Père Noël contre père Fouettard

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Publié le 14 décembre 2002
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Si offrir des cadeaux de fin d’année à ses clients est une pratique courante en officine, elle n’en est pas moins très encadrée, du fait des restrictions imposées par le Code de la santé publique et le code de déontologie. Entre ce qui est toléré par l’ordre des pharmaciens et ce qui peut être taxé de sollicitation de clientèle, le pas est vite franchi.

La remise de petits cadeaux en fin d’année aux clients est une pratique répandue à Paris, révèle Géraldine Baretti, titulaire dans le viie arrondissement. D’ailleurs, avec mes confrères voisins, nous groupons nos commandes. » Compte tenu de la faible valeur marchande du produit offert (à peine 1 Euro(s) en prix public TTC), Géraldine Baretti n’a pas le sentiment de se livrer à de la sollicitation de clientèle. « Celle-ci est déjà tout acquise à la pharmacie. De plus, la valeur du cadeau offert n’est pas plus importante pour un bon client. Tout au plus, je lui adresse mes compliments. » D’une année sur l’autre, elle varie la nature du cadeau que ses clients attendent avec impatience : bougies, savons, bonbons, eaux de Cologne, calendriers, agendas, porte-ordonnances, petits pots de fleurs faits maison… il y en a pour tous les goûts !

Michel Lacomme, pharmacien à Enghien-les-Bains, est pour sa part fidèle aux calendriers, de poche ou grand format. « Certains de mes clients en font collection depuis vingt ans, et, dès le mois de novembre, ils n’hésitent pas à me les réclamer. » Des savonnettes miniatures de Roger Gallet ou Yardley viennent compléter cette offre de Noël, pour un budget d’environ 300 euros (2 000 F). La commande de 300 calendriers grand format et de 700 petit format représente, elle, un budget non négligeable de l’ordre de 760 euros (5 000 F). Pas de remise de cadeaux à mots couverts ou glissés discrètement dans le fond du sac à l’insu du client. Non, Michel Lacomme a pour habitude d’accompagner ce présent de quelques « mots gentils ».

L’an dernier Jacques Ragot, titulaire à Sens, avait offert à ses clients un cadeau de circonstance : « Nous leur avions remis des tables de conversion francs/euros sous forme de carte plastifiée sur laquelle était imprimé le logo de la pharmacie, d’une valeur totale de 3 000 à 4 000 francs. Cette année, nous sommes revenus aux traditionnels calendriers de poche que nous mettons à disposition en libre-service sur les comptoirs. Et pour ceux qui viennent réclamer, je mets toujours de côté une cinquantaine de savonnettes Klorane ou Anne de Péraudel que je prends directement dans les stocks. »

Dominique Jonquois, installé à Boulogne-sur-Mer, n’a jamais été partisan des cadeaux de fin d’année. Pour lui, la fidélisation de la clientèle se fait par la compétence et la qualité du service rendu. Toutefois, il comprend que des pharmaciens exerçant dans un contexte concurrentiel aient recours à cette pratique, mais « celle-ci comporte toujours un risque car les limites avec la sollicitation de clientèle sont floues. Lorsqu’un confrère enfreint les règles établies en matière de publicité en faveur de l’officine et passe en chambre de discipline, la remise de cadeaux est toujours un élément qui se rajoute à son dossier », explique ce responsable ordinal du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.

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Cadeau ou publicité ?

De mémoire de juriste, la jurisprudence ne fait état d’aucune condamnation de pharmacien pour des infractions concernant la remise de cadeaux de fin d’année. Tout au plus, le Pr Michel Duneau, de la faculté de pharmacie de Paris-V, rapporte qu’un pharmacien a été poursuivi disciplinairement pour avoir distribué des calendriers comportant des inscriptions publicitaires en faveur de l’officine. « Mais la remise de cadeaux de fin d’année ne peut constituer une faute justifiant à elle seule la comparution du pharmacien en chambre discipline », poursuit Michel Duneau, confirmant que, généralement, d’autres faits en matière de publicité lui sont reprochés.

L’article R. 5053-3 III du Code de la santé publique (CSP) stipule qu’il « est interdit aux pharmaciens d’officine d’octroyer à leur clientèle des primes ou des avantages matériels directs ou indirects, de lui donner des objets ou produits quelconques à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable, et d’avoir recours à des moyens de fidélisation de clientèle pour une officine donnée ». Le pharmacien peut donc remettre des cadeaux en fin d’année à ses clients sous réserve de respecter cette condition. Toutefois, « la marge de manoeuvre reste très étroite », prévient Eric Fouassier, professeur de droit et d’économie à la santé à l’université de Paris-XI.

A plusieurs reprises, les conseils régionaux et le conseil central A de l’ordre des pharmaciens ont lancé des mises en garde à ce sujet. Les instances ordinales considèrent que cette pratique entre dans le champ d’application de l’article R. 5015-22 du code de déontologie relatif à la sollicitation de clientèle par des procédés contraires à la dignité de la profession, ainsi que celui de l’article R. 5015-30 ayant trait au libre choix du pharmacien par le client. « La notion de clientèle captive ou fidèle n’est pas retenue par les juges », précise Eric Fouassier.

Vous avez dit négligeable ?

Mais que faut-il entendre, au juste, par « valeur négligeable » ? Le « Livre de procédure fiscale » en a bien défini une, mais ce montant, exprimé en franc, est ancien et fixé en l’occurrence à 30,50 Euro(s) (200 F) par an et par bénéficiaire. Plus récemment, la DGCCRF a admis qu’il pouvait être supérieur, sans fixer de limite et en renvoyant à la notion de « raisonnable ». Dans tous les cas, c’est la valeur négociée TTC qui est prise en compte, et non la valeur dans le commerce de détail.

Dans le cadre de l’officine et du CSP, la « valeur négligeable » est évidemment bien en deçà de ce montant de 30,50 Euro(s),Euro(s)mais aucun montant n’a jamais été formellement défini.Euro(s)Reste que la valeur négligeable des objets ou produits non médicamenteux est laissée ici à l’appréciation du juge disciplinaire, lorsque la valeur de ceux-ci est telle qu’elle confère à la remise de cadeaux un caractère indigne de la profession. Michel Duneau et Eric Fouassier s’accordent à penser que des petites savonnettes et des calendriers ont une valeur négligeable. En revanche, ils sont plus circonspects concernant la valeur d’un petit flacon de parfum ou d’un agenda dans la mesure où elle n’est plus accessoire, c’est-à-dire équivalente à celle d’un échantillon.

A retenir

Le Code de la santé publique stipule qu’il « est interdit aux pharmaciens d’officine d’octroyer à leur clientèle des primes ou des avantages matériels directs ou indirects, de lui donner des objets ou produits quelconques à moins que ceux-ci ne soient de valeur négligeable […] ».

– Selon le « Livre de procédure fiscale », une « valeur négligeable » ne doit pas dépasser 200 F par an et par bénéficiaire. Dans le cas de l’officine, il semble que le montant « autorisé » soit bien moindre.

– C’est la valeur négociée TTC qui est prise en compte, et non la valeur dans le commerce de détail.