ajoute François Douère, directeur des opérations d’Evolupharm. Et comme elles n’arrivent pas à recruter de personnel, les candidats ne voulant plus aller travailler dans des endroits reculés, vous avez des titulaires qui, au moment de partir à la retraite, n’ont d’autres choix que de fermer leur pharmacie, faute de repreneur. » Le constat est désormais connu, mais quels sont les services proposés par les groupements pour les aider à pérenniser leurs activités ?
Innover pour ne pas sombrer
Aucun des groupements que nous avons sollicités pour cette enquête n’a mis en place de segmentations ou de mesures spécifiques ciblant les pharmacies rurales. Mais ces dernières sont plus friandes que les autres de certaines offres. « 15 % des adhérents Pharmacorp ont déjà aménagé une cabine ou une borne de téléconsultation Medadom. À la campagne, ce pourcentage double car la nécessité de maintenir une activité de prescription y est plus forte qu’ailleurs, explique Laurent Filoche. En permettant à leurs patients d’accéder à un médecin en cas d’urgence, ou pour renouveler une ordonnance sans avoir besoin de faire 20 ou 30 km en voiture, les officines rendent aussi à la population un service de santé publique. » Cotitulaire avec ses parents de la pharmacie du Forez à Boën-sur-Lignon dans la Loire, Adrien Souillac s’est appuyé sur les outils digitaux de son groupement Apothical pour développer une grosse activité de click & collect. « Une agence de communication parisienne nous aide à animer nos réseaux sociaux, notre site internet et notre newsletter. Grâce à ce dispositif, nous enregistrons chaque jour entre 50 et 100 commandes en click & collect », souligne le jeune pharmacien.
Optimiser son temps pour gagner en productivité
Il est vital pour une pharmacie rurale d’optimiser son temps. « Comme elles fonctionnent en général avec des équipes réduites, elles utilisent beaucoup plus que les autres notre centrale d’achat afin de se concentrer sur le comptoir, observe Michel Dailly, le directeur d’Objectif Pharma. D’ailleurs, le premier soutien qu’un groupement puisse apporter à une pharmacie de bourg est « de lui offrir des conditions commerciales et un catalogue de marques exclusives de distribution susceptibles de générer une progression du CA et de la fréquentation. Ce faisant, les titulaires pourront embaucher du personnel et investir dans les nouvelles missions », estime Hervé Jouves, président du groupe Hygie 31, qui compte dans son escarcelle les pharmacies Lafayette, Pharmacorp et, depuis tout récemment, Pharmacyal. « Les solutions d’automatisation de gestion du back-office, comme les applications Faks ou Digipharmacie, qui facilitent la relation commerciale avec les laboratoires ou qui centralisent les factures fournisseurs en un seul endroit, sont également des services plébiscités par les titulaires de pharmacies rurales », renchérit Sophie Rey, la directrice d’Alphega Pharmacie. À la pharmacie du Forez à Boën-sur-Lignon, Adrien Souillac mesure la contribution d’Apothical depuis qu’il a adhéré au groupement il y a deux ans. « Nous bénéficions désormais de prix et de promotions importantes auprès de quasiment tous les laboratoires. Cela nous a permis de baisser nos prix et de concurrencer plus efficacement les trois petites surfaces installées dans la commune. Résultat, ces deux dernières années, nos ventes sur la parapharmacie et l’OTC [Over the counter, NdlR] ont progressé de 15 et 20 % », se félicite le pharmacien.
Les boosters d’apport en renfort
Pour aider à maintenir le maillage officinal en zone rurale, la plupart des groupements ont mis en place des boosters d’apport (voir notre enquête « À la conquête des futurs installés », Pharmacien Manager n°230). « Nous venons de lancer en début d’année un dispositif d’aides financières, sous forme de prêts participatifs et de participation à l’apport personnel lors d’une d’installation, ou d’un projet d’agrandissement ou de transfert, confie François Douère. Ce dispositif s’adresse à tous nos adhérents, y compris à ceux qui exercent en milieu rural où le fait de transférer dans un local plus grand permet d’atteindre la taille critique. » Le réseau Totum Pharmaciens a, lui aussi, mis en place un système construit sur le même modèle. « Nous envisageons également de lancer en septembre une offre structurée pour faciliter les projets de transfert de nos associés », ajoute Grégoire Vergniaud, son directeur de la communication. Certains réseaux accompagnent également leurs adhérents dans la création de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). « Nous mettons à leur disposition un cabinet de conseil qui les oriente sur le plan juridique et les aide à rédiger un business plan qui leur permettra d’obtenir des aides auprès de l’ARS [agence régionale de santé, NdlR], de la mairie, du conseil général et régional », confirme Alexis Berreby, le cofondateur de Leadersanté.
