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Le médicament, toujours trop cher !
DANS LA DERNIÈRE ÉDITION DU BAROMÈTRE DELOITTE CONSACRÉ AU SYSTÈME DE SANTÉ, 86 % DES 2 003 PERSONNES INTERROGÉES ESTIMENT QUE LES PRIX DES MÉDICAMENTS EN FRANCE SONT TROP ÉLEVÉS. QU’EN EST-IL EXACTEMENT ?
Directeur des affaires économiques et internationales du Leem (organisation professionnelle des entreprises du médicament), Eric Baseilhac n’est pas surpris par ce ressenti exprimé par les Français dans le dernier baromètre Deloitte. « Cette perception est logique, car les informations véhiculées par les médias sur les prix des médicaments concernent essentiellement les sujets d’innovation thérapeutique, avec des nouveaux traitements en thérapie génique ou immunothérapie dont les prix sont élevés, à la mesure des progrès qu’ils apportent. » Professeur en économie de la santé à l’université de Paris-Dauphine, Claude Le Pen souligne le côté paradoxal de cette perception. « Faut-il rappeler qu’en France, les médicaments sont gratuits. Grâce aux remboursements de l’Assurance maladie et des complémentaires santé, le reste à charge sur le médicament est pratiquement nul. » Pour expliquer ce paradoxe, l’économiste avance un argument. « L’appréciation du prix dans notre pays relève d’un sentiment presque politique. Les Français considèrent le médicament comme un bien nécessaire qui relève d’une consommation contrainte. A ce titre, il devrait être, selon eux, gratuit. »
A QUEL prix ?
Pour Eric Baseilhac, cette perception ne résiste pas à une analyse objective. « Si l’on regarde l’ensemble de la pharmacopée disponible, une récente analyse montre que le prix moyen d’un médicament en France est de 10,30 €, ce qui nous place juste derrière le Royaume-Uni (10,10 €), mais devant des pays comme l’Allemagne (11,20 €), l’Italie, (12,20 €) où l’Espagne (12,50 €). » Chargé de mission produits et technologies de la santé à France Assos Santé, un regroupement de 85 associations qui s’est fixé pour mission de défendre l’intérêt des usagers, Yann Mazens ne conteste pas cet état de fait. « Sur les médicaments courants, il n’y a pas de sujet. On observe même une tendance à la baisse des prix et au niveau macro économique, le budget médicaments reste sous contrôle, autour de 30 milliards d’euros par an. En revanche, nous alertons maintenant depuis plusieurs années les pouvoirs publics sur l’inflation concernant les médicaments innovants. Cela a commencé en 2014 avec le sofosbuvir, un médicament contre l’hépatite C, qui coûte 41 000 € pour un traitement de 12 semaines. Et maintenant, on nous annonce des thérapies géniques à plusieurs millions d’euros. Si on ne met pas un terme à cette tendance, on va tout droit vers un rationnement de l’accès aux soins aux patients les plus gravement atteints. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec le sofosbuvir. »
LA FIXATION du prix fait débat.
Eric Baseilhac tient à relativiser l’impact de ces nouveaux médicaments sur les dépenses de santé. « Les premières thérapies géniques lancées actuellement en France ne concernent que quelques centaines de patients. Et si la promesse de guérison qu’elles apportent se vérifie dans le temps, quelles économies formidables vont-elles générer ! » « Le prix de ces nouveaux traitements évolue aussi assez rapidement, relativise Claude Le Pen . En 2014, au moment de son lancement, le sofosbuvir coûtait 41 000 €. Aujourd’hui, son coût a chuté de moitié grâce à la concurrence. » Eric Baseilhac rappelle en outre « que le prix des médicaments ne dépend pas en France du bon vouloir des laboratoires. Il fait l’objet d’une négociation avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), qui réunit des payeurs et des représentants des directions administratives de l’Etat. » Les règles de la négociation, fixées dans la loi et la convention, prennent en compte la valeur thérapeutique, l’investissement consenti par le laboratoire (plus d’un milliard de dollars par molécule), le temps et le risque pris durant les 12 ans de R&D, et les coûts de production. « Grâce à tous ces éléments, on obtient des transactions relativement équilibrées où l’État a toujours le dernier mot », assure Eric Baseilhac.
