L’AVENIR DE L’OFFICINE MIS EN SCÈNE

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Publié le 28 avril 2012
Par Magali Clausener
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Quel peut être l’avenir de la pharmacie à l’horizon 2015 ? Une étude prospective conclut à deux scénarios plutôt pessimistes avec disparition d’officines et d’emplois. Cette analyse est aussi l’occasion de mesurer l’enjeu que représentent l’équipe, la formation et la différenciation des métiers.

A la demande de l’Observatoire des métiers des professions libérales (OMPL) et de la CPNEFP (Commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle de la pharmacie d’officine), le cabinet Ithaque a réalisé une étude prospective sur les métiers de la pharmacie d’officine, présentée le 16 avril dernier. Deux scénarios se dessinent (voir tableau p. 11). Dans le premier, la profession ne réagit pas, alors que le contexte concurrentiel s’accroît (développement de la vente sur Internet et de la parapharmacie en GMS). Conséquences : 3 000 à 3 800 officines en moins, 11 000 à 12 000 pertes d’emplois, dont 4 000 à 5 000 seraient le prolongement des tendances actuelles et 5 000 à 6 000 le résultat de la diminution du nombre d’officines et des gains de productivité. Dans le deuxième « moins pessimiste », selon Rémi Debeauvais, directeur d’Ithaque, la profession prend sa place dans le nouveau paysage de la santé au travers des nouvelles missions. La conjoncture reste difficile et la concurrence très forte, mais les marges se maintiennent. La nouvelle rémunération mixte (marge et honoraires) est suffisamment attractive. Le réseau subit une concentration et compte 2 500 pharmacies de moins, la taille moyenne des officines augmentant dans le même temps. La profession perd 4 000 à 5 000 emplois.

Des scénarios plus ou moins crédibles

Pour Gilles Bonnefond, président de l’USPO, il s’agit de présages de mauvais augure. « Il ne faut pas être grand clerc pour savoir qu’il va y avoir une concentration du réseau. Nous allons gommer les imperfections souvent liées à des créations d’officines dérogatoires. Nous nous sommes donnés les moyens pour que cela se fasse sans pression économique et que les pharmacies puissent se regrouper ou procéder à des rachats pour fermer une pharmacie ». Le président de l’USPO est par ailleurs persuadé que la profession va s’engager dans les nouvelles missions : « Tous ceux qui travaillent dans des conditions normales d’exercice ne passeront pas à côté de l’accompagnement des patients chroniques ». Pour autant, il reconnaît qu’il y aura des « priorisations en fonction des situations ». Michel Caillaud, président de l’UNPF, souligne, sans remettre en cause l’étude, que le rapport « ne traduit pas forcément la situation et l’évolution de l’ensemble de la profession ». Il met en avant la méthodologie employée, des enquêtes dans 10 officines, des entretiens avec une quarantaine de pharmaciens et des préparateurs rencontrés au CFA de Paris. « Les deux scénarios font appel aux mêmes ressorts sur la capacité d’adaptation. Pour moi, l’instinct de survie de la profession est exceptionnel. Est-ce que tous les pharmaciens rempliront les mêmes missions, travailleront sur les mêmes sujets ? Pas forcément. » Philippe Gaertner, président de la FSPF, estime les deux scénarios crédibles : « Avec la convention, on a finalement visé le scénario 2. Dans ce scénario, nous sommes dans une évolution plus favorable en termes d’emplois et de nombre d’officines. En changeant le modèle économique par la rémunération mixte et les nouvelles missions, nous avons le plus de chances de tendre vers ce second schéma ».

L’avenir des préparateurs, un sujet de préoccupation

Les représentants des salariés sont en revanche inquiets des conclusions de Rémi Debeauvais. « Certains éléments nous semblent contestables comme l’ouverture du capital [hypothèse avancée par Rémi Debeauvais lors de sa présentation, NdlR] et la vente de médicaments sur Internet, mais nous ne pouvons pas dire non plus que cela ne risque pas d’arriver, déclare Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche FO-pharmacie. J’espère que la profession va se saisir de cette étude. » Roger Halegouet, président de l’OMPL et représentant CFE-CGC des salariés, ne croît pas au premier scénario : « La branche réagira. Il y aura une baisse du nombre de pharmacies, mais pas forcément une baisse des effectifs du personnel. Lorsque l’économie va mal, c’est le personnel qui est la variable d’ajustement ». « Quand il y a des tensions économiques, il y a effectivement une optimisation du poste salarial, explique Gilles Bonnefond. On constate que les pharmaciens hésitent à embaucher des apprentis et ne remplacent pas les départs à la retraite. » Philippe Gaertner estime que l’on peut s’orienter vers le scénario sans perte d’emplois réelle.

Mais c’est surtout l’avenir du rôle du préparateur qui préoccupe les représentants des salariés alors que la réforme du brevet professionnel des préparateurs n’a toujours pas abouti. « Dans une période où la pharmacie évolue vers de nouvelles missions, éventuellement en dehors de l’officine, le préparateur risque d’être tenu à l’écart et cantonné à des tâches classiques. Nous craignons une forme de “déclassement” », explique Olivier Clarhaut. « Le pharmacien aura encore plus besoin de “temps pharmacien” et donc de “temps préparateur” », répond Gilles Bonnefond, qui pense qu’il faut former les préparateurs en 3 ans et en apprentissage. Pour Michel Caillaud, il faut parler de restructuration de l’emploi. « Tout dépend de la formation du préparateur et de son niveau de départ, ainsi que de sa capacité d’évolution », ajoute-t-il. Philippe Gaertner met l’accent sur le développement professionnel continu (DPC), opportunité pour s’orienter vers les services et le conseil. « Nous voulons que le préparateur ait un nouveau diplôme, revalorisé et plus concentré sur la pharmacologie, pour mieux tenir son rôle au comptoir », rappelle Olivier Clarhaut. « Chacun aura sa place au sein de l’équipe officinale et on va au moins définir le travail du préparateur, différent de celui des adjoints », résume Roger Halegouet.

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« Cette étude permet d’ouvrir les yeux. Il faut que la branche professionnelle, notamment du côté patronal, rompe avec les anciennes habitudes individualistes des titulaires et qu’il y ait un engagement collectif. Cette étude doit être un électrochoc et non une incitation au défaitisme et au découragement », insiste Olivier Clarhaut. « Il faut s’emparer des éléments positifs de cette étude et faire en sorte d’empêcher la survenue des points négatifs », commente Philippe Gaertner. « Les pharmaciens attendent d’être dans le concret, souligne Gilles Bonnefond. Il n’y a pas de retard, mais ils doivent déjà évaluer leur nombre de patients sous AVK, réfléchir à l’espace de confidentialité… ».

Le rapport Ithaque

Le rapport sera mis en ligne sur le site Internet de l’OPML (www.observatoire-metiers-entreprises-liberales.fr). Le cabinet Ithaque s’est appuyé sur une enquête menée dans 10 officines et des entretiens avec trois groupes de travail. Rémi Debeauvais, directeur d’Ithaque a également pris en compte l’ouverture possible du capital des officines et la vente de médicaments sur Internet en France tout en soulignant de nombreuses incertitudes sur l’évolution de la démographie, la réglementation, les nouvelles missions et leur concrétisation, le modèle économique de l’officine. Pour chiffrer les évolutions, le cabinet s’est appuyé sur les statistiques connues et notamment le portrait statistique de la branche pharmacie d’officine, réalisé par Ithaque pour l’OMPL.