La mutualisation en groupe local a fait ses preuves
Totum pharmaciens se distingue en encourageant la constitution de groupes locaux, un dispositif qui cible en premier lieu les pharmacies rurales. « Lorsque sur un même territoire, plusieurs officines du réseau font moins d’1,5 M€ de CA, nous incitons les titulaires à créer des groupes locaux, en s’adossant à une pharmacie de taille plus importante », explique Grégoire Vergniaud. C’est ce modèle qu’ont choisi Jean-Michel Riffard, titulaire de la pharmacie qui porte son nom à Annonay en Ardèche, et son épouse Corinne. « Après avoir passé vingt-cinq ans à la tête de la pharmacie du Faubourg à Saint-Julien-Molin-Molette (Loire) que nous avions repris ensemble en 1997, ma femme a eu envie de changement, confie le pharmacien. Pour qu’elle puisse acquérir la pharmacie de Boulieu-les-Annonay, nous avons proposé à son adjointe, Fabienne Milesi, de reprendre l’officine en imaginant un dispositif où chaque pharmacie possède sa propre holding, avec un système de participations croisées qui lui a permis, avec peu d’apport, d’acquérir du capital dans les trois officines, et de pouvoir ainsi payer sa dette senior sans problème. » Fabienne Milesi le reconnaît, la perspective d’intégrer un groupe local a été un élément déterminant dans sa décision de reprendre cette pharmacie Totum installée dans un village de 1 500 habitants à une quinzaine de kilomètres d’Annonay. « Les achats sont mutualisés entre les trois pharmacies, ce qui me permet de proposer une politique de prix attractive à notre patientèle. Je peux aussi me concentrer sur le comptoir et mes patients, livre-t-elle. Il nous arrive aussi de nous dépanner lorsqu’un médicament vient à manquer, ou quand l’une de nos pharmacies a besoin du renfort d’une préparatrice ou d’un étudiant en pharmacie. » Jean-Michel Riffard non plus ne regrette pas ce choix. « Sans le groupe local, il aurait été difficile de trouver un repreneur, juge-t-il. Et il y aurait eu un risque de disparition du service pharmaceutique pour la population du village. Au lieu de cela, nos trois officines pèsent aujourd’hui plus de 5 M€ de CA, et sont toutes en progression. Et la plus rentable est celle de Saint-Julien-Molin-Molette, qui réalise le plus petit CA avec ses 90 clients par jour. » Preuve que la pharmacie de campagne a aussi des arguments à faire valoir.
La pluriprofessionnalité, LA solution !
« La pharmacie rurale se révèle globalement plus rentable que les autres, rappelle Alexis Berreby. Le prix de l’immobilier n’étant pas le même qu’en ville, cela facilite les opérations d’agrandissement ou de transferts. Puis, les salaires y sont souvent moins élevés. » Certaines d’entre elles réalisent même des CA plus que respectables. C’est le cas de la pharmacie du Forez à Boën-sur-Lignon avec ses 400 m2 de surface de vente, ses 550 clients par jour et ses 26 pharmaciens et préparateurs, qui réalise 70 % de son CA sur la TVA à 2,1 %. « Nous avons la chance d’être installés dans une commune de 3 300 habitants qui rayonne sur une zone de chalandise de 15 000 résidents et où exercent encore neuf médecins généralistes, reconnaît Adrien Souillac. À Saint-Julien-Molin-Molette, Fabienne Milesi affiche, elle aussi, sa confiance en l’avenir. « J’ai plein de projets pour maintenir le dynamisme de l’officine, avoue-t-elle. Le problème, c’est que je manque de temps car en l’absence d’adjoint, je dois toujours être au comptoir… » Elle mise aussi sur l’ouverture d’une MSP dans sa commune prévue en 2024. « Je suis partie prenante du projet en multisite, car c’est en réussissant à attirer des professionnels de santé que nous arriverons à redynamiser le village qui a vu certains de ses commerces fermer », explique-t-elle. Pour Alexis Berreby, le maintien du maillage officinal en campagne passera par des mesures efficaces contre la désertification médicale. « Si l’on veut retrouver une activité de prescription et mettre un terme à la pénurie de personnel dans ces territoires, il faudra un jour obliger les jeunes médecins et pharmaciens à exercer en début de carrière en zone rurale, avec un système d’incitation financière », estime le cofondateur de Leadersanté. Jean-Michel Riffard considère également que la réglementation doit évoluer. « Le jour où je mettrai en vente ma pharmacie, j’aurais plus de chance de trouver un repreneur s’il peut acheter en même temps les trois officines du groupe local. Or, c’est impossible aujourd’hui. » La chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies (Federgy) est d’ailleurs favorable à une évolution du code de la santé publique qui consisterait à autoriser les pharmaciens à fusionner les licences de plusieurs pharmacies. « Affiliées à une pharmacie mère, les pharmacies succursales pourraient être ouvertes trois ou quatre jours par semaine, le matin ou l’après-midi, afin de maintenir la présence d’une officine dans les villages », détaille Alain Grollaud, le président de Federgy. Avec 21 000 pharmacies en France, le maillage officinal reste solide permettant un accès aux soins homogène sur tout le territoire. Certains souhaitent même s’en inspirer pour résoudre la problématique des déserts médicaux.
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