AMÉLIORER la transparence.
Yann Mazens ne partage pas cette vision optimiste du mode de fixation du prix des nouveaux médicaments. « D’abord, parce que toutes les molécules soi-disant innovantes ne le sont pas forcément. Beaucoup sont lancées avec assez peu de preuves thérapeutiques et certaines entraînent de tels effets indésirables que les patients sont obligés d’arrêter leur traitement. » Il déplore également le manque de transparence, qui entoure le prix de ces médicaments. « Il y a toujours un écart important entre le tarif public affiché et le prix réel négocié, car les industriels ont pour habitude de consentir de substantielles rabais aux payeurs. Mais comme ces remises sont toujours confidentielles, on ne sait pas de quoi on parle… » Pour changer la donne, France Assos Santé prêche pour plus de transparence sur les prix réels et pour la présence de représentants des associations d’usagers au sein du CEPS. « Nous militons aussi pour la mise en place d’une instance de négociation des prix au niveau européen, afin de donner plus de poids aux négociateurs face aux laboratoires », complète Yann Mazens. Mais au bout du compte, le prix de ces traitements amène à se poser la question de leur financement, d’après Claude Le Pen. « A partir du moment où ils sauvent des vies dans des pathologies orphelines, la collectivité doit assumer ce coût. En acceptant en contrepartie des baisses de prix sur les anciens médicaments et les génériques. Cette stratégie, d’ores et déjà utilisée par les autorités de tutelle, permettra au système d’autofinancer le coût de ces innovations thérapeutiques », conclut Claude Le Pen.
L’ESSENTIEL
→ Pour 86 % des Français, les prix des médicaments sont trop élevés d’après le dernier baromètre Deloitte sur le système de santé.
→ Cette perception est paradoxale, le reste à charge sur les médicaments étant quasiment nul pour les patients. Sur les traitements courants, la France affiche des prix parmi les plus bas en Europe.
→ Ce ressenti est alimenté par l’inflation observée sur les médicaments innovants, qui pourrait conduire à une restriction de l’accès à ces traitements aux patients les plus gravement atteints.
→ Plus de transparence sur les prix réels, l’encadrement des prescriptions et une déconnexion de l’investissement du mode de fixation des prix pourraient permettre de faire baisser le coût de ces médicaments innovants.
DÈS LA PRESCRIPTION
Pour faire baisser les prix des médicaments innovants, l’économiste Claude Le Pen milite pour la mise en place de parcours de santé. « C’est le cas, par exemple, avec les CAR T-cells pour le lymphôme, qui ne peuvent être prescrits que dans deux centres experts en France. En encadrant de la sorte les prescriptions, on s’assure du bon usage et on maîtrise la dépense. »
MédicamentsUne bulle spéculative ?
L’économie des médicaments innovants se transformerait-elle en bulle spéculative ? C’est ce que laisse entendre l’économiste Claude Le Pen. « Aujourd’hui, les laboratoires se contentent bien souvent de racheter très cher des start-up, qui ont réalisé le travail de R&D sur les molécules. Ils doivent, donc, rentabiliser leur investissement dans un temps limité à la durée de la protection du brevet qui est de dix ans. Et comme le nombre de patients potentiellement concernés par ces nouveaux médicaments est très limité et porte sur des pathologies extrêmement graves, tout ceci alimente l’inflation sur les prix. » Pour inverser la tendance, Yann Mazens de France Assos Santé l’assure : « Il faudrait déconnecter l’investissement du mode de fixation du prix. Cette évolution nous semble d’autant plus nécessaire que la plupart des travaux de recherche fondamentale sont, aujourd’hui, le fait de laboratoires publics. »
2,1 M$ (1,84 M €), c’est le coût d’une prise de Zolgensma aux Etats-Unis. Ce nouveau médicament soigne les enfants atteints d’atrophie musculaire spinale.
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